Poujadisme belge

La Belgique est en train de se défaire, mais ce qui est grave, ce serait que la liberté et la démocratie passent à la trappe en même temps. Hélas! je crois qu'on est bien parti.

Chronique de José Fontaine


Incident révélateur
La télévision publique wallonne et francophone a célébré ce 6 juin les 20 ans de "La semaine infernale" et du "Jeu du dictionnaire", deux émissions conçues pour tourner la Wallonie et les Wallons en ridicule. S'agit-il de Wallons qui se moquent d'eux-mêmes? Pas exactement. En effet, l'opinion en Wallonie qui a soutenu la naissance de cette région appartient au monde populaire. Et ce sont les travers de ce monde populaire que met en cause cette émission, avec l'extraordinaire arrogance de la petite-bourgeoisie dont le ressort vraiment permanent est souvent le poujadisme. Penseur universel du bouc émissaire, René Girard estime d'ailleurs le mécanisme du bouc émissaire trouve son expression la plus forte dans le poujadisme: le rejet sur le dos des politiciens, par les citoyens d'à peu près toutes les démocraties dans le monde, de toutes les difficultés sociétales.
Le poujadisme à la radio
Vendredi matin, la RTBF s'est même prétendue envahie par les acteurs poujadistes de "La semaine infernale", jouant les fous du roi au travers de toute l'émission d'information du matin. Le président d'Ecolo, Jean-Michel Javaux, interrogé ce matin-là dans une partie de l'émission qui lui était dédiée, a même accepté que les protagonistes de "La semaine infernale" l'interrogent et émaillent son interview de leurs "bons mots", posant de fausses questions, l'interrompant, etc. Pour la démocratie, il a eu tort de se mêler à ce jeu. En tant que président de parti, il a eu raison. Par rapport à la crise nationale belge, son discours est exactement celui de "La semaine infernale" qui tend à ridiculiser la question en caressant le poujadisme de l'opinion.
Une grande partie de l'opinion est dans le même état d'esprit que "La semaine infernale" en effet, et le parti de JM Javaux s'y rallie, comme d'autres partis unitaristes en Wallonie, qui vont probablement gagner les élections de 2009 de ce fait. Evidemment l'émission en cause se moque à longueur de semaine des hommes politiques wallons (et il est vrai, se moque aussi de la monarchie). Mais cela ne pouvait pas non plus déranger JM Javaux puisque cela rejoignait son propos, bien qu'il soit pourtant un politicien. Voyons pourquoi.
Des politiques antipolitiques
Il est assez étonnant de voir un responsable comme celui-ci, mais d'autres aussi comme la présidente du Cdh (anciens démocrates-chrétiens), reprendre à leur compte le slogan poujadiste très profond d'une partie de l'opinion wallonne à l'égard des problèmes communautaires en Belgique; "tout ça c'est la faute des politiciens". Ce positionnement est devenu celui de maints politiques francophones. Après avoir martelé depuis des années qu'elle ne s'intéressait qu' "aux vrais problèmes des gens" (façon de parler qui est subtilement poujadiste et populiste on en conviendra), la présidente des anciens démocrates-chrétiens a fini par faire passer son message, à un tel point que lorsqu'une réunion gouvernementale n'aborde pas les questions qui risquent de mettre en cause la Belgique, il arrive que des journalistes, recopiant les discours antipolitiques de ces hommes politiques wallons et francophones, soulignent eux-mêmes que le gouvernement ne s'est intéressé "qu'aux vrais problèmes des gens". La boucle est bouclée.
Ce qui est tout de même inquiétant dans cette affaire, c'est qu'à ce populisme et ce poujadisme wallon, répond un populisme flamand, mais lui fortement enraciné dans le nationalisme flamand. Une partie de ce poujadisme flamand est rejetée à l'extrême-droite. Mais une autre partie de ce populisme et poujadisme nourrit un mouvement portant le nom de son président la "Liste de Decker" et qui, lui, fait partie des partis démocratiques. On lui promet de beaux succès électoraux. Comme d'autres nationalistes flamands, de la NVA cette fois (Nieuwe Vlaamse Alliantie, Nouvelle alliance flamande), sont en cartel avec le parti (démocratie-chrétien flamand) du Premier ministre fédéral actuel, les espérances qui s'ouvrent pour la "Liste de Decker" renforcent la NVA au sein du parti du Premier ministre. La NVA est indépendantiste. La "Liste de Decker" confédéraliste. Mais dans l'opposition au gouvernement actuel, elle fera pression sur les partis flamands de celui-ci pour qu'ils obtiennent de fortes avancées sur le plan institutionnel et sinon une Belgique plus confédérale (la Belgique est d'ailleurs déjà confédérale pour partie), en tout cas d'importants transferts de compétences aux Etats fédérés.
