Le scandale de la surveillance des télécommunications aux États-Unis a rebondi jusqu’aux Communes, lundi, où le gouvernement conservateur a été forcé de défendre la portée de son propre programme de renseignement électronique.
Sommé par le NPD de préciser la teneur des informations que le gouvernement canadien récolte sur ses citoyens, le ministre de la Défense a martelé que le Centre de la sécurité des télécommunications Canada (CSTC) ne fait que de la surveillance hors frontières. « Il s’agit de collecte de renseignements étrangers », a répété Peter MacKay.
Mais les néodémocrates s’inquiètent, en voyant le scandale dévoilé la semaine dernière chez nos voisins du sud, de voir le gouvernement fédéral éplucher lui aussi les comptes téléphoniques et les données de connexion Internet de ses propres citoyens, par l’entremise du programme d’exploration de métadonnées du CSTC.
« Ce programme interdit expressément de se pencher sur l’information des Canadiens. Ce programme vise en fait précisément les activités à l’extérieur du pays, des menaces étrangères, etc. Il y a une surveillance rigoureuse. Il y a une loi en place qui dicte précisément ce qui peut et ne peut pas être examiné », a martelé le ministre MacKay.
En vertu de la Loi sur la défense nationale, dont relève le CSTC, les activités du centre « ne peuvent viser des Canadiens ou toute personne au Canada [et] doivent être soumises à des mesures de protection de la vie privée des Canadiens lors de l’utilisation et de la conservation des renseignements interceptés ». Des représentants ont cependant avoué au Globe and Mail intercepter « accidentellement » des communications canadiennes, mais, lorsque cela se produit, le centre prend le soin d’« anonymiser » les données après les avoir obtenues.
Or le Nouveau Parti démocratique reste sceptique, car peu de détails ont été offerts quant aux renseignements colligés par le CSTC. « On veut savoir ce qu’ils font. Car si nous ne le savons pas, on ne peut pas déterminer si c’est légal ou non, si c’est acceptable ou non », a fait valoir le néodémocrate Jack Harris à sa sortie des Communes hier.
M. Harris s’inquiète notamment de l’interprétation de la Loi qu’ont les conservateurs et le CSTC, quant aux données qu’ils jugent interdites et celles qu’ils rassemblent, et sur qui. « On a de plus en plus de doutes puisqu’ils omettent de répondre aux questions », a-t-il déploré.
Outre ses questions cherchant à préciser la teneur des informations récoltées par le CSTC, M. Harris a également demandé au ministre MacKay si son gouvernement se servait des données répertoriées par le programme américain PRISM (qui a récolté les données de compagnies Internet comme Google ou Facebook), qui pourraient ainsi concerner des Canadiens. Le ministre MacKay n’a pas apporté de précisions à ce sujet. Le CSTC n’a pas non plus répondu aux questions du Devoir en ce sens, hier.
La commissaire à la vie privée surveille
Outre les néodémocrates, la commissaire à la protection de la vie privée, Jennifer Stoddart, a elle aussi les révélations entourant le scandale américain dans sa mire.
Un porte-parole de Mme Stoddart a indiqué à Reuters que son bureau surveillait les développements de cette histoire, dont la portée des renseignements qui auraient été récoltés par l’Agence de sécurité nationale américaine « soulève d’importantes préoccupations ». Le bureau de Mme Stoddart va « partager ses préoccupations avec le CSTC et lui demander des informations », a expliqué Scott Hutchison. La commissaire envisage également de contacter les autorités spécialisées en protection des renseignements personnels d’autres pays, qui pourraient partager ses inquiétudes, dans le but de discuter de la possibilité de combiner leurs efforts afin de faire la lumière sur cette affaire.
L’ultra-secret CSTC fait de la recherche de métadonnées à l’étranger depuis 2005, le programme ayant été lancé pendant que les libéraux étaient au pouvoir.
Le ministre MacKay a approuvé en 2011 le renouvellement du programme, cautionnant du même coup sept nouvelles directives pour le centre de surveillance, dont une sur l’utilisation des métadonnées. La Presse canadienne a obtenu un document, en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, qui indique que l’utilisation par le CSTC de métadonnées « sera sujette à de strictes conditions pour protéger la vie privée des Canadiens, en conformité avec les normes régissant les autres programmes ». La liste de mesures à prendre imposées au CSTC a toutefois été censurée. Ces nouvelles directives font aussi partie des informations que veulent obtenir les néodémocrates.
En 2007, le premier rapport annuel du commissaire chargé de surveiller les activités du CSTC disait que le centre ne fournissait pas suffisamment d’information lorsqu’il demandait à obtenir l’approbation du gouvernement pour intercepter des conversations téléphoniques privées. Le commissaire, l’ex-juge à la Cour suprême Charles Gonthier, affirmait qu’il était donc difficile de déterminer si le CSTC respectait la loi et recommandait que celle-ci soit clarifiée.
Le commissaire ciblait une exception permettant l’écoute d’appels téléphoniques partagés avec le Canada, à condition que l’un des interlocuteurs soit à l’extérieur du pays et que la cible de cette surveillance soit une entité étrangère hors Canada. Pour pouvoir espionner une telle conversation, le CSTC devait obtenir l’approbation ministérielle, généralement du ministre de la Défense.
Les métadonnées sont des données téléphoniques, de télécopieurs ou d’ordinateurs, comme une adresse IP. Le mandat du CSTC prévoit la récolte de ces métadonnées, qui sont ensuite entrecoupées, ce qui permet aux autorités de tracer des portraits de réseaux sociaux ou de cellules terroristes par exemple.
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