Je n'ai pas l'intention ici de dispenser le lecteur d'entreprendre lui-même une incursion [Aux Pays des Merveilles->622]. Je désire seulement relever en les resserrant quelques lignes directrices de l'argumentation.
Toute la stratégie du livre d'André Pratte est basée sur une tentative de réappropriation de la fibre nationaliste québécoise que l'auteur cherche à rendre compatible avec ce que Georges-Étienne Cartier appelait la « nationalité politique » canadienne (45). Le régime fédéral aurait même l'avantage insigne, apprend-on, de nous permettre de « combiner des identités multiples » (116). Il ne faut donc pas se surprendre que le gros de la démonstration, outre le recours aux arguments économiques et le chantage habituel à l'instabilité, porte sur le thème labile de l'identité et la soif de reconnaissance des Québécois qui, incapables, semble-t-il, de se la donner eux-mêmes, ont besoin de la recevoir du grand frère à Ottawa (16, 30, 41, 43, 44, 65, 97).
Soyons honnêtes. En dépit du pli rationaliste qui lui fait voir les mythes uniquement par le petit bout de la lorgnette, il faut savoir gré à André Pratte de cibler certains travers ayant cours dans le camp souverainiste : la mentalité d'assiégés qu'entretiennent quelques zélateurs nationalistes s'évertuant à préserver notre « identité usurpée », comme si, depuis la Conquête et les Rébellions de 1837-1838 les deux nationalités française et anglaise, malgré les clivages, n'avaient pas cessé d'interagir ; l'indépendance comme remède universel ; la tendance à la présomption et à la « self-fulfillment prophecy » (quelque chose comme prendre ses désirs pour des réalités) à laquelle renvoie le titre de l'ouvrage ; l'obsession du « seuil magique » 50% + 1 ; l'illusion que même un vote majoritaire au référendum représenterait un aboutissement quelconque ; le mythe du divorce à l'amiable entretenu par des stratèges péquistes de haut niveau - toutes préventions dont le but est d'atténuer le fait que la sortie de l'état de tutelle et le passage à la souveraineté marqueront une cassure.
Incidemment, l'auteur ne dédaignant pas recourir, à l'occasion, à l'histoire hypothétique, on aurait pu s'attendre à un développement plus étoffé au sujet des suites prévisibles d'un « OUI » à un éventuel référendum sur la souveraineté : épreuve de force et déploiement de tout l'arsenal de demi-vérités, de mauvaise foi, de tergiversations et de duplicité dans le jeu normal des négociations, sans oublier les menaces de partition et de saucissonnage du territoire québécois en enclos loyalistes, comme l'évoquait Justin Trudeau l'an dernier à Tout le monde en parle et l'animateur anglophone au débat des chefs lors des dernières élections fédérales. Ceux qui, à cet égard, s'intéressent à notre folklore politique se souviendront des morceaux d'anthologie adressés à l'endroit du PQ au début des années 70 et pendant le référendum de 80. Comme l'écrivait Marcel Rioux (Pour prendre publiquement congé de quelques salauds, 1980, p. 14), dans le camp fédéraliste, tout démystificateur que l'on soit, la meilleure arme consistera toujours à « faire peur, par tous les moyens ».
Chemin faisant, André Pratte aurait pu en profiter pour démolir le mythe de l'étapisme au PQ - authentique cage à homard s'il en est qui, contrairement à ce que pense Lysianne Gagnon, sert à trapper les séparatistes eux-mêmes. Faut croire, à force, que les fédéralistes ont fini par s'en accommoder. Et, tant qu'à y être, dans son entreprise de déboulonnage, l'auteur aurait pu également s'employer à mettre au moins en perspective sinon à débusquer les mythes des fédéralistes québécois :
Mythe de l'autonomie québécoise (18, 20, 68, 70, 102, 112, 123) ;
Mythe du pacte entre deux peuples fondateurs (83, 112, 120) ;
Mythe de l'association d'égal à égal entre deux États (28, 71) ;
Mythe de la souveraineté partagée (113) ;
Mythe de la maîtrise de notre destin (40, 110) ;
Mythe de la mosaïque canadienne (118) ;
Mythe d'une fédération décentralisée (20-21) ;
Mythe enfin de l'influence du Québec à Ottawa (inversement proportionnelle à celle que le Québec ne pourra jamais espérer exercer sur la scène internationale).
