Pierre Bourgault: homme de théâtre médiatique

RIN 50e - le 10 septembre 1960-2010 - "Bourgault"

À l'occasion de la parution de Bourgault (Lux éditeur), nous publions un extrait du chapitre 15, intitulé «Le retour du bélier».

Bourgault oeuvre dans les médias tel un poisson dans l'eau. L'homme politique cède volontiers la place au communicateur. Rompu aux usages des médias modernes, il baratine aussi sur plusieurs sujets légers, qui lui dessinent peu à peu une image de personnalité envers qui l'auditeur doit s'intéresser globalement. En janvier 1975, à la populaire émission Appelez-moi Lise, animée par Lise Payette, Bourgault dit détester les petites villes, les jeunes enfants et les entrevues! Un bon communicateur sait surprendre son public, bien sûr... Lors de la même émission, il annonce qu'il vient d'écrire une chanson, L'Or, l'argent et le bronze, pour un concours à l'occasion de la tenue des Jeux olympiques d'été à Montréal. Cette chanson terminera deuxième au concours, remporté par le parolier Stéphane Venne.

À la différence de plusieurs habitués d'émissions mondaines plus ou moins creuses, Bourgault précise tout de même qu'il ne dit rien lorsqu'il n'a rien à dire. Mais pourquoi alors accepter souvent des invitations dans ces théâtres du vide? «J'aurais dû refuser mais j'accepte par habitude, par paresse, par vanité ou parce que c'est mon métier de le faire. En partant, je suis déjà convaincu de l'inutilité de l'entreprise, aussi bien pour moi que pour les téléspectateurs», écrit-il dans le magazine Nous à l'été 1976, à la suite d'une invitation à apparaître de nouveau à l'émission de Lise Payette.

Que se trouve-t-il à faire dans certains de ces théâtres médiatiques, sinon à flatter sa vanité de paraître tel un personnage public d'importance? S'il n'a tout simplement rien à dire, Bourgault l'affirme, à la différence de bien des gens de ce milieu, mais il n'en fait pas moins comme tout ce petit monde en acceptant de jouer le jeu de la confidence à la caméra.

«Qu'à cela ne tienne! Il faut parler quand même. Et je parle... de sujets que je connais à peine ou auxquels je n'ai pas encore assez réfléchi. Quelques centaines de milliers de spectateurs, à l'autre bout de la ligne, me regardent, sans doute fascinés par ce moulin à parole qui tourne à vide. Je ne peux pas m'empêcher de penser que je suis en train de perdre mon temps et de le faire perdre aux autres.»

En ondes, devant une Lise Payette ahurie, il ose même couper court au bavardage complaisant d'usage pour lui demander, à brûle-pourpoint, si elle n'a pas l'impression, comme lui, que ce qu'ils fabriquent -- une savante bouillie de questions et de réponses vagues -- s'avère parfaitement inutile...

Espace conservateur, observe-t-il, la télévision entretient un système de vedettariat qui bénéficie d'abord à ceux qui la servent. «Ce groupe a donc des intérêts solides à défendre et les contestataires y sont rares.»

Mais parce qu'elle s'appuie sur une toute petite population, la télévision québécoise possède à son sens un avantage: elle ne peut pas sans cesse carburer au vedettariat et doit faire appel à de simples citoyens. Une chansonnette, une conférence dans un collège ou un exploit sportif très mineur dans une ligue non moins mineure suffisent à vous assurer un passage à la télévision. «Car la télévision chez nous, malgré des cadres rigides et malgré son intégration formelle au système, est forcément obligée d'éclater dans toutes les directions et de devenir un véritable instrument de participation pour une population qui a plus envie que jamais de s'exprimer.»

Lucide, Bourgault constate bien que pareil système, lorsqu'il ne carbure pas au vedettariat, faute de vraies vedettes, a aussi le défaut de s'engouffrer dans une complaisance parfois éhontée. «Comme on a toujours besoin de plus en plus de monde pour nourrir le monstre, il peut arriver qu'on fasse appel à des gens fort médiocres qui n'ont rien à dire, qui chantent mal ou qui patinent sur les bottines. Il faut faire attention à ce piège, car c'est alors donner une importance considérable à des gens qui dans tout autre pays auraient du mal à se faire inviter à présider une noce de campagne.» Bourgault, jamais avare de pointes, en veut pour exemple, ce jour-là, Patrick Norman: «Un "chanteur" qui aurait dû depuis longtemps aller vendre des cravates ou des souliers»...

Il existe bel et bien des personnalités inutiles que les médias créent de toutes pièces. Bourgault estime aussi que certaines formes de communication sont inutiles. Car pourquoi faut-il absolument remplir une grille de programmation nuit et jour? Dans l'absolu, on pourrait fort bien limiter le temps d'antenne, croit-il. Mais comme les médias ont beaucoup trop d'espace libre par rapport à ce qui mérite d'être dit, il leur faut bien voir à remplir tout cela, quitte à se satisfaire de bouillie pour les chats.

Bourgault a beau clamer qu'on ne devrait jamais accorder d'entrevue à moins d'avoir vraiment quelque chose à dire, il participe tout au long de sa vie, comme d'autres, à nombre d'entrevues bidon ou à des jeux-questionnaires parfaitement idiots. Pourquoi? Par vanité, par habitude, mais aussi parce que ces activités médiatiques sont presque toujours très bien rémunérées. Les médias lui servent aussi à remplir son portefeuille. Du vide médiatique, Bourgault en remplit donc de sa présence, autant qu'il le peut, de son mieux, se faisant même prendre à l'occasion à savourer le reflet de sa propre image à fleur d'écran. [...]


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