La signature par le président américain d'un décret reconnaissant formellement la souveraineté d'Israël sur le plateau du Golan a suscité la réprobation internationale. Mais change-t-elle quelque chose à la situation au Proche-Orient?
1. Qu’est-ce que le Golan?
Cette région montagneuse, à cheval entre le Liban, la Syrie, la Jordanie et Israël, faisait partie de la Syrie avant d’être conquise par l’État hébreu en 1967 lors de la guerre des Six Jours.
Après la guerre du Kippour, en 1973, lorsque les Syriens ont tenté de la reprendre, les deux États sont parvenus à un accord de cessez-le-feu, et un contingent de Casques bleus a été déployé sur une zone tampon démilitarisée, à l’est du plateau.
Au fil des ans, une trentaine de colonies israéliennes ont été créées sur le Golan, qu’Israël a annexé unilatéralement en 1981, invoquant des raisons de sécurité.
Cette annexion n'a cependant jamais été reconnue par la communauté internationale.
Le Conseil de sécurité de l’ONU a voté plusieurs résolutions demandant à Israël de se retirer du plateau, réaffirmant que « l'acquisition de territoire par la force est inadmissible aux termes du droit international, notamment de la Charte des Nations unies », et stipulant que « la décision prise par Israël d’imposer ses lois, sa juridiction et son administration dans le territoire syrien occupé des hauteurs du Golan est nulle et non avenue et sans effet juridique sur le plan international ».
Le Golan a une importance stratégique majeure.
C’est d’ailleurs ce qu’a souligné le président Trump, lorsqu’il a écrit sur Twitter que ce territoire était « d'une importance stratégique essentielle pour la sécurité de l'État d'Israël et la stabilité de la région ».
« Le Golan surplombe le territoire israélien », rappelle Julien Bauer, professeur associé au département de science politique de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), qui soutient qu’entre 1948 et 1967, les bombardements depuis le Golan vers les villages israéliens étaient fréquents. « Vous êtes en haut, avec des jumelles vous voyez l'intérieur des maisons en bas [...] On peut difficilement demander à une population de revenir à cette situation-là. »
Une opinion partagée par Jonathan Schanzer, vice-président à la recherche à la Foundation for Defense of Democracies, à Washington, qui souligne la multiplicité des menaces qui pèsent sur Israël, dans le contexte d’un État syrien en déroute et d’un Hezbollah renforcé.
« Le dictateur aux commandes de ce qui reste de la Syrie a utilisé des armes chimiques contre sa propre population, affirme-t-il. Son armée, décimée, est contrôlée par les Russes et les Iraniens. Si les Israéliens devaient remettre le plateau du Golan à Bachar Al-Assad, ce serait une grave erreur. »
À ce stade-ci, je pense que ce n’est pas une aussi grande controverse que si les Israéliens avaient annexé le Golan en 1970, par exemple.
« D’un point de vue militaire, c’est important pour Israël de contrôler le Golan pour mieux se défendre des menaces en provenance de la Syrie, reconnaît Ofer Zalzberg, analyste principal pour Israël-Palestine à l'International Crisis Group, à Jérusalem. Mais je ne vois pas ce que la reconnaissance américaine [...] ajoute à la sécurité d’Israël. »
Qui plus est, cette prise de position du président Trump va à l’encontre de la politique américaine des 50 dernières années, soutient Julie-Pier Nadeau, chercheuse à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand, à l’Université du Québec à Montréal (UQAM).
« Les États-Unis ont une alliance stratégique avec Israël et un appui général de sa posture dans la région, mais ils se sont toujours gardé une certaine neutralité en ce qui a trait au territoire et aux frontières d’Israël, autant dans le conflit israélo-palestinien que sur la question du Golan. La position américaine traditionnelle [...] c’est de dire que les frontières officielles doivent être négociées », souligne Mme Nadeau.
La reconnaissance de l’annexion du Golan n’est cependant pas le premier geste de l’administration Trump ouvertement pro-Israël, précise la chercheure. « Tout comme le déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem, dans les faits, ça ne change pas grand-chose, mais symboliquement, ça témoigne d‘un appui assez fort à Israël », affirme Julie-Pier Nadeau.
Ces décisions du président américain ont eu, cependant, peu d’impact, croit Ofer Zalzberg. À part le Guatemala (et le Paraguay, qui a ensuite changé d'avis), aucun autre pays n’a suivi l'exemple des États-Unis.
Et après la décision américaine de ne plus financer l’agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNWRA), d’autres États se sont empressés d’augmenter leur contribution. « Pour le moment, les États-Unis et Israël sont isolés », croit l’analyste.
2. Pourquoi agir maintenant?
La reconnaissance américaine survient à un moment très particulier, à deux semaines d’élections chaudement disputées en Israël.
Le premier ministre sortant, Benyamin Nétanyahou, qui cherche un cinquième mandat, est menacé par la justice d'être inculpé pour « corruption » dans trois affaires. Selon les sondages, il est au coude-à-coude avec le parti Bleu et blanc de Benny Gantz et Yair Lapid.
La sortie de M. Trump est un coup de pouce indéniable pour M. Nétanyahou, un proche de la famille du gendre du président Trump, Jared Kushner, croit Julie-Pier Nadeau. « Considérant l’affinité personnelle de M. Trump avec M. Nétanyahou, on pourrait penser que M. Trump a voulu lui faire un cadeau pour montrer le lien particulier entre les deux hommes et éventuellement aider à sa réélection », précise-t-elle.