Malheureusement, entre les deux camps, l'auteur ne tient pas la balance égale. Pour reprendre ses propres mots, malgré « un effort sans cesse renouvelé » (45), il est incapable d'« un regard critique sur ses propres préjugés » (idem). Les vues à sens unique et la partialité manifeste de l'éditeur en chef à La Presse ne lui permettent rarement en fait de dépasser le point de vue de la petite politique partisane.
Fait à souligner, dans Aux pays des merveilles, la défense et illustration du fédéralisme canadien repose en grande partie sur un substrat émotif. Si André Pratte se présente d'emblée comme un réaliste prudent, force est de constater en effet que le registre de la sensibilité et des affects couvre une large gamme, allant de la gêne (96), à la tristesse (15), au « dégoût » (94), à la « frayeur » (31) jusqu'à la « consternation » (34) - trajectoire que recoupent et croisent à l'occasion le sentiment d'être « profondément blessé » (28) ou « ulcéré » (43), quand il n'est pas question de « relents » de souffrance (98) ou du « creux de nos entrailles » (idem), dans un glissement caractéristique du « je » à un « nous » curieusement non inclusif (45, 88).
Trois remarques s'imposent ici.
Il semble de prime abord que monsieur Pratte soit beaucoup plus infecté qu'il ne le prétend par le virus de la victimisation et la tendance à la martyrologie qu'il relève chez les souverainistes et dans tout un courant historiographique.
On peut se demander aussi pourquoi évacue-t-il d'office du « nous » québécois les anglophones et les communautés ethniques. On retrouvera la même erreur fondamentale de conception dans ses considérations historiques.
Notons enfin que ce « nous » québécois francophone rapetissé au niveau des affects coexiste chez lui harmonieusement avec le « nous » inclusif canadien, seul agent autorisé permettant comme on l'a vu de « combiner les identités multiples ».
L'analyse, même sommaire, d'une phrase pourra servir à cet égard d'illustration du style de démonstration que le lecteur retrouvera tout au long de ce livre : « Beaucoup de nationalistes, et j'en suis, ressentiraient une grande fierté à voir le Québec mieux reconnu par le monde. Ne serait-ce pas un fantastique pied de nez au Canada anglais, qui lui n'a jamais voulu reconnaître pleinement la nation québécoise ? » (65).
On se demande quelle portée exacte recouvre l'expression « fantastique pied de nez » chez ce pourfendeur de l'immaturité psychologique des souverainistes, toujours prêts à chialer et jamais contents, comme on sait, même si, dans la plupart des cas, ils finissent par obtenir toujours tout ce qu'ils veulent du gouvernement fédéral. Le trait lui aura sans doute échappé. Mais qu'on se rassure. Si le recours au conditionnel et à la forme interrogative n'était pas déjà en soi suffisant, la fausse piste est aussitôt suivie d'un réflexe de prudence non moins caractéristique qui aboutit, comme il se doit, à une dénégation sans équivoque : « Nous ne pouvons nous permettre que le point de vue national soit embrouillé par les points de vue dissidents des gouvernements provinciaux » (69). On l'aura compris. Le « point de vue national » et le « nous » cette fois ne se rapporte plus au « nous » non inclusif québécois, mais à un « nous » inclusif canadien. Et il va de soi que les deux ne sauraient être mis sur un pied d'égalité. Pas de doute : à force de pratiquer, monsieur Pratte est devenu expert lui-même dans l'art de brouiller les ondes.
On pourrait comparer ses tours de passe-passe rhétoriques au moi freudien coincé entre le Ça et le Surmoi si son style ne rappelait les contorsions d'Arlequin, dans la pièce de Goldoni, en serviteur de deux maîtres. Difficile arbitrage s'il en est. Pas de doute néanmoins de quel côté va son allégeance en cas de conflit entre ces instances - raison d'État oblige. Soyons indulgents. Ça ne doit pas être toujours une partie de plaisir de concilier dans une même tête la « nationalité politique » canadienne et une viscéralité toute québécoise, posture qui aurait attiré à bon droit les sarcasmes de Trudeau.
Dans la démonstration de l'éditorialiste en chef de La Presse, l'ambivalence émotive et les distorsions subtiles du « nous » viennent appuyer l'argument de ce qu'il faut se résoudre à appeler la dépréciation des affaires constitutionnelles.
