La discussion sur les accommodements raisonnables ne s'est pas éteinte avec le dépôt du rapport de la commission Bouchard-Taylor, tant s'en faut. Le débat actuel sur le modèle de laïcité le mieux ajusté aux souhaits de la société québécoise montre la nécessité d'une réflexion de fond sur le pluralisme, l'intégration et la citoyenneté.
Dans ce contexte, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec, un organisme qui s'est souvent prononcé sur plusieurs questions afférentes à ce débat, continue de jouer un rôle actif. Le livre qu'elle vient de faire paraître, sous la direction de son directeur de recherche, Paul Eid, et de chercheurs spécialisés dans ces questions (aux Presses de l'Université Laval), se présente comme une contribution essentielle et on doit espérer qu'il sera lu et discuté par le plus grand nombre; on peut le considérer en effet comme le complément indispensable du rapport Bouchard-Taylor.
Perspectives variées
La richesse de cet ouvrage se mesure non seulement à la diversité des questions abordées, mais aussi à la variété des perspectives. De l'analyse juridique aux considérations sociologiques, c'est tout le domaine de la liberté de religion et du droit à l'égalité qui est ici passé en revue à la lumière des valeurs collectives du Québec. La tension entre les appartenances religieuses et l'appartenance citoyenne ne saurait être résolue sans la recherche d'un équilibre complexe sur tous les plans. Cet équilibre est possible, c'est la conclusion de l'ouvrage. Livre divisé en trois grandes sections, on y retrouvera entre autres cinq textes choisis par un jury de la commission pour la qualité de leur contribution au débat.
La première section regroupe des textes sur la gestion étatique du pluralisme religieux et s'ouvre par [une discussion critique du modèle républicain français de la laïcité, proposée par Jean Baubérot->aut2789]. Sensible à la nécessité des accommodements, l'auteur montre que l'État français a engagé une réflexion sur l'ouverture de la tradition républicaine à la considération des traits culturels constituant l'identité des citoyens. Spécialiste de la laïcité, Micheline Milot présente une analyse des variations du concept de laïcité, selon les débats où il est utilisé. Cette étude fournit un contexte très riche à son récent essai (Novalis, 2008). La question du port des signes religieux dans les établissements publics est traitée par Marianne Hardy-Dussault, qui analyse notamment la loi française sur leur interdiction dans l'école publique. Cet essai évalue aussi les conséquences de cette interdiction sur le plan de l'intégration citoyenne des jeunes filles musulmanes. Sébastien Lebel-Grenier et Anne Saris présentent des discussions sur les relations entre la religion et le droit positif. Le contexte canadien, et en particulier le jugement Amselem, est examiné à l'horizon d'un dialogue en évolution.
La deuxième section étudie les difficultés surgissant des conflits possibles entre l'affirmation de la foi et les exigences de la vie en société. Le juriste Pierre Bosset, anciennement directeur de la recherche à la commission, présente une analyse remarquable des conséquences juridiques du principe de l'égalité des sexes, en particulier en matière religieuse. Refusant l'idée d'une subordination des droits fondamentaux, il croit possible de fonder la conciliation entre l'exercice de la liberté religieuse et le principe de l'égalité dans le texte actuel de la Charte québécoise. [Ce même sujet est abordé par Louis-Philippe Lampron->aut2769], qui montre de son côté les imprécisions du droit canadien dans les cas de conflits de droits. Sa démarche est celle d'un recours au droit international, en particulier concernant la primauté du droit sur l'égalité des sexes.
Ces deux études sont fondamentales, elles sont au coeur du débat actuel, notamment au sein de la critique féministe des accommodements. Pierre Sercia et Paul Eid proposent, de leur côté, des portraits sociologiques de la pratique religieuse, le premier dans le cadre d'une école ethnoreligieuse, le deuxième relativement à la présumée ferveur religieuse accrue des immigrants. L'étude de Paul Eid montre, entre autres résultats intéressants, qu'il n'y a aucune donnée solide pour soutenir l'hypothèse d'un conflit entre une majorité sécularisée et une immigration minoritaire, fervente et pratiquante refusant le repli dans la sphère privée. Les nuances s'imposent des deux côtés, sachant notamment que les demandes d'accommodement sont loin d'être le privilège exclusif des minorités religieuses issues de l'immigration.
La dernière section présente une discussion philosophique du modèle libéral de la citoyenneté, et en particulier du régime de laïcité qu'il subordonne. Contrairement à ceux qui soutiennent que cette citoyenneté est incompatible avec la prise en compte de l'expression de la conviction religieuse dans l'espace public et qui en conséquence promeuvent un régime de laïcité qualifié de «strict», excluant toute manifestation de l'appartenance religieuse, [Jocelyn Maclure->aut2374] soutient que certaines convictions de con-science peuvent justifier l'accommodement et conduire à une laïcité «ouverte». Marco Jean, de son côté, propose une analyse inspirée des travaux de Jean-Marc Ferry et conduisant à un dialogue citoyen, où les doctrines du bien provenant de croyances religieuses pourraient être réincorporées dans la délibération publique dans une traduction sécularisée. Un dernier essai, celui de [Stéphanie Tremblay->aut2185], présente la question de la diversité religieuse dans l'école. Auteure d'un bel essai sur l'enseignement de la culture religieuse (Fides, 2009), elle met en relief la richesse du processus actuel dans l'intégration du pluralisme et la gestion de l'accommodement au sein de l'école.
***
Collaborateur du Devoir
"Appartenances religieuses, appartenance citoyenne. Un équilibre en tension" - Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec
Pluralisme et laïcité : contribution au débat
Le débat actuel sur le modèle de laïcité le mieux ajusté aux souhaits de la société québécoise montre la nécessité d'une réflexion de fond sur le pluralisme, l'intégration et la citoyenneté.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé