Un reportage au Téléjournal de Radio-Canada nous apprenait récemment qu'un immigré, chef d'orchestre de son état, avait constitué ici un ensemble symphonique appelé l'Orchestre du Monde. Tous les musiciens de cet orchestre sont des immigrés et, dans leurs pays d'origine, ils étaient tous des musiciens professionnels. Il y avait dans ce reportage deux messages bouleversants. Une leçon d'harmonie d'abord. Ces musiciens ont une langue commune, la musique, et grâce à elle ils créent ensemble quelque chose qui va bien au-delà de leurs prestations individuelles. Un rappel ensuite de la réalité humaine de l'immigration. Ces musiciens, pour la plupart condamnés à vivre de petits boulots et d'expédients, vous racontent comment, lors des répétitions et des concerts, ils ont le sentiment merveilleux de redevenir ce qu'ils sont.
Tous les immigrés qui n'ont pas la possibilité d'exploiter ici les compétences qui sont les leurs vivent des situations comparables et il est impératif qu'on apporte une solution à ce problème car il y a va de l'avenir de notre modèle d'intégration. Il est à la mode ces jours-ci, au Québec comme ailleurs au Canada, de faire le procès du multiculturalisme. Je n'entrerai pas dans ce débat mais je dirai que, par rapport à ce que j'ai vu et vécu en Europe, j'ai toujours pensé que la force et l'originalité de notre système tenait au fait qu'on n'exigeait pas de nos immigrés qu'ils renoncent à être ce qu'ils sont pour pouvoir être des nôtres.
Je suis toujours sidérée d'entendre des gens faire l'éloge du système d'intégration "à la française". Le discours républicain est séduisant mais le décalage entre ce discours autour des valeurs communes de liberté, d'égalité et de fraternité et la réalité quotidienne des immigrés, génération après génération, est insoutenable. À intervalles réguliers, la mise à feux des banlieues est là pour le rappeler. On assiste actuellement à de nouvelles dérives avec les tests ADN et la chasse ouverte aux clandestins. L'inauguration récente d'un nouveau musée de l'Immigration a elle aussi soulevé une vive controverse. Ni le président ni le premier ministre n'ont souhaité être présents à la cérémonie. Il est vrai que les spécialistes qui avaient accompagnés ce projet depuis ses débuts avaient démissionné en bloc quand fut crée le nouveau ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale, une juxtaposition de concepts inacceptable à leurs yeux, regrettable aux yeux de Simone Veil.
Un exemple troublant
L'exemple de la Hollande est encore plus troublant. Voilà un pays associé depuis des siècles à l'idée de tolérance. Or en quelques mois, ce pays a complètement basculé. On a voulu voir et cru reconnaître sous les traits d'un populiste extravagant, Pim Fortuyn, une sorte de chevalier sans peur (mais non sans reproche) qui allait défendre le pays contre l'invasion des Turcs et des Marocains. Il fut assassiné par un militant, non pas de l'islam radical mais plutôt du droit des animaux. Peu de temps après, c'est le réalisateur Théo van Gogh qui a été assassiné, par un jeune musulman, pour avoir réalisé un film délibérément offensant et provocateur sur l'islam. On a fait de lui un martyr de la liberté d'expression.
L'exemple de la France et de la Hollande devraient nous inciter à relativiser les problèmes qui sont les nôtres. Ils devraient aussi nous rappeler que les extrêmes se nourrissent de leurs excès respectifs et que rien ne sert mieux les intérêts d'une clique d'intégristes qu'une croisade contre eux. Ne laissons pas quelques exemples de dérapages venir saper les fondements d'un système qui mérite, pour l'essentiel, d'être défendu et préservé.
Plus qu'un système d'ailleurs, c'est une attitude qu'il faut préserver, celle qui consiste à reconnaître et à respecter le droit de chacun d'être ce qu'il est. Comment pouvons-nous, avec l'histoire qui est la nôtre, souhaiter l'assimilation de qui que ce soit? Nous avons jusqu'à maintenant trouvé un équilibre entre le respect de la diversité et le degré de cohésion nécessaire au fonctionnement de notre société. Cet équilibre est fragile et précieux. N'ajoutons pas aux menaces qui pèsent sur lui. N'exagérons pas la portée de certains dérapages, ni la signification de certains comportements. Le port du voile musulman, qui reste ultra-minoritaire, menace-t-il vraiment les acquis du mouvement féministe? Personnellement, à ce chapitre, l'hyper-sexualisation de nos adolescentes m'inquiète infiniment plus.
Ne faisons pas porter à d'autres la responsabilité de notre crise identitaire, si tant est qu'elle existe. Le malaise qu'on ressent ici, est ressenti partout. Il est lié au fait que les sociétés sont de moins en moins homogènes et se sentent de plus en plus vulnérables. La tentation est grande, dans ces conditions, d'idéaliser un passé révolu ou de chercher des boucs émissaires. La belle alternative c'est de se dire, comme le poète, ... "tous les humains sont de ma race". Aller à la rencontre plutôt qu'à l'affrontement et entendre la leçon d'harmonie de l'Orchestre du Monde.
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Bernard-Meunier, Marie
Diplomate de carrière, l'auteure a été ambassadrice du Canada à l'UNESCO, aux Pays-Bas et en Allemagne. Elle vit maintenant à Montréal et siège au conseil d'administration du CÉRIUM.
Une leçon d'harmonie
Le port du voile musulman, qui reste ultra-minoritaire, menace-t-il vraiment les acquis du mouvement féministe?
Accommodements - Commission Bouchard-Taylor
Marie Bernard-Meunier18 articles
Diplomate de carrière, l'auteure a été ambassadrice du Canada à l'UNESCO, aux Pays-Bas et en Allemagne. Elle vit maintenant à Montréal et siège au conseil d'administration du CERIUM.
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