Tout cartésien qu'il soit, André Pratte, dans son souci constant de se rendre accessible, ne craint pas de se présenter comme un individu moyen pour qui les questions de cet ordre sont trop abstraites en comparaison des réalités palpables. Il tente à vrai dire de nous convaincre de « l'importance très relative des textes constitutionnels » (85), qu'il voit un peu comme un simple « reflet » (96) de la réalité, qui est « trop mouvante et trop complexe » (22) pour être fixée dans un texte de lois, dont la « netteté » (23) même pourrait desservir les citoyens.
On ne se surprendra pas qu'il s'extasie devant « The Silence of Constitutions. Gaps, ʺAbeyancesʺ and Political Temperament in the Maintenance of Government » - livre de Michael Foley, dont le titre évoque un passage d'Aristote Pol., II, 8, 1268-b, 22 discutant de l'impossibilité, en matière d'organisation politique, de tout coucher par écrit avec précision - livre vers lequel Stéphane Dion l'a aiguillonné. Curieux tout de même que le champion de la « clarté » se fasse ici le promoteur inattendu des sous-entendus et des demi-mots.
En ce qui a trait à sa position constitutionnelle proprement dite, André Pratte tente tant bien que mal de se démarquer dans son livre du parti Libéral fédéral qui, par la logique de confrontation prévalant depuis l'ère Trudeau, rend désormais périlleuse toute entreprise sincère de révision.
La voie du salut résiderait, selon lui, dans « le grand risque de la voie de réforme du fédéralisme prôné par plusieurs Québécois, l'asymétrie » (122), à mi-chemin entre l'indépendance pure et dure et « un fédéralisme renouvelé de fond en comble » (18). Quelque chose d'assez proche du « fédéralisme d'ouverture » prôné par le premier ministre Harper.
On se demande quel « grand risque » comporte un point de vue aussi conservateur surtout lorsqu'on considère qu'il ne peut s'agir en bout de ligne que d'une banale « reconnaissance formelle de la différence québécoise » (97).
Cette posture mitoyenne lui permet toutefois d'enfoncer un des clous sur lequel il ne se lasse pas de taper : « si on laisse les extrémistes prendre le contrôle des émotions et des pensées collectives, les préjugés et les conflits prévaudront » (43).
Je doute, quant à moi, que les préjugés de part et d'autre aillent en s'atténuant ou que l'on s'achemine tant soit peu vers une résolution de conflit si on laisse même les modérés et les cartésiens de son type prendre « le contrôle des émotions et des pensées collectives », comme on le voit de manière répétitive à la une de La Presse depuis des décennies.
Comprenons-nous bien. Nous en avons été prévenus. Le « grand risque » ne saurait consister ni à une remise en question du régime actuel, ni à une négociation sur le « partage des compétences défini dans la Constitution » (124). Pour sortir de l'impasse, un simple réaménagement au niveau de « la gestion des programmes fédéraux » idem suffira. Traduction : pour ce qui est du statut du Québec à l'intérieur de la fédération, pas question de changer quoi que ce soit aux règles en vigueur. Fait à souligner, s'il concède que la constitution canadienne est un « work in progress », laissant la porte ouverte à d'éventuels ajustements, pas question cependant de revenir sur les fondations autrement que sous la forme d'une simple curiosité historique. Et pourquoi donc ?
Parce que « nous », Québécois francophones, d'expliquer l'éditorialiste en chef de La Presse, avons été bien fous d'écouter nos leaders extrémistes qui, depuis Papineau et Dorion au dix-neuvième siècle, nous poussent à préconiser « l'opposition à outrance » (105), c'est-à-dire l'indépendance, plutôt que des formules de compromis sur lesquelles ont toujours reposé nos rapports avec le pouvoir central. Réclamer une « autonomie excessive » (70), apprend-on, serait même désastreux.
Dans son livre, André Pratte réserve en effet une place d'honneur au vieux concept fourre-tout d'autonomie.
S'inspirant sans doute de Mario Dumont, le réseau sémantique qu'il tisse autour englobe une diversité d'acceptions plus floues les unes que les autres qui a l'insigne avantage de coexister avec son contraire : l'immaturité, l'irresponsabilité et la dépendance, c'est-à-dire une sorte d'incapacité chronique à s'assumer allant de pair avec le besoin de direction qui ne saurait venir que de l'État tutélaire canadien. Or, fait à souligner, jamais le mot « autonomie » n'est pris dans son sens politique premier, soit la capacité pour un peuple de se donner ses propres lois fondamentales, aptitude qui suppose, en négatif, le refus de se laisser dicter par un autre sa ligne de conduite. Objet tabou ou, si l'on préfère, cas flagrant d'autocensure.
