Vous avez entendu Emmanuel Macron, qu’on prédit être le futur président de la France, parler d’un affrontement entre patriotes et nationalistes au deuxième tour des élections présidentielles? – Décidément, on a vraiment perdu le sens des mots pour faire pareil contraste et pareille opposition! Un patriote est forcément un nationaliste! Et un nationaliste, normalement, est aussi un patriote! Sauf qu’aujourd’hui, je dirais depuis environ une vingtaine d’années, le mot "patriote" a pratiquement disparu du vocabulaire et est devenu pratiquement tabou... Je me rappelle qu’il y a deux ans, à la Fête des Patriotes, j’avais soulevé ce point : c’est la fête des Patriotes et il y a un mot qui n’a pas été prononcé une seule fois depuis le début des discours des conférenciers. Lequel? – Silence dans la salle. – Eh! bien, le mot Patriote! – Toujours le silence dans la salle, restée bouche bée… Ou alors, peut-être une intervention, si je me souviens bien, pour expliquer que le mot "patriote" n’est plus utilisé parce que, justement, il fait trop "ethnique", et pas assez "civique"!
(On se souviendra que cette opposition entre nationalisme ethnique et civique est apparue en pleine Affaire Michaud en décembre 2000 ou janvier 2001. C’est d’ailleurs depuis ce temps que la frilosité de s’affirmer s’est instaurée dans l’âme québécoise.)
Mais revenons à Macron. Qui, de lui ou de Marine Le Pen, est le patriote ou le nationaliste? Macron qui a proclamé haut et fort qu’il n’y avait pas de culture française, mais une simple «culture de la diversité»… Et il se définit comme patriote, un amant de la Patrie? C’est à ne plus rien comprendre… ou c’est dangereusement jouer sur les mots par simple calcul politique trop visible. Macron n’est ni nationaliste, ni patriote. C’est un pro-européen, mondialiste et multiculturaliste. Comme on le dit depuis quelques semaines, l’opposition gauche-droite est devenue obsolète, dépassée. Maintenant, c’est le choix entre deux visions très différentes de la société : mondialiste et multiculturaliste, ou nationaliste/patriotique et identitaire. Une identité qui, pour reprendre un mot de RSA en commentaire de l’édito de Le Hir du 25 avril, n’est pas un repli sur soi mais, dans les circonstances actuelles, un redressement de soi!
– A vos marques, donc, debout bien droits, en direction de l’isoloir!
Chronique de la croqueuse de mots
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1 commentaire
Bruno Deshaies Répondre
4 mai 20172017-05-04 10:00
Faut-il mieux être patriote ou nationaliste ?
Madame Thérèse-Isabelle SAULNIER vous soulevez une question sémantique sur deux concepts qui ont de l’importance en histoire. L’historien Maurice Séguin attirait, ici même au Québec, dès les années 1950, notre attention sur l’un de ces «phénomènes primordiaux en histoire» qui concernait le nationalisme. Il analysait la confusion que recelaient ces concepts ainsi que les contradictions et les contrefaçons de leur usage selon les circonstances vécues et les idéologies défendues. Les conclusions de son analyse remontent à son tapuscrit de 1965-1966 qui portait sur Les Normes pour servir à l’explication historique de l’évolution «des deux Canadas».
Dès 1963-1964, dans son cours télévisé présenté sur le réseau de Radio-Canada, il précisait ses intentions en ces termes : «Ce sera donc une brève histoire du nationalisme canadien-français et canadien-anglais en contact avec le nationalisme ou le super-nationalisme de la Grande-Bretagne et des États-Unis.» [Dans Histoire de deux nationalismes au Canada (Montréal, Guérin, 1997.]
Dans les dernières années de sa carrière universitaire, en 1980-1984, Séguin n’emploie plus «avant» et «après 1760» ; de même pour «Un Canada» vs «Deux Canadas» ; finalement, ce fut «LES DEUX NATIONALISMES. Histoire du conflit politique, économique et culturelle du Canada français et du Canada anglais, 1760-1960» (Annuaire de l’Université de Montréal). Deux cents ans d’histoire de deux nationalismes au Canada. Or, pour comprendre cette longue durée, il lui fallait se faire une tête sur ce que c’est que le nationalisme.
Dans Les Normes, Chapitre troisième, «Sociologie du national», Séguin analyse à la division 2, section 3.2.4.c) «Le nationalisme». J’aimerais offrir à vos lectrices et lecteurs quelques extraits au sujet de la nation au sens intégral qui est le quatrième sens de sa «Tentative de décrire la nation» selon des principes menant à sa compréhension de la nation au sens intégral et du nationalisme complet.
