C’est officiel et sans surprise : Donald Trump s’est lancé dans la course pour la présidentielle américaine de 2020 et sa réélection. Nous étions nombreux à ne pas imaginer un instant que ce candidat atypique puisse remporter le scrutin de 2016. Et nous avons été autant à assister impuissants à l’élimination pure et simple de sa rivale Hillary Clinton, malgré des résultats en nombre de votes plus importants.
Et pourtant : "He did it", alors qu’il avait à la fois et l’establishment et les médias contre lui. C’était sans compter sur la volonté cette Amérique profonde, ces États notamment de la Bible Belt sous influence évangélique et néo-cons, profondément traumatisés que ces dernières années leur pays ait pu passer pour affaibli et relativement ré-humanisé. La quête du leadership mondial par les Évangéliques est en marche.
L’ère bienveillante, toutes proportions gardées, de Barack Obama, montrait une Amérique prête à se désengager de zones de conflits sans fin, notamment au Moyen-Orient. L’homme d’affaires Donald Trump lui, a offert pour unique campagne le meilleur teaser qu’il soit : "Make America great again". Il était devenu intolérable pour l’Américain moyen, de voir sa puissance de plus en plus impuissante, et de risquer d’en perdre le leadership mondial face aux appétits grandissants notamment de la Chine. Pour être respecté, il n’y a souvent pas d’autre solution que d’être craint.
Après l’effondrement du bloc soviétique en 1990, on pensait en avoir fini avec la confrontation de blocs. Les USA avaient gagné et représentaient un peu plus encore le phare du monde moderne, libre, libéral et dégagé du religieux.
C’est ce que Trump a offert royalement à son peuple. Mais qui se cache en partie derrière cette reprise en main agressive du destin américain au-delà d’un homme ? Il semblerait bien que des courants évangélistes tous azimuts et actifs depuis plusieurs décennies parviennent petit à petit à leurs fins : ils visent à accélérer l’arrivée du chaos par un savant effet d’entraînement et de domino entre la stratégie du baril de pétrole et celle du baril de poudre. Donald Trump chercherait, avec le soutien de ces courants, à incrémenter une vision binaire du monde, et la logique de confrontation de blocs, en divisant les pays musulmans d’une part, mais aussi en se servant des uns pour "taper sur les autres".
L’axe américano-émirato-saoudien, accompagné de l’allié israélien, est en train de précipiter la logique de camp du bien et du mal. Il isole chaque jour un peu plus l’Iran, en divisant le monde musulman, et exploite de plus belle la logique de confrontation religieuse, mais se fait également le porte-voix géopolitique d’une force plus obscure encore : les chrétiens évangélistes de par le monde. Après l’effondrement du bloc soviétique en 1990, on pensait en avoir fini avec la confrontation de blocs. Les USA avaient gagné et représentaient un peu plus encore le phare du monde moderne, libre, libéral et dégagé du religieux.
Il n’en fut rien avec le 11 septembre 2001 et les terribles attentats du World Trade Center à New York.Un bloc arabo-musulman se profilait petit à petit comme le nouvel ennemi commun, contre qui toutes les forces occidentales devraient s’unir pour survivre. Près de vingt ans plus tard, nous en sommes tout sauf sortis : non seulement, la force centrifuge qui opère actuellement dans le monde risque bien d’absorber la région du Moyen-Orient tout entière dans un conflit civilisationnel mais également de diviser les Occidentaux entre pro et anti-américains.
Or, c’est ce focus contre l’islam politique et de ses dérives islamistes, qui a estompé de notre attention la montée en puissance des courants chrétiens et évangéliques en Occident, mais aussi en Amérique latine, en Afrique subsaharienne, ou en Asie. Le raz de marée évangélique est partout. En quête de retour aux sources, de purification, et de lutte contre l’obscurantisme religieux en Orient, il s’inscrit dans une vision millénariste de la civilisation: se préparer à la fin du monde d’aujourd’hui, pour voir en émerger ensuite un meilleur. Donald Trump, qui a priori est loin d’être le meilleur attaché de presse de cette vision, en est devenu mois après mois, le premier porte-parole. C’est lui désormais qui est à la barre pour accélérer ce que certains espèrent de tous leurs vœux chaque jour : la fin des temps.
Donald Trump leur offre un boulevard mais il sait très bien qu’il doit aussi compter sur eux pour contrer les appétits chinois actuels sur le reste du monde. A tel point que l’on parle aux USA de religion civile.