Conclusion : la seule véritable nouveauté de ce fédéralisme d'ouverture consistera à apposer une étiquette nouvelle sur un régime dont on refuse de remettre en question les règles du jeu - et encore, le concept d'asymétrie, comme on sait, a naguère été promu par Robert Bourassa, un autre champion du réalisme politique qui connaissait bien l'écart significatif entre l'opacité concrète du vrai monde et la sphère éthérée des superstructures idéologiques.
En guise de boni à la réinsertion du rebelle québécois dans la grande famille canadienne viendrait sans doute, à titre incitatif, un généreux chèque d'Ottawa assorti de quelques déclarations de circonstance sur notre caractère à jamais distinct. Et voilà, le tour est joué. Pourquoi se casser le bicycle ? Fallait y penser. C'est pas plus compliqué que ça. Quod erat demonstramdum.
Un des aspects importants de l'argumentation d'Aux pays des merveilles se rapporte à une réévaluation de notre histoire. Dans un rare moment d'emportement, l'auteur appelle même de ses vœux une véritable « révolution de la mémoire collective » (99). Voire. Dans les premières pages de son livre, André Pratte a effleuré la question des Rébellions où il est fait mention, notons-le bien, de « traumatisme » (34). Le renvoi ne l'empêche pas cependant de se laisser aller tout de suite après à la caricature dans la comparaison qu'il établit entre les felquistes et les Patriotes de 1837-1838 (34).
Après l'empathie et l'identification envers la « victime », le ricanement. Encore une fois, au lieu de surfer sur le sujet, André Pratte aurait pu approfondir le parallèle. La crise déclenchée en octobre 1970 ne constitue-t-elle pas un moment où, pour reprendre l'expression de Fernand Dumont, « le passé reflue vers le présent » (1996, 165)? Voici en tout cas quelques thèmes concordants :
a) menace anticipée de coup d'État ;
_ b) infiltration et noyautage ;
_ c) discrédit public des leaders ;
_ d) suspension des droits civils ;
_ e) adoption de la loi martiale ;
_ f) répression armée.
À croire que Trudeau, le grand apôtre des droits de l'homme, n'aura pas été initié en vain dans la loge des Frères Chasseurs !
Revenant sur la scène de crime, Pratte persiste donc et signe à la fin du chapitre III dans la section « Face à l'histoire » (97-107). Dommage qu'il n'ait pas suivi le cours d'introduction que donnait Maurice Séguin à l'Université de Montréal. Il aurait au moins pris connaissance d'une exception à la règle de partialité qu'il prétend avoir relevée chez ceux qui y enseignaient l'histoire du Québec. Pour y avoir assisté moi-même à l'automne 78, je puis l'assurer que jamais les convictions indépendantistes de Séguin l'ont empêché de faire preuve d'une « mentalité élargie » et d'une rigueur intellectuelle exemplaire dans son approche des « deux Canadas ».
Contrairement à la vulgate officielle, Séguin a toujours affirmé qu'il n'y a pas « une », mais « deux » sociétés distinctes au Québec : un groupe majoritaire en position de repli sur lequel s'est greffée la branche anglo-saxonne minoritaire détenant le contrôle de l'appareil d'État et les leviers de l'économie. Quiconque désire comprendre le Québec d'aujourd'hui ne peut se passer de cet outillage conceptuel.
Que Pratte s'attaque au mythe Papineau et encense le pragmatisme de Lafontaine n'a rien de très original et encore moins de révolutionnaire. Cela est de bonne guerre. Il y a tout de même quelque chose de mesquin et d'injuste dans le traitement qu'il inflige au chef patriote. C'est un peu comme si l'on tentait aujourd'hui de discréditer la mémoire de Maurice Richard sous prétexte qu'il a soulevé une émeute au Forum en 1955.
