Dégoûté par le sondage qu’une firme embauchée par Hockey Canada lui a fait parvenir au cours des derniers jours, Martin Pronovost a décidé qu’il lui serait impossible d’arbitrer des matchs de hockey mineur cette saison en arborant un écusson de la fédération nationale sur son chandail. Et il espère que son geste fera des petits.
Au cours des derniers jours, l’excellent confrère Rick Westhead, de TSN, a révélé que les membres de Hockey Canada avaient été invités à répondre à un sondage contenant des questions controversées.
Les répondants s’y faisaient demander, entre autres, si le niveau des critiques formulées par les médias à l’endroit de Hockey Canada est exagéré. Et dans une autre question, les répondants se faisaient demander si, de façon générale, les critiques formulées envers Hockey Canada sont exagérées.
À la grandeur du pays, la teneur de ce sondage a soulevé un tollé parce que cette consultation ressemble beaucoup à une opération visant, une fois de plus, à déresponsabiliser les dirigeants de Hockey Canada d’une décision horrible qu’ils ont prise le printemps dernier.
Les dirigeants de la fédération, rappelons-le, ont conclu en mai dernier une entente confidentielle avec une jeune femme alléguant avoir été agressée sexuellement par huit joueurs d’Équipe Canada junior à l’été 2018.
Mis au courant de la présumée agression quelques heures après les faits (en 2018), ils avaient rapidement commandé une enquête externe qui n’a rien donné parce qu'ils n’avaient pas forcé les joueurs à y participer.
Puis quand Hockey Canada a fait l’objet d’une poursuite civile de 3,5 millions en mai dernier (conjointement avec les huit présumés agresseurs), les dirigeants de la fédération se sont dépêchés de sortir leur chéquier et de régler l’affaire, ce qui a eu comme conséquence directe de protéger les présumés agresseurs.
Revenons maintenant à Martin Pronovost, qui est le genre de membre dont rêvent toutes les fédérations sportives.
La saison dernière, il était entraîneur d’une équipe midget BB (M18) de Lachenaie quand un événement inattendu l’a convaincu qu’il devait aussi s’impliquer comme arbitre.
Je suis arrivé avec notre équipe à Deux-Montagnes. C’était le premier match que les garçons allaient disputer depuis un an et demi, en raison de la pandémie. Mais quand nous sommes arrivés à l’aréna, la présidente du hockey mineur de Deux-Montagnes nous a annoncé qu’il n’y aurait pas de match en raison d’une pénurie d’officiels.
Je me suis dit que cette situation n’avait pas de sens pour les jeunes. Et dès le lendemain, j’ai donné mon nom pour devenir arbitre
, raconte-t-il.
En plus de se joindre à la confrérie des chevaliers du sifflet, Martin Pronovost a recruté une dizaine de nouveaux arbitres dans son entourage. Sa démarche a notamment inspiré l’un de ses fils, Félix, à emboîter le pas. Des amis de Félix et des amis de Martin ont aussi décidé de s’impliquer et de faire le saut. Le fils aîné de Martin Pronovost, Jérôme, agit quant à lui comme marqueur.
J’ai arbitré une soixantaine de matchs, dont au moins la moitié en compagnie de Félix. La pénurie d’officiels était telle que j’ai arbitré à quelques reprises des matchs impliquant mes fils. Et une fois, à la demande de l’entraîneur de Deux-Montagnes, j’ai même arbitré un match de l’équipe que je dirigeais parce que sinon, il n’y aurait pas eu de match. Ce fut une saison à la fois étrange et amusante
, raconte-t-il.
Comme bien des gens, et comme les membres du Parlement, Martin Pronovost a été scandalisé le printemps dernier en apprenant la manière dont les dirigeants de Hockey Canada avaient tenté de régler, en catimini, cette histoire de présumé viol collectif.
Spontanément, il avait notamment cessé de porter la casquette de HC qu’il s’était procurée avant la présentation du mondial junior en décembre 2021.
