Alimenté par un débat sur l’identité nationale, reconverti en discussions sur l’immigration et «la préférence nationale», le vote du Front national se nourrit surtout d’une critique des conséquences politiques de l’universalisme promu par l’Europe.À RETENIR
Identités à la dérive
_ Spyros Theodorou (sous la dir. de)
_ Éditions Parenthèses, coll. « Les savoir à l’oeuvre »
_ Marseille, 2011, 410 pages
La montée des partis de droite en Europe a trouvé ces derniers jours une confirmation supplémentaire avec le vote français pour le Front national. Alimenté par un débat sur l’identité nationale, reconverti en discussions sur l’immigration et « la préférence nationale », ce vote se nourrit surtout d’une critique des conséquences politiques de l’universalisme promu par l’Europe. Face à la diversité croissante des sociétés, on voit en effet se développer à droite un argument culturaliste dont l’effet le plus net est l’exclusion. Certaines minorités seraient inassimilables, d’autres seraient si tributaires d’une culture particulière qu’elles seraient irréconciliables avec la République. Le délire meurtrier du Norvégien Anders Breivik, contenu dans un long manifeste contre le pluralisme et le multiculturalisme, reprend tous ces arguments et les transforme en programme d’action.
À quelle distance, peut-on demander, se situent les partis d’extrême droite des arguments de ce manifeste ?
L’intérêt du recueil préparé par Spyros Theodorou est de montrer l’impasse dans laquelle s’enferment tous ceux qui croient trouver dans une revendication particulariste et identitaire une protection contre la particularité des autres. Comment ne pas voir en effet dans le recours systématique au concept de l’identité la recherche d’une valeur refuge systématiquement surinvestie par cela même qu’on entend exclure ?
Au lieu de rouvrir la grande porte de l’universalisme des Lumières, seul idéal politique capable d’accueillir la richesse des différences au sein d’une communauté politique élargie et consciente du défi du pluralisme, le communautarisme devient à la fois le problème et la solution. Theodorou le dit simplement dans sa présentation : la reviviscence de l’intégrisme n’est que l’envers d’une structure qui engendre le communautarisme national, tous deux participent de la même frayeur et du même repli devant l’universel en devenir.
Les fondements de l’identité
Le livre rassemble une vingtaine de contributions, préparées par les meilleures plumes de la science sociale française. De Michel Wieviorka à Jean-François Bayart, de Patrick Weil à Pierre Hassner, la réflexion progresse en examinant les fondements sociologiques et anthropologiques de l’identité. L’analyse de cas particuliers, comme la colonisation, se juxtapose à une réflexion sur la construction des identités contemporaines et le conflit des mémoires. Le titre évoquant une dérive des identités s’explique par le constat qui se dégage de la plupart de ces contributions : il n’existe rien de tel que des identités figées, transhistoriques. Toutes sont au contraire soumises aux transformations induites par le mouvement social, l’immigration, la culture. La seule idée de se réclamer de traditions inamovibles trahit un voeu inavouable : freiner le temps, résister à la différence.
C’est ainsi qu’on peut raisonnablement soutenir que les authentiques Américains aujourd’hui sont les Chinois et que tous les intégrismes réactionnaires s’alimentent de stéréotypes fondés sur des fictions. Sortir la France de l’Europe pour lui faire retrouver la virginité de Jeanne d’Arc ou le beurre charentais est un cas d’espèce, mais pas franchement différent, dans son argument, du discours de Breivik. La xénophobie qui engendre ces dérapages n’est elle-même que le symptôme d’une angoisse identitaire, dont tous les auteurs de ce livre explorent les figures complexes et troublées.
Si le philosophe Vincent Descombes peut demander combien chacun de nous possède d’identités, on pourrait être tenté de le réfuter par un permis de conduire. Mais chacun sait que replier notre identité sur une appartenance simple ne dit rien de nos options sur l’universel : valeurs partagées, accueil de la différence. C’est sur ce terrain que se place Patrick Weil, en examinant le statut de la diversité au sein de la République. Son essai est concret et discute de mesures législatives précises. Mais il n’est pas le seul à le faire, il suffit de lire Emmanuel Todd pour comprendre les défis concrets de l’universalisme français, toujours déjà rabattu sur l’identité française. Michel Wieviorka, qui s’est beaucoup engagé sur ce chantier, examine les défis actuels du modèle français d’intégration et critique sa rigidité. On appréciera aussi une des conclusions de Jean-François Bayart, à la fin de sa critique du culturalisme : « Il n’y a pas d’universalisation qui ne procède par réinvention de la différence. »
Livre riche et stimulant qui nous arrive de Marseille, cet ouvrage est en résonance avec beaucoup de débats actuels au Québec. Il illustre pour qui en douterait la vitalité de la réflexion française sur le pluralisme.
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Collaborateur
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