Depuis quelque temps, on entend Philippe Couillard et ses libéraux parler de lutte à la pauvreté, de justice sociale et de thèmes semblables, traditionnellement réservés aux partis de gauche, catégorie dont le PLQ ne fait plus partie depuis des décennies.
Ce «virage à gauche», du moins dans son discours, les libéraux ne le font ni par conviction ni de gaieté de coeur.
Après quatre ans de gouvernance surtout marquées par des coupures massives partout dans l'appareil gouvernemental, une stratégie de gestion appartenant plutôt aux partis à droite du centre de gravité politique, voilà que le parti incontesté des élites québécoises fait volte-face pour se présenter à l'électorat comme le champion du «progressissme». Sans trop de mauvaise volonté, on est en droit de se demander d'où vient cette apparente transformation du parti à l'approche du scrutin d'octobre.
Ce «virage à gauche», du moins dans son discours, les libéraux ne le font ni par conviction ni de gaieté de coeur, mais pour assurer leur survie dans un nouveau cycle politique l'opposant à la Coalition Avenir Québec, plus seulement au Parti Québécois.
Le PLQ se fait cannibaliser son électorat par la CAQ, la peur d'un nouveau référendum n'étant plus assez intense pour unir tous les fédéralistes derrière lui.
C'est indéniable, depuis le début de 2018, le Parti libéral veut séduire les gauchistes du Québec non seulement en prévision de l'élection, mais aussi sur le long terme. En remettant à l'ordre du jour l'idée d'un revenu minimum garanti et en recrutant des candidats comme Marwah Rizqy, qui s'est annoncée comme candidate libérale dans Saint-Laurent tout en annonçant qu'elle militerait pour que le parti de la haute finance appuie la gratuité scolaire, cette volonté est clairement mise de l'avant.
Et que dire de l'arrivée du «progressisste» autoproclamé Alexandre Taillefer, sans doute l'ultime cerise sur le gâteau de cette opération maquillage censée faire oublier les années austérité aux Québécois et même convaincre les gauchistes de suivre le PLQ, pourtant devenu un parti de centre droit depuis des lustres?
Épargnons-nous toute naïveté devant cette grossière mascarade, il n'y a qu'une seule raison pour laquelle le Parti libéral daigne se travestir de la sorte, cette raison étant la Coalition Avenir Québec, qui marche sévèrement sur ses plates-bandes de droite économique, assez pour lui ravir un certain électorat friand de rigueur budgétaire, mais désormais incapable de blairer la marque libérale. C'est là le contrecoup prévisible de 15 ans de gouvernance ponctuée de nombreux manquements éthiques, il suffit de penser à la SIQ par exemple...
L'amorce d'un nouveau cycle
Bref, le PLQ se fait cannibaliser son électorat par la CAQ, la peur d'un nouveau référendum n'étant plus assez intense pour unir tous les fédéralistes derrière lui. Sentant l'amorce d'un nouveau cycle politique où l'indépendance n'est plus la question de l'élection et où la CAQ prend de l'importance au point de rivaliser avec le Parti Québécois pour sa mainmise de l'électorat francophone, les libéraux n'ont d'autre choix que de se repositionner pour espérer demeurer pertinents politiquement en dehors de l'électorat non francophone, qui continue contre vents et marées de leur manger dans la main.
C'est loin d'être la première fois que les rouges ont recouru à une telle stratégie pour d'insuffler une cure de jeunesse politique. Bien au contraire, si le PLQ existe encore après 150 ans, dont 84 au gouvernement, c'est justement grâce à son habitude de se définir par opposition au parti en face de lui tout en ne conservant qu'un seul dogme absolu: l'appartenance canadienne à tout prix. Tout le reste est sujet à changement, le Parti libéral n'étant pas reconnu comme un grand parti de convictions plus que comme un rassemblement d'affairistes lorgnant le pouvoir peu importe la façon d'y parvenir.
En effet, voilà 150 ans que le PLQ, véritable caméléon idéologique, change de positions selon le «parti bleu» qui s'oppose à lui. De 1867 aux années 1930, il était la principale force de centre gauche au Québec, puisqu'il se mesurait à chaque élection au Parti conservateur, qui s'accaparait naturellement l'électorat de droite.
Avec l'apparition de l'Union nationale et la lente montée du nationalisme, le PLQ n'a eu d'autre choix que de se convertir à une certaine forme de nationalisme progressiste avec la venue des Lesage, Lapalme et Lévesque en opposition à celui de Duplessis, plus ancré dans les valeurs traditionnelles. En 1967, les choses changent avec le départ de René Lévesque et la fondation subséquente du Parti Québécois, à la fois indépendantiste et plus à gauche que les libéraux. Comme de raison, le Parti libéral mute pour devenir non seulement le point de ralliement de tous les fédéralistes, mais aussi un parti de centre droit.
Alors que se mesure à lui la CAQ, le parti rouge se transforme en conséquence: il se voit désormais à gauche et plus antinationaliste que jamais, de manière à contraster fortement avec les positions identitaires et économiques de François Legault. Ne cherchez pas plus longtemps pourquoi le premier ministre a passé la dernière session parlementaire à attaquer le chef de la Coalition sur son «manque de compassion» tout en lui reprochant amèrement de ne jamais parler de lutte à la pauvreté. On a rarement vu d'opportunisme électoral aussi flagrant et peu subtil. Un peu effronté également venant du gouvernement qui a réduit l'aide sociale de 33% lors de la dernière législature.
Même avec son botox progressisste de dernière minute, le PLQ est loin d'être la seule alternative pour ceux qui souhaiteraient bloquer ou éventuellement remplacer la CAQ.
Ainsi, à en juger son historique, le prétendu «virage à gauche» libéral n'est rien de plus qu'une autre tactique pour préparer son avenir face à la CAQ et ainsi tenter de se propulser au pouvoir pour une énième fois, le seul objectif durable des libéraux à en juger par leurs idéaux aussi friables que leurs appuis actuels chez les francophones. Ils espèrent que cette stratégie pousse les Québécois à faire front commun derrière eux face à une CAQ qu'ils s'efforcent de dépeindre comme «trop à droite».
En théorie, la stratégie libérale est fort ratoureuse et pourrait bien fonctionner. Dans le concret, elle se bute à un obstacle on ne peut plus réel: la fin du bipartisme au Québec, au moins d'ici le premier octobre 2018.
En effet, même avec son botox «progressisste» de dernière minute, le PLQ est loin d'être la seule alternative pour ceux qui souhaiteraient bloquer ou éventuellement remplacer la CAQ. De véritables partis de gauche existent au Québec, dont un ayant les assises suffisantes pour former le gouvernement.
Si les Québécois veulent voter à gauche en 2018, ils auront amplement l'occasion de le faire sans appuyer le Parti libéral, véritable caméléon politique se repositionnant au gré du vent depuis 150 ans.