Quelques traits du nationalisme
3.2.4.c.6) Nationalisme et séparatisme
Tout nationalisme complet est séparatiste.
3.2.4.c.7) Nationalisme et isolationnisme
Le nationalisme est le contraire de l’isolationnisme.
La coopération internationale n’est possible que s’il y a «nation».
3.2.4.c.8) Un «broad » [sain] et un «narrow nationalism » [malsain]
Il n’existe pas deux sortes de vrai nationalisme normal (maître chez soi), un «broad » [c’est-à-dire sain] et un «narrow nationalism » [c’est-à-dire, malsain].
3.2.4.c.8-1) Comprendre son nationalisme
On ne comprend pas ce que c’est que le nationalisme quand on ne comprend que son nationalisme…
3.2.4.c.8-2) Hypocrisie du nationalisme
Tout nationalisme est «inconsciemment hypocrite » vis-à-vis d’un plus faible… (?)
3.2.4.c.11) Patriotisme et nationalisme
3.2.4.c.11-1) Patriotisme : une vertu
Le patriotisme (amour de la patrie, du pays où l’on est né, de sa communauté ethnique) est fait surtout d’attachement, de vénération pour son coin de terre, [pour] les ancêtres, [pour] les valeurs de leur civilisation. C’est au point de départ une vertu qui admire (et qui pourrait mener au nationalisme).
3.2.4.c.11-2) Nationalisme : une volonté
Le nationalisme dit plus que le patriotisme : c’est la volonté d’affirmer, d’épanouir, de défendre l’héritage ancestral et le territoire habité par des compatriotes. Il est plus rationnel, plus dur…
3.2.4.c.11-3) Patriotisme pur : vanter sa nationalité
Le patriotisme pur, à lui seul, ne poserait peut-être que peu de problèmes : chacun se contentant de vanter sa nationalité…
3.2.4.c.11-4) Le nationalisme soulève les pires difficultés pour l’homme
Le nationalisme raisonnable, sans excès (vouloir être ou devenir maître chez soi) soulève les pires difficultés pour l’homme et est un des grands fléaux nécessaires, inévitables des sociétés.
3.2.4.c.11-5) Patriotisme ou nationalisme ?
Autrefois : les mots patriotisme et patriotes étaient employés à la place de ce qu’aujourd’hui on désigne par nationalisme, nationalistes.
3.2.4.c.11-6) Patriotisme et nationalisme : la confusion persiste
La confusion persiste… personne n’a l’autorité pour imposer un vocabulaire strict et uniforme aux sciences sociales, etc.
3.2.4.c.12) Prix attaché au nationalisme
3.2.4.c.12-1) De nombreuses nations ont exigé des sacrifices de vies humaines et des biens
À travers les siècles, de nombreuses nations (à tous les stades de développement : clans, tribus, nations asservies, nations impérialistes) ont exigé de sacrifier des millions de vies humaines et des biens incommensurables pour conquérir ou défendre l’intégrité et la liberté de la nation.
3.2.4.c.12-2) Processus qui n’est pas terminé
Le processus n’est pas terminé… à moins de donner une prime aux nations actuellement parvenues (à la réussite.
[Fin de la citation]
Conclusion
Dans le contexte qui nous concerne au Québec et de cette recherche de l’indépendance par les Québécois, il faut bien se le dire, nous nous égarons souvent en nous abandonnant à une procrastination persistante qui nous fait perdre de vue la fin visée. Certaines pelures de bananes ont été identifiées par Madame Saulnier.
Rappelons les thèmes vedettes du moment :
Nationaliste
Patriotique
Trop ethnique
Trop civique
Mondialiste
Multiculturalisme
Identitaire
Il faut aussi se rappeler que dans les années 1950-1970 le courant politique opposait le «broad nationalism» contre le «narrow nationalism» des Québécois-Français ou Canadiens-Français. Par contre, le nationalisme des fédéralistes québécois et des Canadians voyait dans leur tendance politique l’expression d’un «broad» nationalisme, ouvert et sain. Il a progressivement culminé depuis les années 1950 jusqu’à nos jours. Il a finalement conduit aux concepts de diversité et de multiculturalisme. Par conséquent, le mouvement indépendantiste au Québec est naturellement stigmatisé d’être un nationalisme «pur et dur», donc excessif. Est-ce imaginable ?
Maurice Séguin conclut la section sur «Le Nationalisme» par cette dernière Norme :
3.2.4.c.13) Nationalisme excessif
3.2.4.c.13-1) S’imposer aux autres
Être tellement « maître chez soi » – être si fort, si riche qu’un État-Nation s’impose aux autres peuples, les domine, les annexe, etc.
