(Photo AP)
Quand et surtout comment la Belgique sortira-t-elle de la crise dans laquelle elle s'enlise depuis bientôt six mois? Nul ne le sait. À plus ou moins long terme, tous les scénarios sont envisageables: de la séparation à la confédération, en passant par le maintien du système fédéral dans sa version actuelle ou avec des changements significatifs. À qui faire porter l'odieux de cette crise?
Il est tentant de dire: tous coupables. Le roi, pour ne pas être intervenu plus tôt ou pour avoir osé intervenir. Les Flamands, pour avoir laissé croître en leur sein un mouvement d'extrême droite raciste et xénophobe qui pourrit l'atmosphère. Les Wallons, pour avoir longtemps méprisé les Flamands et toujours refusé d'apprendre leur langue. Les leaders politiques de tous bords, qui font passer les intérêts de leur communauté avant ceux de leur pays.
En vérité, il ne nous appartient pas de distribuer les blâmes. Ce jugement appartient aux Belges et à eux seuls. Par contre, il est tout à fait légitime de se poser deux questions qui, elles, nous concernent tous: la crise actuelle en Belgique signe-t-elle l'échec du modèle fédéral dans ce pays? et l'évolution du nationalisme flamand conforte-t-elle la thèse selon laquelle le nationalisme finit toujours par déboucher sur l'ostracisme? Je voudrais répondre non à ces deux questions.
Il est encore trop tôt pour dire si le fédéralisme a échoué en Belgique. Mais il est difficile de prétendre que le système fédéral mis en place en 1993 a permis de gérer dans l'harmonie les différences linguistiques, culturelles et politiques qui caractérisent la Belgique. La vraie question est de savoir pourquoi ce système de gouvernement s'est révélé inapte à gérer toute cette diversité. Deux explications, diamétralement opposées, sont possibles. Ou bien la Belgique est trop fédérale et l'avenir est dans la négociation d'une union confédérale, ou la Belgique ne l'est pas assez. Aucune fédération ne peut réussir s'il n'y a pas une volonté commune de la faire fonctionner et une vision commune des compromis nécessaires. Le fédéralisme en Belgique est encore une idée neuve. Avant de conclure qu'il a échoué, il faudrait peut-être que toutes les communautés mesurent ce qu'implique l'appartenance à une fédération et essaie (une fois!) de jouer le jeu.
À la question de savoir si le nationalisme débouche forcément sur l'ostracisme, je voudrais aussi répondre non. Je considère néanmoins que la Belgique nous donne des exemples désolants des excès auxquels mènent certains discours quand ils ne sont pas tenus en échec. S'ils ne veulent pas être jugés à travers lui, il appartient aux nationalistes flamands de gérer le Vlaams Belang, ce mouvement raciste et xénophobe auquel j'ai déjà fait référence. La récente décision du Parlement flamand de retirer aux francophones vivant en territoire flamand le droit à des services administratifs et judiciaires dans leur langue et le droit de voter pour les candidats de leur communauté est choquante non seulement parce qu'elle met fin unilatéralement à un accommodement raisonnable, mais parce qu'elle compromet délibérément les négociations actuelles pour la formation d'un nouveau gouvernement. Si le Parlement flamand est prêt à agir de la sorte alors que les Wallons sont encore leurs compatriotes, on imagine sans mal les droits dont ils disposeraient dans une Flandre indépendante. Cet exemple confirme ce que l'on savait déjà: on ne peut laisser à une majorité le soin de protéger ses minorités. C'est pour cela que les chartes existent.
Il y a une autre dimension du problème belge qui est moins souvent évoquée et qui, pourtant, me paraît essentielle, c'est la dimension économique. Les Flamands ne veulent plus payer pour les Wallons, comme la Ligue du Nord en Italie ne veut plus payer pour le Mezzogiorno, ou les Catalans pour le reste de l'Espagne. Les Tchèques ne voulaient pas non plus continuer à payer pour les Slovaques. Partout, la même volonté des riches de larguer les pauvres. Cette attitude porte en elle les germes de la destruction du consensus social dans bien des pays européens et, potentiellement, elle plombe la construction européenne. Jusqu'à maintenant, l'Union européenne a toujours permis à ses nouveaux adhérents d'opérer un rattrapage économique spectaculaire. La solidarité avait un sens et, à terme, tout le monde y trouvait son compte.
La façon dont les Belges sortiront de la crise actuelle aura incontestablement un impact dans l'ensemble européen. Il deviendra difficile de prêcher l'union à qui que ce soit si Flamands et Wallons font la démonstration qu'ils sont incapables de vivre ensemble. Le message adressé au reste du monde est aussi désespérant. Si Flamands et Wallons sont incapables de gérer leurs différences culturelles - qui, à l'échelle du monde, sont insignifiantes -, que reste-t-il à dire aux États multiethniques aux prises avec des problèmes d'un tout autre ordre? Il faut croiser les doigts pour la Belgique.
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Marie Bernard-Meunier
Diplomate de carrière, l'auteure a été ambassadrice du Canada à l'UNESCO, aux Pays-Bas et en Allemagne. Elle vit maintenant à Montréal et siège au conseil d'administration du CERIUM (m.bernard-meunier@cerium.ca).
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Pauvre Belgique!
Pôvre Canada ?!...
Marie Bernard-Meunier18 articles
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