Policiers et symboles religieux – une ligne à ne pas franchir

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Multiculturalisme : le modèle anglo-saxon ne doit pas prévaloir au Québec

La question du port de symboles religieux dans la vie civique est un légitime débat de société. Doit-on tolérer le port de symboles religieux par des enseignants, des médecins, des représentants du gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions ? Le débat n’est pas encore clos.


Cela dit, il existe un consensus fort au Québec quant à l’inadmissibilité du port de signes religieux ostentatoires par les représentants de l’État disposant d’un pouvoir de contrainte : juges, gardiens de prison et policiers — la recommandation basale du rapport Bouchard-Taylor de 2008. Même si plusieurs estiment ce rapport tiède et appellent à un encadrement plus sérieux de la religion au sein de l’État, on ne trouve que les plus zélés des groupes de revendications intéressés, incapables de prétendre à une représentativité réelle de la volonté collective des Québécois, pour s’opposer à ce plancher très minimal.


Or, si la mairesse Valérie Plante donnait suite, comme elle l’annonce, à l’idée de permettre aux policiers de Montréal d’arborer des symboles religieux ostentatoires dans l’exercice de leurs fonctions, elle balayerait d’un revers de la main non seulement ce consensus contemporain palpable, mais également les principes fondamentaux de la laïcité d’inspiration franco-européenne sur laquelle le droit québécois s’est construit depuis des siècles.


En philosophie juridique, la laïcité consiste à évacuer complètement la présence religieuse de la sphère civique en raison du principe de la séparation entre la religion et l’État, dans une perspective de droits collectifs. Elle s’oppose en cela au sécularisme anglo-saxon, qui prône plutôt une absence de régulation du religieux, sans favoritisme ni exclusion, dans une perspective de droits individuels. La différence marquante entre ces deux conceptions de la neutralité religieuse explique le clivage tranché entre le Québec, d’inspiration sociale française, et le Canada anglais, d’inspiration sociale britannique, quant à la question de la place de la religion dans la sphère civique. Historiquement, sociologiquement et juridiquement, le Québec appartient résolument à la première des deux écoles de pensées. Même à l’ère de Maurice Duplessis, les policiers ne portaient pas de croix catholiques par-dessus leurs uniformes.


Soulignons-le : lorsqu’un citoyen fait le choix de devenir policier, il doit accepter de mettre de côté une part de son individualité dans l’exercice de ses fonctions pour incarner la force effective et littéralement armée de l’État face aux citoyens, de manière neutre et d’apparence neutre. Par exemple, l’expression d’une affiliation politique y est interdite — et si une personne ne peut accepter l’idée de s’empêcher d’afficher ses idéologies partisanes au quotidien, le métier de policier n’est tout simplement pas fait pour elle. On peut dire exactement la même chose pour l’affichage religieux.


Charge civique


Mais il y a plus. Être policier est plus qu’une fonction, c’est une charge civique. En tant que gardiens de l’ordre et de la paix publique, c’est au nom de la collectivité tout entière que les policiers ont le pouvoir légal d’employer la force pour imposer l’obéissance et contraindre physiquement au respect de la loi. Armés, ils ont même dans les cas les plus extrêmes le droit de faire feu et de tuer si les circonstances sont suffisamment graves pour le justifier.


Il est incohérent avec les fondements les plus élémentaires de la laïcité de permettre à une personne incarnant l’autorité de l’État et disposant d’un si grand pouvoir de le superposer dans le regard public à une manifestation religieuse. Même en prêtant la plus absolue bonne foi à un policier portant un hidjab ou un turban, qui agirait dans la plus totale neutralité, il lui serait absolument impossible de se dissocier du rayonnement inhérent qu’envoie un symbole religieux ostentatoire. Indépendamment de la volonté de son porteur, un tel symbole est une profession de foi, une déclaration d’adhésion à une religion, qui envoie passivement un message prosélyte fort. Cette situation a été reconnue à maintes reprises par la Cour européenne des droits de l’homme, reconnaissant la légitimité des restrictions au port de symboles religieux par des agents de l’État au regard du droit international, comme le font de nombreux pays d’Europe, tels la France, l’Allemagne, la Belgique ou les Pays-Bas.


On observera bien sûr que de nombreuses forces policières au Canada anglais permettent le port de symboles religieux par leurs agents. Ce constat ne peut cependant s’extraire de la réalité sociale canadienne-anglaise d’inspiration britannique, séculière, qui voit dans la permissivité face aux symboles religieux chez les policiers une célébration individuelle des droits fondamentaux. Mais cette réalité anglo-canadienne est intransposable au Québec. Ce n’est pas celle du modèle social québécois, société distincte au Canada, qui adhère à une conception davantage républicaine et collective des droits fondamentaux. Notre propre Charte québécoise des droits et libertés le prescrit à son article 9.1 : « Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec. » Dans la perspective légitime de notre tradition juridique québécoise, notre population dispose d’un droit à un État qui subordonne la liberté religieuse individuelle de ses agents de police au respect du droit collectif du peuple à une force policière laïque, affichée comme telle et exempte de tout message religieux, même passif.


Il s’agit d’une réalité sociojuridique fondamentale au peuple québécois — traduisant un droit collectif à la laïcité policière tout aussi fondamental. L’idée d’un policier célébrant d’abord son « je » dans l’individu et sa religion, en y soumettant le regard de la collectivité qu’il a le devoir de servir, choque les fondements mêmes de la tradition juridique québécoise en matière de laïcité.


Cette réalité, nos politiciens, tant à Montréal qu’à Québec, ne peuvent pas — ne doivent pas — l’ignorer.


* La lettre est aussi signée par :

Claude ANDRÉ, professeur de sciences politiques;

Katia ATIF, intervenante communautaire;

Daniel BARIL, vice-président du Mouvement laïque québécois;

Frédéric BASTIEN, historien;

Jocelyn BEAUDOIN, avocat;

Djemila BENHABIB, écrivaine;

Jérôme BLANCHET-GRAVEL, essayiste;

Marc-Olivier BLONDIN-PROVOST, enseignant;

Ferid CHIKHI, Association québécoise nord-africaine pour la Laïcité;

Annie-Andrée CHOUINARD, présidente de Vigilance laïque;

Annie-Ève COLLIN, philosophe;

Julien CORONA, candidat à la maîtrise en droit;

Nadia EL MABROUK, professeure DIRO (UdeM);

Lamine FOURA, journaliste et producteur radio;

Diane GUILBAULT, présidente de Pour les droits des femmes Québec;

Hassiba IDIR, directrice générale AMINATE;

Lucie JOBIN, présidente du Mouvement laïque québécois;

Nadine KOUSSA, avocate;

Yves LAFRAMBOISE, Laïcité capitale nationale;

André LAMOUREUX, politologue UQAM et porte-parole de Rassemblement pour la laïcité;

Francine LAVOIE, Laïcité capitale nationale;

Pierre McKENZIE, professeur DIRO (UdeM);

Louise MAILLOUX, écrivaine;

Gabriel MEUNIER, avocat;

Idriss MOUKAGNI, candidat au doctorat en droit;

Caroline MORGAN, traductrice;

Jian-Yun NIE, professeur DIRO (UdeM);

Léon OUAKNINE, consultant et ex-membre du Conseil interculturel de Montréal;

Michel PAILLÉ, démographe;

Danic PARENTEAU, professeur de philosophie et de sciences politiques;

Guy PERKINS, blogueur;

Simon-Pierre SAVARD-TREMBLAY, candidat au doctorat à l’EHESS;

Michèle SIROIS, anthropologue;

Gilles TOUPIN, journaliste.




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