L’«impérialisme» est la forme la plus courante du nationalisme excessif.
3.2.4.c.13-2) Désir de se passer des autres
Une autre forme, à l’opposé, serait de tenter de trop se replier sur soi, de s’imaginer pouvoir se passer des autres.
[Fin de la citation]
Le vrai mouvement indépendantiste québécois ne correspond ni à l’une ni à l’autre de ces deux normes. C’est assez simple à comprendre : le Québec n’est pas encore indépendant ! Au contraire, les indépendantistes québécois veulent s’ouvrir au monde par leur propre moyen et s’accomplir et réussir collectivement par eux-mêmes à l’interne afin de se présenter nationalement au monde en agissant (par soi) collectivement et librement.
Voilà ce qui agace les partisans du nationalisme de l’État-nation souverain – l’État fédéral pancanadien. Pour comprendre, il faut se le rappeler constamment : «Le gouvernement du Canada est le titulaire du pouvoir exécutif, au niveau fédéral, pour l'ensemble du territoire canadien. (…) Le pouvoir exécutif au Canada est régi en grande partie par la Loi constitutionnelle de 1867.» Cf. [Wikipedia->https://fr.wikipedia.org/wiki/Gouvernement_du_Canada ] En guise de précision, ajoutons que pour cet État-Nation le tout est soumis à l’action et aux lois d’un gouvernement souverain.
Alors, l’optique fédéraliste ?
Voici son véritable visage:
3.10.3.14 elle souligne que ce serait «démissionner» que de se replier comme dans une réserve, sur le seul État où la nationalité minoritaire pourrait devenir une nation majoritaire ;
3.10.3.15 elle affirme qu’il faut s'intéresser à la « petite patrie » mais pas à un point tel qu’on mettrait en danger la «grande patrie».
En bref, elle n’ignore surtout pas l’optique impérialiste qui
3.10.2.14 «adore la devise :
« Dénationaliser le politique,
Dépolitiser le national ».
Le nationalisme canadian n’est pas de la tarte aux pommes ! Car le Canada ne désire surtout pas se priver de sa deuxième province en importance au Canada.
Cette lutte est nationale.
L’oublier, l’ignorer ou retourner l’obstacle du revers de la main, c’est agir imprudemment, pour ne pas dire aveuglément. C'est se cacher la tête dans le sable. Le PQ et les mouvements nationalistes, souverainistes ou indépendantistes auraient besoin de comprendre la situation actuelle (vieille de 150 ans, minimum!) en vue d’agir d’une manière réaliste. À cet égard, il faudra s’appuyer sur des principes indépendantistes afin d’éviter le danger de gaspiller en pures pertes ses meilleures énergies, ses moyens de circonscrire le mal et même de risquer d’aggraver la situation et d’accroître les dangers de démission chez la masse.
Regrettable à dire : le travail auprès de la masse est inexistant ou, s’il existe quelque part, il est incapable de vraiment se libérer de l’optique fédéraliste. (Des générations de Québécois(es) ont été élevés dans l’idéalisation du Canada «mon pays mes amours» et de la «Bonne-Entente».) Ce qui fait que les indépendantistes sincères, convaincus et tenaces sont toujours dans un état de vif désappointement. Même que le nombre augmente d’années en années depuis certainement une trentaine d’années malgré l’effort controversé de 1995 et ses séquelles profondes dont le bannissement du citoyen Yves Michaud. Où sont-ils les Patriotes ? Il se trouve que ceux et celles qui relèvent le défi du souverainisme ont échappé le ballon de l’indépendance. D’où l’extrême scepticisme des indépendantistes vis-à-vis le PQ.
Comment s'y prendre pour se redresser ? Mais de quelle situation ?
D’abord, il faut admettre ceci :
Pour la nation minoritaire, dans une vraie union fédérale, il y a oppression essentielle appauvrissante (remplacement de l’agir collectif).
De notre dépendance collective d’un autre qui gouverne à notre place.
À quoi faut-il mettre fin ? À notre annexion politique d’abord.
Quel but, quel objectif ou quelle fin visée souhaitons-nous ?
Ici, c’est le redressement des fondations de la nation québécoise sur les bases de l’existence d’un État souverain, français, qui assumera pour la nation québécoise la maîtrise de sa vie collective à côté d’autres nations de même force, plus fortes ou moins fortes (mais maitresses chez elle). Pour cela, il faut savoir se dire que :
Le vrai nationalisme ou le vrai patriotisme s’inscrit dans une conscience nationale fière d’elle-même et ouverte sur le monde.
Ce qui reflète vraiment le sens des concepts d’indépendance et d’interdépendance.