Pierre Karl Péladeau pourrait-il jouer un rôle similaire à celui de Lucien Bouchard en 1995 dans le cadre d'un prochain référendum gagnant?
Actionnaire de contrôle du plus important propriétaire de journaux au pays (dont les journaux Sun), le principal intéressé reconnaît «intéressant de constater que son CV peut offrir un certain nombre de compétences et d'expériences», tout en rappelant que ce sera à la première ministre Pauline Marois de «déterminer les rôles [...] au moment opportun».
À sa deuxième journée comme politicien, l'un des ténors du Québec inc. discute en entrevue à La Presse d'indépendance, d'économie, de politique - jusqu'à la situation en Écosse et en Catalogne, où il juge «inacceptable» que les Catalans ne puissent tenir de référendum. Mais il ne dit pas s'il a toujours voté pour le Parti québécois depuis son retour au Québec à la fin des années 90, et reste vague sur les avantages économiques de la souveraineté. Entretien.
Les référendums
Q En 1995, Lucien Bouchard a été désigné comme négociateur avec le Canada, advenant une victoire du «oui». Vous connaissez très bien le Canada anglais, vous êtes l'actionnaire de contrôle du plus important propriétaire de journaux au pays. Que pouvez-vous apporter au Parti québécois et au mouvement souverainiste par rapport à vos connaissances du Canada anglais?
R C'est clair que j'ai eu l'occasion dans ma vie professionnelle d'opérer et de gérer des entreprises pas seulement au Canada, mais un peu partout dans le monde. J'ai passé quatre ans en Europe. [...]
Q Mais pensez-vous que vous pouvez jouer un rôle similaire [à celui de M. Bouchard] s'il y a un autre référendum?
R Effectivement, ça peut être intéressant de constater que mon CV peut offrir un certain nombre de compétences et d'expériences. Ce sera à Madame la première ministre de déterminer quels sont les rôles qui vont être joués par son entourage. Je tiens à réitérer mon soutien indéfectible à Mme Marois. J'apprécie énormément son leadership. Ce sera à elle de prendre les décisions au moment opportun.
Q Depuis votre retour au Québec [en 1997], avez-vous toujours voté pour le PQ?
R Je n'ai pas à vous dire de quel côté j'ai voté.
Q Sans en faire un engagement, souhaiteriez-vous faire un référendum au cours du prochain mandat?
R Mon souhait est de soutenir la première ministre pour faire en sorte que nous puissions consulter les Québécois le plus efficacement possible pour avoir le débat le plus large, éclairer la population, lui transmettre le plus d'information possible, afin que la population ait toute l'information requise pour juger en toute transparence et en toute intégrité.
L'indépendance et l'économie
Q L'indépendance du Québec est-elle avantageuse, à votre avis, sur le plan économique?
R L'indépendance du Québec doit se faire. Un peuple, une nation est légitimement en droit d'avoir un pays. Le Québec doit-il avoir un pays? De mon côté, la réponse est indubitable. Nous avons tout ce qu'il faut au Québec pour avoir un pays, nous avons des compétences, la créativité, nous avons un réseau d'enseignement exceptionnel, un État de droit. [...]
Q Est-ce que vous estimez que c'est avantageux sur le plan économique?
R Ça va être avantageux de faire en sorte que nous puissions avoir toutes les compétences et tous les attributs d'un État, que ces compétences-là ne soient pas partagées entre deux ordres de gouvernement, en l'occurrence le fédéral et le Québec.
Q Quand il était au PQ, François Legault a tenté de démontrer avec des études qu'un Québec indépendant serait en meilleure posture sur le plan financier. Est-ce une opinion que vous partagez?
R Il va y avoir un débat, comme l'a souhaité Madame la première ministre. On va avoir l'occasion d'échanger, de partager, de donner la parole à des experts pour avoir le choix le plus éclairé. Clairement, quand on entame des discussions avec des experts, il peut y avoir différentes perspectives. Comme on dit en anglais, à la fin de la journée, ce sera à la population de décider.
Les arguments des fédéralistes
Q Qu'est-ce que vous pensez des arguments économiques des partis fédéralistes, parfois désignés chez les souverainistes comme des «campagnes de peur» ?
R Ce n'est pas une nouveauté. [...] Il y a trois pays occidentaux qui font face au même genre de débat actuellement: l'Espagne avec la Catalogne, le Royaume-Uni avec l'Écosse et la Belgique avec la Flandre. On constate les mêmes tactiques, les mêmes menaces qui sont utilisées. On a vu le premier ministre [britannique David] Cameron sortir récemment contre les prétentions des Écossais et de leur premier ministre M. [Alex] Salmond. C'est un peu la même chose qui est en train de se produire en Espagne, d'une façon un peu plus musclée parce que les Catalans n'auraient même pas le droit de tenir un référendum. Comment peut-on nier à une nation le droit de se questionner et de décider de son autodétermination? Ça m'apparaît inacceptable.
De PDG à politicien
Q Comme chef d'entreprise, vous avez défendu des prises de position. Comme candidat aux élections, y a-t-il de ces prises de position avec lesquelles vous n'êtes pas d'accord à 100%?
R Lorsqu'on est à l'emploi d'une entreprise, on doit défendre les intérêts de l'entreprise. Pas à n'importe quel prix évidemment, toujours en respect de la loi et des règlements. C'est ce que j'ai fait. Maintenant, est-ce que les lois sont toujours aussi claires? Est-ce qu'il y a des interprétations qui sont possibles? [Y a-t-il des] gestes à poser pour gérer le plus adéquatement possible son entreprise? C'est là qu'on peut distinguer entre les différents PDG ceux qui sont gestionnaires et ceux qui sont visionnaires. C'est toujours un peu difficile de parler de soi-même, mais permettez-moi quand même, malgré tout, de le faire à mon sujet. Je pense avoir été visionnaire dans la mesure où j'ai tenté d'anticiper le mieux possible les tendances profondes.
Q Vous êtes très identifié aux enjeux économiques en raison de votre passé professionnel. Quels sont vos autres champs d'intérêt?
R Mes champs d'intérêt sont nombreux, malgré énormément d'efforts et d'énergies déployés comme PDG. Mon profil académique a été la philo et le droit, j'ai toujours été intéressé [...] aux grands débats et enjeux sociaux. J'ai une affection particulière pour le milieu culturel [...] et énormément d'intérêt pour l'histoire, que ce soit celle du Québec ou l'histoire contemporaine. Je suis un curieux de nature, c'est ce que mon passage à l'université m'a laissé comme cadeau.
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