Selon un article de Mediapart[1] du 21 février 2016, on peut définir les protestants évangéliques de la sorte : "Le terme évangélique, du grec evangelion, 'évangile', qui signifie 'la Bonne nouvelle', est apparu en Europe au XVIe siècle, au cours de la Réforme, lorsque des penseurs catholiques ont cherché à qualifier les Églises protestantes qui prônaient un retour aux enseignements de la Bible." On assiste depuis une dizaine d’années à une montée fulgurante du nombre d’évangélistes dans le monde, probablement en partie convaincus et convertis afin de lutter depuis la fin de la guerre froide contre le "bloc musulmano-islamiste". Alors que, selon des chiffres de 2016 fournis sur le site de l’Église catholique de Paris, "on estimait en 2011 le nombre d’évangéliques dans le monde à 506 millions, on les estime actuellement à 565 millions, soit un chrétien sur quatre." Mais, ce qui est le plus inquiétant, est que ce monde évangélique suit de près la géopolitique mondiale qui glisse à vitesse grand V vers l’Asie. Quid de l’Occident ? "On y compte 96 millions d’évangéliques, dont 92 millions aux États-Unis –, suivie de l’Europe – 20 millions." Deux constats donc : dans le monde, 1 chrétien sur 4 est évangélique, mêlant le politique et le religieux, le public et le privé[mv2] . Et aux USA, 1 Américain sur 3 environ est aujourd’hui chrétien évangélique.
Le monde occidental n’est pas le premier réservoir de croyants : "C’est l’Asie qui compterait le plus d’évangéliques (183 millions) avec en tête la Chine (60 millions): (…) second continent par ordre d’importance : l’Afrique (154 millions); (…) Avec environ 107 millions d’évangéliques, l’Amérique du Sud n’arrive qu’en troisième position." La première tension mondiale, au-delà du Moyen-Orient, qui est en train de se dessiner est bien celle qui voit se confronter États-Unis et… Chine.
Aux USA, encore première puissance mondiale, et désormais en Chine donc, seconde puissance de la planète, la montée des mouvements évangéliques est inéluctable dans la sphère économique et la sphère politique. Ils sont à l’heure actuelle déjà en train de se disputer le leadership et conditionneront la géopolitique mondiale. Donald Trump leur offre un boulevard mais il sait très bien qu’il doit aussi compter sur eux pour contrer les appétits chinois actuels sur le reste du monde. A tel point que l’on parle aux USA de religion civile. Aux États-Unis, il y a, selon les chiffres du Pew Research Center environ 70,6% de chrétiens, et parmi eux 46,5% de protestants. Au sein de ces protestants, on trouvait en 2014, 25,4% d’églises évangéliques, soit largement plus de la moitié du total[2].
L’évangélisme politique glocal (local et mondial à la fois) représente un véritable avènement. Dans l’ensemble plus de la moitié des Chrétiens aux USA sont : méthodistes, baptistes, luthériens, presbytériens, épiscopaliens, congrégationnistes, membres des Assemblées de Dieu, adventistes, unitariens, Église du Christ, etc. Ces courants sont en hausse depuis une décennie alors que globalement les courants traditionnels reculent, et que les courants "alternatifs" (bouddhisme, orthodoxie, athéisme), progressent mais insuffisamment pour avoir une portée politique (et ce n’est pas leur but premier).
Ce n’est que le début de ce que Samuel Huntington, que nous avons tant conspué, appelait encore poétiquement, "le choc des civilisations", entre la stratégie du baril de pétrole et de poudre.
La politique de Donald Trump est aujourd’hui, dans la lignée de ses prédécesseurs, c’est-à-dire dans une vision de plus en plus religieuse du monde, et il la pousse jusqu’au bout. Aujourd’hui, il s’inscrit dans un courant certes manichéen, de lutte du bien contre le mal, largement dicté par la Bible. Il y ajoute le sentiment que les USA ont bien été élus par Dieu pour sauver le monde. Ce que Barack Obama avait probablement essayé de leur faire oublier, à tort. Une certitude qui s’était déjà affirmée lorsqu’on leur avait conféré ce rôle de sauveur à la victoire contre l’Allemagne nazie en 1945 puis contre l’URSS en 1990, et qui légitime leur lutte actuelle contre l’Iran. Ne sont-ils pas depuis leur création par les Pères fondateurs, "la Nouvelle Jérusalem" pour faire référence à l’ancienne, qu’ils tiennent coûte que coûte à protéger et sauver du mal ? Le lien avec Israël, qui dicte selon nous la hargne féroce que Trump emploie à agenouiller l’Iran, est donc tout trouvé. C’est ce qui expliquerait alors le soutien indéfectible de Washington à l’État d’Israël, aux Israéliens, aux Juifs.
Cerise sur le gâteau : proclamer en décembre 2017 Jérusalem capitale de l’État d’Israël, n’était donc que la dernière étape d’un long processus historique, où sionistes religieux et chrétiens évangéliques se retrouvaient solidaires aux derniers avant-postes de la civilisation face aux ténèbres incarnées par le monde arabo-musulman. Et ce n’est que le début de ce que Samuel Huntington, que nous avons tant conspué, appelait encore poétiquement, "le choc des civilisations", entre la stratégie du baril de pétrole et de poudre.
[1] Article de Danyves, 21 février 2016, https://blogs.mediapart.fr/danyves/blog/210216/les...
[2] Alois Evyna, 21 mai 2015, https://www.chretiens.info/2995/actualitechretienn...