Je souligne tout spécialement la façon inimitable de l'éditorialiste en chef de La Presse d'escamoter les revendications des leaders Patriotes et de les travestir. L'affaire porte à conséquence, étant donné que les Rébellions du Haut et du Bas-Canada représentent le socle à partir duquel s'est érigée la constitution qui nous régit. Or, si l'on se trompe sur les enjeux véritables de cette crise sociale et politique de première grandeur, on risque de fausser le sens des solutions qu'on a cru y apporter. J'en veux en particulier dans le cas du Québec aux pseudo-mythes de « la victime consentante », du délire de persécution ou de la martyrologie que se plaît à évoquer monsieur Pratte. Comme il l'a mentionné lui-même d'entrée de jeu, s'il s'agit bien d'un « traumatisme », ayons au moins le courage et l'honnêteté de mettre le doigt sur la plaie.
Ce n'est pas le lieu d'une démonstration en bonne et due forme. Qu'il suffise de dire que l'intérêt bien compris des dirigeants anglo-écossais était, à l'automne de 1837, de faire basculer le conflit parlementaire en lutte armée, afin de déjouer la menace, réelle ou imaginaire, de coup d'État. S'il y a un groupe qui a eu tout intérêt, comme Trudeau en 70, à radicaliser les enjeux en préconisant une « opposition extrême », c'est bien celui formé par les têtes dirigeantes loyalistes.
Il aurait fallu dire aussi en vue de quoi les loyalistes se battaient : empêcher qu'une majorité francophone ne détienne jamais le pouvoir politique effectif à Québec tant qu'il n'y aurait pas un contre-pouvoir fédéral fort. On sait que jusque-là la Chambre d'assemblée où les Canadiens-Français constituaient l'écrasante majorité était réduite à un rôle d'apparat. Si aujourd'hui le combat en faveur de l'indépendance a un sens, il ne saurait être mieux ancré dans l'histoire.
Je suis par ailleurs assez d'accord avec les historiens libéraux qui affirment que la répression du Colborne, une fois les droits civils suspendus et la loi martiale mise en place, a été relativement modérée. Il savait en politicien avisé qu'on ne s'acharne pas sur un ennemi vaincu - le mal, de toute façon, était fait. Je suis d'accord aussi pour dire que les élites canadiennes-françaises à cette époque n'étaient pas en mesure de faire face au défi de l'industrialisation et à la menace expansionniste américaine. Concéder le pouvoir à une majorité francophone devait, aux yeux des dirigeants anglo-saxons, compromettre à la fois le développement des affaires et leur position de dominance en tant que groupe homogène.
Un autre point du livre mérite finalement qu'on s'y arrête. S'inspirant de Jocelyn Létourneau, André Pratte réagit au concept de « survivance » dans l'historiographie québécoise - survivance et martyrologie, on s'en doute, allant de pair. Il cite à cet égard l'extrait d'un article de Lise Payette où il décèle le même thème nationaliste obsédant (109), mais, par une sorte d'aveuglement, il n'a pas vu en se relisant qu'il plonge lui-même en plein dedans. Le titre même de la section est assez parlant : « Une nation en péril » ! S'y déploie une vision alarmiste de l'avenir qui s'appuie sur la tendance lourde à la dénatalité (comme si le reste du Canada d'ailleurs n'était pas touché par ce phénomène à l'instar de tous les pays développés).
Pis encore, André Pratte prend prétexte des défis qui nous attendent pour taper encore une fois sur le même clou : puisqu'on n'a jamais pu s'en sortir tout seul sans l'aide et la protection du pouvoir tutélaire à Ottawa, pourquoi perdre notre temps dans une remise en question stérile du régime actuel ? Force est d'admettre que les signes de vitalité qu'il voyait dans la concurrence, sinon la rivalité et la mésentente entre les deux paliers de gouvernement ne sont plus d'aucun secours quand vient le temps de faire face à l'angoisse de l'avenir et à notre propre survie. Retour du refoulé ? Indice en tout cas qu'il est infesté du virus qu'il prétend combattre chez les nationalistes.
Inélimable ambivalence, faut-il conclure, de la position que défend André Pratte. Le genre mêlé et mêlant qui, aux commandes de la section éditoriale de La Presse, dans son incessante et inlassable entreprise de distorsion, convient parfaitement à ce qu'on attend de lui.
À lire, donc, absolument !
François Deschamps
Petite incursion <i>Aux Pays des Merveilles</i>
Une tentative de réappropriation de la fibre nationaliste québécoise
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