Jarosław Kaczyński, le leader du parti Droit et Justice (PiS), n’avait jamais fait mystère du fait qu’il fallait que le PiS gouverne pour au moins deux législatures de quatre ans pour compléter et pérenniser ses réformes. La priorité des priorités était donc pour lui de reconduire le 13 octobre dernier la majorité absolue au parlement pour sa coalition Droite unie qui rassemble le PiS et deux petits partis de droite : le parti Pologne solidaire du ministre de la Justice Zbigniew Ziobro et le parti Entente du vice-premier ministre en charge de l’Enseignement supérieur, Jarosław Gowin. Ces deux partis ont fait élire ensemble 36 députés sur les listes du PiS. Sans eux, le parti de Kaczyński n’a pas la majorité absolue.
Cette dépendance s’est rapidement fait ressentir avec la proposition de députés du PiS de supprimer le plafonnement des cotisations de retraite, une mesure à laquelle s’oppose le parti de Gowin mais qui pouvait peut-être être adoptée avec les voix de la gauche. Sous la pression de son allié, le PiS a toutefois préféré la semaine dernière abandonner momentanément ce projet. Jarosław Gowin a aussi au départ pris ses distances avec le choix par le PiS de trois candidats au Tribunal constitutionnel (finalement soutenus par Gowin et son parti lors du vote de la semaine dernière), en remplacement de juges dont le mandat de neuf ans arrive à extinction. Parmi eux, deux font polémique. Stanisław Piotrowicz et Krystyna Pawłowicz sont certes des spécialistes du droit mais ils étaient aussi pendant la législature précédente deux députés très actifs du PiS. En tant que député, Mme Pawłowicz s’est en outre fait remarquer par ses prises de paroles souvent fortes, voir agressives et insultantes de l’avis de ses détracteurs. Quant à Stanisław Piotrowicz, en tant que président de la commission de la justice et des droits de l’Homme de la Diète, il a été un des acteurs des réformes de la justice au centre des attaques de l’opposition et de Bruxelles. Ce choix est intervenu alors que l’actuelle présidente du Tribunal constitutionnel, qui avait elle-même été nommée par le PiS, était à nouveau accusée par un juge de ce même tribunal de manipuler les jugements en poursuivant des buts politiques. Il est notamment reproché à la présidente Julia Przyłębska de choisir les juges devant statuer sur une affaire donnée en fonction du résultat escompté et de bloquer l’examen de certaines affaires. Il mérite d’être noté que ce sont deux reproches qui étaient déjà adressés à son prédécesseur à l’époque des gouvernements de Donald Tusk, mais pas par des juges en exercice du Tribunal constitutionnel.
Quant au parti Pologne solidaire, il exige que le PiS revienne sur sa décision de soutenir la nomination du député de gauche Magdalena Biejat à la tête de la commission de la Politique sociale et de la famille. Si le PiS se défend en expliquant que son soutien découle de la répartition des présidences de commissions parlementaires entre les différents partis représentés à la Diète, à droite, c’est-à-dire au sein même de la Coalition Droite unie ainsi que chez les 11 députés nationalistes et libéraux-conservateurs de la Confédération, on estime inacceptable d’avoir nommé une militante pro-avortement à la tête de cette commission où le PiS bloquait déjà depuis un an et demi le projet de loi citoyen visant à interdire les avortements eugéniques.
Par ailleurs, après les tentatives infructueuses du PiS en vue de convaincre quelques sénateurs, parmi l’opposition ou les indépendants, de rejoindre son groupe au Sénat, le parti de Kaczyński a bien perdu le contrôle de la chambre haute avec ses 48 sièges sur 100. Le nouveau maréchal (président) du Sénat, élu avec les voix de tous les partis d’opposition, est désormais Tomasz Grodzki, sénateur du parti libéral de gauche Plateforme civique (PO). Cela n’empêchera pas le PiS de gouverner ni de faire voter des lois, puisque c’est la Diète qui a le dernier mot en cas de désaccord entre les deux chambres, mais cela l’empêchera de légiférer dans l’urgence comme il lui est arrivé de le faire au cours de la législature écoulée. Le nouveau président du Sénat a promis de tout faire pour que le Sénat contribue à améliorer les lois par un travail de fond. Une de ses premières annonces a toutefois été de dire qu’il souhaitait rendre une visite au Sénat américain pour remercier les auteurs d’une lettre de 2016, très critique à l’égard du gouvernement de Beata Szydło, d’avoir pris la défense de l’État de droit en Pologne.
Pas de changement majeur en revanche au gouvernement, mis à part la réorganisation de certaines attributions ministérielles, dont la création d’un ministère pour le climat séparé du ministère de l’environnement. Le Premier ministre Mateusz Morawiecki rempile, de même que les vice-Premiers ministres Jarosław Gowin et Piotr Gliński, le ministre de la culture et du patrimoine national. Zbigniew Ziobro reste ministre de la Justice. Pas de changement non plus aux affaires étrangères, à la défense et à l’intérieur. Il y a en revanche un nouveau ministre des Finances, Tadeusz Kościński, mais il était déjà secrétaire d’État au sein du même ministère dans le gouvernement Morawiecki précédent.
Le principal objectif du nouveau gouvernement Morawiecki après les élections d’octobre est de mettre en œuvre les promesses sociales généreuses et donc coûteuse du PiS dans un contexte de probable ralentissement économique et en essayant d’équilibrer le budget en 2020 comme cela avait été annoncé avant les élections, d’où la tentation de supprimer le plafonnement des cotisations de retraite et de procéder à quelques hausses d’impôts telles les taxes sur les cigarettes, l’alcool et les carburants. Ce qui compliquera la tâche du gouvernement Morawiecki, c’est qu’il faut en même temps assurer la victoire du président Andrzej Duda aux élections présidentielles de mai 2020. Il serait en effet autrement plus gênant pour le PiS d’abandonner à l’opposition la présidence de la république que le Sénat, car le président polonais a le pouvoir d’opposer son veto aux lois votées par le parlement. Inutile de dire qu’avec 235 députés sur un total de 460, le PiS et ses alliés n’ont pas la majorité nécessaire à la Diète pour renverser un veto présidentiel.
Pour en savoir plus sur les réformes polonaises et sur la chronologie du conflit avec Bruxelles : Comprendre la situation politique en Pologne : comment la Pologne a basculé en 2015 dans le « Camp du Mal » (pour Bruxelles et les médias dominants)