Mardi dernier, par curiosité, il a tout de même décidé de répondre au fameux sondage que la firme embauchée par Hockey Canada lui a fait parvenir par courriel. L’ensemble de l’œuvre, dit-il, l’a profondément choqué.
Après avoir parcouru le sondage dans son ensemble, il m’a semblé clair que ses auteurs ne recherchaient pas la vérité. Les questions n’étaient même pas subtiles. Ça semblait être un sondage payé pour obtenir des résultats bien précis. Un verdict permettant aux dirigeants de Hockey Canada de sortir sur la place publique pour dire : nos membres nous appuient!
S’ils avaient voulu vraiment connaître l’opinion des membres, ils l’auraient demandée. Mais à la place, on posait des questions comme : connaissez-vous le programme de la Fondation de Hockey Canada? Ou encore : saviez-vous que Hockey Canada a déjà fait telle bonne action? C’était ficelé de manière à obtenir, à la fin, les réponses qu’on voulait.
Avant de demander à leurs membres si la crise qui frappe Hockey Canada était le résultat d’une exagération des médias, des politiciens ou de la population, le sondage cherchait à savoir s’ils reconnaissaient que Hockey Canada avait fait du progrès ces dernières semaines en mettant un plan d’action de l’avant. Et si on devait laisser à l’organisation la chance d’exécuter son plan.
On leur demandait aussi s’ils reconnaissaient que ce plan assurerait que le hockey devienne sécuritaire et inclusif pour tous. Et on faisait valoir qu’un tel incident (le viol collectif) avait peu de chances de se reproduire.
La tournure des questions n’avait aucun sens
, estime Martin Pronovost.
Si tu veux me faire un cours sur l’historique ou sur la philanthropie de Hockey Canada, fais-le. Mais ne tente pas de me faire passer cela dans un sondage! Cette opération-là vise à influencer l’opinion publique en prenant les parents, les arbitres et les joueurs pour des nonos
, dénonce-t-il.
Je leur ai écrit que ce sondage est une honte et qu’ils devraient être gênés d’avoir recours à cela.
Sur le terrain, de nombreux acteurs du hockey mineur se demandent comment réagir pour faire entendre leur mécontentement. Martin Pronovost a choisi le sien. Il recouvrira de ruban gommé noir l’écusson de Hockey Canada qui orne l’une des manches de son chandail d’arbitre.
Porter cet écusson va à l’encontre de mes convictions
, dit-il.
Au début, j’ai songé à tout simplement découdre l’écusson. Mais je crois que le message sera plus clair si je le recouvre de ruban noir. Ce sera plus visible et ça sensibilisera peut-être davantage de gens qui ne connaissent pas cette histoire
, ajoute-t-il.
Martin Pronovost souligne qu’il s’agit d’une initiative personnelle. Mais compte tenu de sa crédibilité et de sa notoriété dans son milieu, il n’est pas impossible que d’autres officiels de sa région emboîtent le pas.
Mes amis feront bien ce qu’ils voudront. Mais je pense que ce serait bien si ça pouvait inspirer d’autres gens impliqués dans le hockey mineur à faire bouger les choses sur le terrain. Par exemple, si un arbitre de la Nouvelle-Écosse faisait la même chose, ou qu’un gérant d’aréna d’une province de l’Ouest retirait un drapeau de Hockey Canada, il y aura peut-être un effet d’entraînement.
Les dirigeants de Hockey Canada ne peuvent pas avoir cautionné des actions comme celles-là et croire que la vie est belle. La façon dont ils ont agi ne tient pas debout
, conclut-il.
Il y a un sage dicton qui dit que pour avoir un impact global, il faut savoir penser et agir localement.
Il sera intéressant de voir si d’autres membres de Hockey Canada emboîteront le pas ou trouveront une façon bien à eux, sur le terrain, de faire passer leur message aux dirigeants de la fédération.