BLOC QUÉBÉCOIS

Parier sur un retour

La campagne fédérale s’annonce maintenant comme une course à quatre... imprévisible

73920f93fb7bc65b748f835177b48ed7

Le vent se lève

Bloquistes et souverainistes de toutes allégeances ont accueilli le retour de Gilles Duceppe comme l’électrochoc qu’il fallait pour sauver le Bloc québécois d’une mort annoncée, aux élections prévues en octobre prochain. Un possible sursaut de la formation souverainiste qui vient complètement rebrasser les cartes électorales et qui force les partis fédéralistes à retourner à la table à dessin. Car les élections pourraient finalement se révéler être une véritable course à quatre… dont l’issue serait impossible à prédire.
Les bloquistes jubilaient cette semaine. Gilles Duceppe, le revenant, était le seul qui pût les sauver de la déroute. Mais, à quatre mois des élections, une question lourde de conséquences se posait. « Est-ce qu’il est trop tard ? », se demandait l’ancien député Marc Lemay.

« Gilles vient d’embarquer sur un dossier très difficile. Ça ne sera pas facile », a confié l’ex-élu d’Abitibi-Témiscamingue au Devoir. Avec deux députés — deux autres ayant claqué la porte l’an dernier — 2,5 millions en banque et les 27 candidats choisis sur les 78 circonscriptions du Québec, le Bloc québécois a du pain sur la planche d’ici la fin de l’été. « Mais il y a à peu près seulement lui qui pouvait faire ça, a estimé M. Lemay, au sujet de son ancien patron redevenu chef de la formation. Parce que c’est clair que le Bloc ne s’en allait pas vers une victoire écrasante au Québec. »

Le Bloc québécois stagnait en effet dans les intentions de vote depuis l’élection de Mario Beaulieu à la tête du parti, il y aura un an dimanche. Incapables de remonter au-delà de la petite douzaine de points de pourcentage, les bloquistes étaient placés à 13 % par le dernier sondage Crop. Et les chiffres « continuaient de tomber, plus [Mario Beaulieu] restait en poste longtemps », notait cette semaine Éric Grenier, analyste de sondages et créateur du site Three Hundred Eight. « Il ne fait aucun doute que M. Duceppe aura de meilleurs résultats que ce qu’aurait récolté M. Beaulieu. Parce qu’ils se dirigeaient vers la catastrophe sous sa gouverne. »

Avec Gilles Duceppe à sa tête, le Bloc québécois bondirait instantanément de 12 points de pourcentage, vers 25 %, selon les sondages internes du parti. Le coup de sonde de Léger cette semaine, effectué pour le compte du Devoir et du Journal de Montréal, confirme ces prédictions en lui donnant 26 % des votes. En 2011, les bloquistes n’ont conservé que quatre sièges en récoltant… 23 % des voix.

Le contexte

Mais ce même appui populaire lui amènerait des résultats différents quatre ans plus tard, selon M. Grenier, car le paysage électoral est bien différent. Les conservateurs et les libéraux ont repris du poil de la bête au Québec, les néodémocrates en ont perdu un peu. « Tout le monde est un peu plus rapproché qu’en 2011. […] À parts égales, ils auraient probablement de meilleurs résultats, parce qu’en 2011 il y a eu un effet d’entraînement. »

Avec un tel appui populaire, le Bloc pourrait récolter de cinq à dix sièges. S’il se hisse à 29 %, « 30 sièges pourraient aller d’un côté ou de l’autre », tout dépendant du candidat local et de la division du vote entre les autres partis, selon l’analyste. Léger place le Bloc et le NPD à égalité statistique chez les francophones — 32 % et 33 % respectivement.

« Le but du jeu, c’est qu’il faut être un parti reconnu. Donc, il faut au minimum 12 sièges », a résumé Marc Lemay. Ce qui n’est pas impossible, selon le politologue Réjean Pelletier. « Gilles Duceppe reste très populaire au Québec. » Mais, au-delà d’une dizaine de circonscriptions, « ça me surprendrait », a conjecturé ce professeur de l’Université Laval.

« Est-ce que les Québécois sont prêts à revenir au Bloc ? C’est ça, la grande question. Si on regarde dans le passé, les Québécois, de façon générale, ont été fidèles à certains partis. Et ce, plus d’une élection. » Le Parti libéral a dominé l’échiquier politique au Québec pendant pratiquement tout le XXe siècle, a rappelé M. Pelletier, jusqu’au rapatriement de la Constitution. Ont suivi les conservateurs de Brian Mulroney, jusqu’à l’échec de l’accord du lac Meech. Le Bloc est alors né et les Québécois l’ont appuyé en grand nombre, jusqu’à ce que Jack Layton lui ravisse presque tous ses sièges dans la province.

« Ça me surprendrait [que les Québécois] quittent immédiatement le NPD. Le Bloc peut peut-être faire des gains, oui. Mais de là à nuire considérablement au NPD, ça me surprendrait », a analysé M. Pelletier.

Un regain piqué au NPD

Or, si un parti risque d’écoper d’une remontée du Bloc, c’est le NPD. Car sa victoire écrasante en 2011 était un cadeau d’électeurs bloquistes qui ont délaissé le parti souverainiste. Le Bloc a dégringolé de 38 % à 23 % des intentions de vote pendant la campagne électorale. Presque tous ces votes sont allés au NPD, a rappelé Éric Grenier. Encore aujourd’hui, 26 % des électeurs néodémocrates affirment que le Bloc québécois est leur deuxième choix, selon ses chiffres (30 % se tourneraient vers les libéraux, 7 % vers les conservateurs, 6 % vers les verts). Là encore, le dernier sondage Léger rapporte la même tendance : 32 % des néodémocrates se tourneraient vers le Bloc en second lieu. À l’inverse, 29 % des bloquistes s’en remettraient au NPD. Preuve que les deux électorats sont des vases communicants.

