Ottawa en plein brouillard

Cela dit, le Bloc devra jouer le jeu, au moins un temps, en exerçant pour vrai la balance du pouvoir.

Ottawa - "Énoncé économique" et crise politique



(Québec) Pour Jean Charest, la nouvelle crise à Ottawa a pris la forme de ce que l'on appelle dans le jargon journalistique «une balle à circuit».
«Voilà la preuve que l'on a besoin de stabilité, surtout en période de crise», a-t-il lancé hier après-midi lors d'un point de presse dans une résidence pour personnes âgées de Charlesbourg.

Encore mieux, ajoute Jean Charest, voilà une autre raison de se donner, au Québec, un gouvernement majoritaire le 8 décembre.
Jolie récupération, avouez.
Sur les possibles scénarios à Ottawa (gouvernement de coalition, nouvelles élections ou résolution de la crise) et leurs conséquences pour le Québec, Jean Charest s'est toutefois montré beaucoup moins volontaire, sinon pour noter que les constitutionnalistes auront beaucoup de plaisir, au cours des prochains jours, à démêler notamment les pouvoirs réels de la gouverneure générale.
On comprend M. Charest de ne pas trop s'avancer. L'affaire est plutôt complexe, en effet.
Selon Jean Charest, les Québécois verront dans le chaos de la Chambre des communes une bonne raison d'élire un gouvernement majoritaire. Mais bien des Québécois se féliciteront plutôt, constatant l'intransigeance et la partisanerie de Stephen Harper, d'avoir contribué à le maintenir en minorité.
Une chose est claire dans ce brouillard politique et constitutionnel: le scénario préféré des trois partis de l'opposition, à Ottawa, est la formation d'un gouvernement de coalition libéral-néo-démocrate, avec l'assentiment du Bloc québécois.
Il se trouve toutefois, chez les libéraux, quelques députés tentés par de nouvelles élections immédiatement, question de crever l'abcès et, surtout, de ne pas se faire accuser d'avoir «volé» le pouvoir au profit d'une crise.
Dans sa très brève allocution, hier soir, Stephen Harper a rejeté le scénario d'un gouvernement de coalition, le jugeant illégitime. Pour M. Harper, cette crise n'a que deux issues possibles: un vote favorable aux Communes ou des élections.
Réglons tout de suite un petit détail, parce que la question est revenue plusieurs fois par courriel depuis hier: est-ce que le Bloc québécois pourrait faire partie du gouvernement? La réponse est non.
Le Bloc peut appuyer ponctuellement un gouvernement de coalition minoritaire, selon la doctrine des intérêts du Québec, mais Gilles Duceppe ne deviendra pas ministre.
Il y a des limites à faire fonctionner le gouvernement fédéral, pour un parti souverainiste. La semaine dernière, le Bloc n'a même pas proposé de candidat à la présidence de la Chambre des communes, jugeant que c'était déjà «hors limite».
De toute façon, aucun parti fédéraliste ne voudrait ouvrir la porte du cabinet aux souverainistes.
Cela dit, le Bloc devra jouer le jeu, au moins un temps, en exerçant pour vrai la balance du pouvoir.
Les Québécois, comme les autres Canadiens, ne veulent pas d'élections. Ils veulent que le Bloc défende les intérêts du Québec et fasse fonctionner, de bonne foi, le Parlement.
Supposons, aux fins d'analyse, que Jean Charest remporte une majorité le 8 décembre, c'est donc dire que, plus que jamais, il devra travailler main dans la main avec Gilles Duceppe, qui deviendrait son canal direct dans le gouvernement de coalition.
Les libéraux fédéraux, eux, en sont à jauger les risques et les avantages des deux options retenues: provoquer des élections ou former une coalition avec le NPD de Jack Layton. (Celle de plier est, disent les libéraux, totalement exclue. «On en a assez de rester assis et d'avaler les couleuvres. Cette fois, on se tient debout, pas question de céder», résume un député libéral.)
«Repartir en élections, c'est risqué parce que la population n'en veut vraiment pas, et prendre le pouvoir avec un gouvernement de coalition, c'est risqué aussi parce que les Canadiens viennent tout juste d'élire un gouvernement conservateur», résume une source libérale au coeur de la tempête.
Dans les deux cas, les libéraux ont un problème de taille: leur chef.
Stephen Harper a affirmé hier soir que le «premier ministre Dion» n'a pas le droit de prendre le pouvoir sans se faire élire d'abord. Les libéraux consultés hier ne voient pas un «premier ministre Dion», ils pensent plutôt à un «premier ministre Michael Ignatieff».
Pour y arriver, il faudrait que le caucus se réunisse en séance extraordinaire d'ici le 8 décembre et désigne, si la Constitution du PLC le permet (ce qui n'est pas clair), M. Ignatieff au poste de chef.
Quant à Stéphane Dion, certains évoquent la possibilité de lui donner un ministère prestigieux dans le gouvernement «rouge-orange» de coalition.
Petit détail embarrassant, cependant, avant de nommer Michael Ignatieff: il faudrait d'abord convaincre Bob Rae de céder sa place, ce qui est plus facile en théorie qu'en pratique, même si M. Ignatieff jouit déjà d'un appui massif au sein du caucus.
Le nom de Ralph Goodale circule aussi, mais il n'est pas question pour les députés du Québec d'avoir un chef unilingue anglophone.
Le bon côté d'un couronnement, si on devait en arriver là, c'est que les libéraux, fauchés, n'auraient pas besoin de se taper une autre course à la direction coûteuse et forcément dure sur l'unité des troupes.
Pour Jack Layton, ce gouvernement de coalition représente la seule (et inestimable) chance de participer au pouvoir.
Bien des revirements peuvent se produire d'ici le 8 décembre - et il s'en produira, soyez-en assuré -, mais, si nous devions en arriver à un gouvernement de coalition, les libéraux, le NPD et le Bloc seraient condamnés à s'entendre, du moins pour un certain temps.
On peut aussi imaginer, et ce n'est pas un détail, l'immense frustration des électeurs conservateurs, en particulier de l'Ouest canadien, et probablement une grave confrontation avec l'Alberta.
Visiblement pris de court par la pugnacité des partis de l'opposition, Stephen Harper devra peut-être, pour une rare fois, mettre de l'eau dans son vin.
En tout cas, son image de grand stratège vient d'en prendre pour son rhume.
Pour la deuxième fois d'affilée, d'ailleurs, parce que c'est aussi par entêtement idéologique qu'il a «échappé» le Québec lors des dernières élections fédérales.


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