Une "ruse de la raison"
Le paradoxe veut que les partis wallons à tendance unitariste et belge, en raison de leur surenchère nationaliste belge, insistant sur le fait que les querelles avec les Flamands sont subalternes, parviennent à être cohérents avec leur propre discours, certes, et l'opinion n'y voit que du feu. Mais leur intransigeance nationaliste belge risque de les opposer tôt ou tard à ces mêmes nationalistes flamands - et d'ailleurs aussi à l'ensemble des Flamands - ce qu'ils se gardent de dire. A force de mentir ainsi à l'opinion wallonne et francophone, en présentant comme dérisoires les demandes flamandes et la question nationale belge en général, ces partisans de l'unité belge vont peut-être se révéler - ruse suprême de la raison - comme les principaux artisans de ruptures avec la Flandre qui conduiront à l'effacement de la Belgique. Ils n'ont pas prévenu leur électorat que la Belgique ne se construit pas seulement sur le nationalisme belge surtout présent à Bruxelles et une partie de la Wallonie, mais aussi avec les Flamands dont le nationalisme belge est plus que tiède, comme c'est le cas aussi de nombreux Wallons qui pour le moment ont du mal à se faire entendre.
On peut considérer les querelles belges comme médiocres, mais ceux qui s'en moquent et prétendent regarder ailleurs, vers le vaste monde, sont surtout soucieux d'écouter une opinion provinciale et sclérosée, de coller à elle sans se soucier des autres, soit les Flamands. Sans se soucier non plus de l'idée démocratique qui ne consiste pas à suivre le sentiment des opinions de... l'opinion, mais de lui dire ses convictions. Comme le rappelait Régis Debray lundi passé dans Le Monde, il ne faut pas oublier que pour les Grecs, l'opinion, la doxa, c'était - et au fond rien n'a changé à cet égard - la forme la plus méprisable de l'esprit humain, le discours le plus médiocre qui soit, celui des idées reçues dont Bourdieu disait que la télévision était la forme parfaite. Il est difficile de faire passer une conviction. Une idée reçue, par contre, c'est très facile, puisqu'elle est ... reçue. En revanche, on se demande ce que l'on communique vraiment avec les idées reçues. Donnons-en un exemple.
Des attitudes qui font peur
Lors de la manifestation en faveur de l'unité belge à Bruxelles, le 18 novembre dernier, un journaliste était sur place, voulant à plusieurs reprises donner la parole aux manifestants. Alors que dans toutes les manifestations, normalement, les manifestants se réjouissent que la presse les écoute, ici, un phénomène étrange s'est produit. Le journaliste a été chaque fois entouré de jeunes gens BCBG de la bourgeoisie bruxelloise, surtout préoccupés de l'empêcher de poser des questions, les réponses allant de soi pour ces jeunes privilégiés qui croient très sincèrement que personne en Belgique, ni en Wallonie, ni en Flandre, ni à Bruxelles ne pourrait penser différemment d'eux. Leur attitude donne vraiment froid dans le dos à tout qui croit encore que les êtres humains sont responsables de leur destin.
Car, au fond, ces jeunes braillards -tant écoutés par un certain monde politique wallon- ne peuvent pas comprendre que l'on s'intéresse à la politique, notamment ces problèmes qu'il faudra bien résoudre un jour, à moins que le poujadisme et le populisme de tant de responsables tant wallons que flamands n'aille jusqu'au bout de leur logique et que la Belgique ne se défasse de telle manière que la Flandre et la Wallonie ne soient que les sous-produits de toute cette médiocrité qui ruine peu à peu la si belle idée de démocratie et de citoyenneté.
La Belgique est en train de se défaire, mais ce qui est grave, ce serait que la liberté et la démocratie passent à la trappe en même temps. Hélas! je crois qu'on est bien parti.
José Fontaine

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    13 juin 2010


    ...tout simplement, MERCI !
    Claudine MÜLLER, Bruxelles
    ( IMNRC-NewPOL Network Belgium, national leader )