Bien qu’ils aient tour à tour minimisé l’importance du retour de Gilles Duceppe, arguant que les Québécois lui ont dit non il y a quatre ans, les partis fédéralistes ont admis en coulisses que la donne vient de changer. Ce qui s’annonçait comme de nombreuses luttes à trois — déjà difficiles à anticiper — vient de se transformer en luttes à quatre. « C’est carrément impossible à prédire », confiait un stratège cette semaine.

Dans l’ouest de l’île de Montréal, une remontée du Bloc pourrait priver le NPD des votes indispensables pour dépasser les libéraux. Dans la région de Québec, ce sont les conservateurs qui pourraient l’emporter si les néodémocrates et les bloquistes se partagent l’électorat. Dans l’est de Montréal, dans la couronne nord ou la couronne sud, quiconque pourrait se faufiler dans des luttes serrées.

Si le Bloc québécois conserve des appuis avoisinant la vingtaine de points de pourcentage, il pourrait reprendre des circonscriptions en Mauricie, dans l’est de Montréal, les Laurentides, Lanaudière. S’il remonte encore davantage, il peut rêver à des percées en Montérégie, en Abitibi, peut-être à Jonquière ou en Gaspésie.

Le NPD ne s’écroulera pas, de l’avis de Réjean Pelletier, qui ne voit pas pour l’instant « le Bloc revenir à ses succès d’antan ». Les députés désormais connus — comme Alexandre Boulerice (Rosemont) et Françoise Boivin (Gatineau), Guy Caron (Rimouski) — conserveront leur siège. Mais, là où les candidats sont « demeurés inconnus, le Bloc peut essayer de faire une percée » en martelant, comme il entend le faire, qu’un néodémocrate n’a pas défendu les intérêts du Québec.

Un désir de changement…

Le NPD entend lui répliquer que lui seul peut déloger les conservateurs de Stephen Harper. De passage à Ottawa cette semaine, Gilles Duceppe a pris acte de ce sentiment chez beaucoup d’électeurs, mais il a rappelé que le ministre Steven Blaney n’avait pas permis aux chantiers Davie de récolter un contrat naval, que la forte députation québécoise de Pierre Elliott Trudeau n’avait pas empêché le rapatriement de la Constitution, ni celle de Brian Mulroney, l’échec de l’accord du lac Meech.

« Donc, c’est dire aux Québécois que compter sur les autres [fédéralistes], c’est bien moins bon que de compter sur soi-même », faisait valoir M. Duceppe jeudi.

« Au Québec, Harper, on peut s’en charger, nous autres », a renchéri cette semaine son ex-député Guy André.

Or Gilles Duceppe a beau amener avec lui sa notoriété et sa popularité, cette volonté des Québécois de remplacer Stephen Harper pourrait se révéler être un facteur plus important, le moment du vote venu. « Actuellement, je dirais que le désir de changement est plus fort, a estimé M. Pelletier. Par contre, ça peut changer, plus s’équilibrer. Un retour vers Duceppe tout en conservant cette volonté de changement. »

Tout dépendra de la campagne électorale. Un vent portant le NPD ailleurs au pays pourrait convaincre les Québécois de lui rester fidèle, croit le politologue. Et les débats ne seront plus les mêmes. « Gilles Duceppe est de loin le débatteur le plus expérimenté. Il ne pourra pas être ignoré », a noté Éric Grenier.

… ou un vent souverainiste

Dans les rangs bloquistes, on demeure convaincu que beaucoup de Québécois nationalistes choisiront de revenir au bercail, grâce à Gilles Duceppe. « Il y a des gens qui sont déçus du NPD, qui s’apprêtaient à ne pas aller voter et qui auront maintenant la possibilité d’aller voter pour un Bloc ragaillardi », rêve l’ex-député de Joliette, Pierre Paquette.

D’autres estiment que le mouvement souverainiste profite de la venue de Pierre Karl Péladeau au Parti québécois et du retour de M. Duceppe, deux « figures connues, des personnes rassembleuses », selon l’ancien élu Pierre-Pascal Paillé. S’ajoute la mort de Jacques Parizeau, « un électrochoc probablement pour certains. Donc, cette conjoncture-là […] va avoir un effet d’entraînement nécessairement. »

Il n’y aura pas de raz-de-marée bleu clair, le Bloc ne reprendra pas 49 circonscriptions du simple fait que Gilles Duceppe est de retour, conviennent-ils tous. « Il ne faut pas s’illusionner. Mais, en même temps, on a des conditions qui sont préférables à ce qui existait il y a quelques jours », se réjouissait Pierre Paquette, quelques minutes avant l’annonce officielle de M. Duceppe et Mario Beaulieu, mercredi.

Tous ont salué le travail acharné de ce dernier et son abnégation, qui donnera un nouveau souffle, espèrent-ils, au parti souverainiste. Reste maintenant à mettre tout en place pour que ce regain ne soit pas qu’éphémère, a reconnu Pierre Paquette. « Il va falloir être la tortue, plus rapide que le lièvre. »


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->