M. Nétanyahou l’en a d’ailleurs chaudement remercié, après leur rencontre bilatérale à Washington, lundi. « Je crois qu’il y a un lien unique entre nos deux pays, entre nos administrations, entre nous deux, a dit le premier ministre. Il n’y a jamais eu de plus grand lien. Cela sert les intérêts d'Israël d'une manière que je ne peux pas commencer à décrire, parce que tout ce dont le président et moi-même parlons ne peut être partagé publiquement. »
M. Nétanyahou mise sur cette amitié pour se faire réélire, se présentant comme le meilleur homme d’État.
« Nétanyahou peut se péter les bretelles en disant : c’est quand moi j’étais premier ministre qu’on l’a reconnu », affirme Julien Bauer.
On en discutait depuis longtemps à Washington, mais on l’a fait délibérément avant les élections.
Le chercheur rappelle que, par le passé, les présidents américains ont souvent pris des décisions susceptibles d’influencer les élections israéliennes.
3. Qu’est-ce que ça change?
Dans la pratique, cette reconnaissance ne modifiera pas grand-chose, pensent les analystes que nous avons consultés.
« Ça donne un argumentaire à Israël de dire que les États-Unis reconnaissent leur légitimité sur ce territoire », croit Julie-Pier Nadeau. Cependant, rappelle-t-elle, le droit international ne reconnaît pas les territoires acquis par la force.
Ça reste une reconnaissance unilatérale. Ça ne change pas, dans les faits, le statut du territoire.
« Est-ce que la reconnaissance américaine transformera le consensus international? se demande Ofer Zalzberg. [...] C’est très peu probable », croit le chercheur.
Les ennemis et les alliés des États-Unis ont dénoncé la décision américaine et répété que l’occupation israélienne du Golan est considérée comme illégale au regard du droit international.
Toutefois, la reconnaissance américaine ne provoquera pas de grands remous, affirme Jonathan Schanzer.
Les États arabes protesteront pour la forme, mais ça n’ira pas tellement plus loin, pense-t-il. « En fin de compte, je crois qu’ils sont plus inquiets par la menace iranienne et par la façon de coopérer avec Israël pour la neutraliser. Ce ne sont pas des fans du régime Assad, qui a massacré des centaines de milliers d’Arabes sunnites. »
Au cours des dernières années, Benyamin Nétanyahou a déployé de grands efforts diplomatiques envers les pays du Golfe, visitant notamment le Sultanat d’Oman à l’automne 2018. En février, il a participé à une conférence à Varsovie, s’asseyant à la même table que des représentants du Bahreïn, d'Arabie saoudite et des Émirats arabes unis, afin de discuter de la menace commune que représente l’Iran chiite à leurs yeux.
Pour les pays du Golfe, contrer l’influence iranienne dans la région semble être devenu plus pressant que de défendre la cause palestinienne.
La reconnaissance américaine de la souveraineté israélienne sur le Golan s'inscrit dans cette nouvelle approche, qui espère voir les États arabes s’aligner sur Israël pour s’opposer aux visées iraniennes dans la région. La Maison-Blanche espère ainsi en arriver à un nouveau processus de paix israélo-palestinien qui aurait des chances de réussir.
L’administration Trump veut « redistribuer les cartes au Proche-Orient en disant : la façon dont on a essayé de faire la paix depuis des dizaines d’années ne marche pas, on va tenter de faire autre chose », affirme Julien Bauer.
Ofer Zalzberg n’est pas convaincu que ce calcul fonctionnera. Il risque au contraire de miner la crédibilité des Américains et nuire au rapprochement amorcé, croit-il. « Ça va générer du scepticisme vis-à-vis des engagements israélo-américains en matière d'accords; plus généralement, cela signifie qu’Israël peut acquérir un territoire par la force et cela serait considéré comme légitime. »
Cette décision affaiblit le rôle des États-Unis en tant que médiateur efficace entre Israël et les interlocuteurs arabes.
4. La prochaine étape, la Cisjordanie?
Certains craignent que la reconnaissance américaine n’encourage le gouvernement israélien à tenter d’annexer la Cisjordanie, que l'État hébreu occupe également depuis 1967. Jérusalem-Est, qui en fait partie, a déjà été annexé en 1980.
« Quand vous entamez une guerre d’agression et vous perdez du territoire, ne venez pas le réclamer ensuite, a soutenu M. Nétanyahou à la sortie de la rencontre avec M. Trump. Il nous appartient. »
Selon ce que rapportent plusieurs médias, de récents documents du département d’État américain décrivent la Cisjordanie et Gaza comme des territoires « contrôlés par Israël » plutôt qu’« occupés par Israël », comme c’était le cas auparavant.
C’est toutefois peu probable qu’Israël annexe la Cisjordanie, pense M. Bauer. « Il y a une énorme différence avec le Golan : c’est la population. »
Environ 40 000 personnes vivent dans le Golan, dont la moitié sont des Druzes et la moitié sont des Israéliens. En Cisjordanie, il y a plus de 2,5 millions de Palestiniens et plus de 400 000 colons israéliens.
« Ce n’est pas comparable en termes de sécurité non plus », croit le chercheur, étant donné la situation stratégique du Golan.
De plus, affirme Ofer Zalzberg, les Américains ont déclaré que le cas du Golan ne constituait pas un précédent. Lors d’une conférence de presse, mardi, le secrétaire d’État, Mike Pompeo, a déclaré qu’il s’agissait d’une « situation incroyablement unique ».
« Il est clair que les États-Unis n’essayent pas de créer un nouveau précédent applicable universellement », soutient M. Zalzberg.
Une opinion partagée par Jonathan Schanzer. « Ce sera beaucoup plus difficile pour les Israéliens [d’annexer la Cisjordanie], même s'ils le souhaitaient », croit-il.