L'immigration n'existerait pas si le pays d'accueil n'en retirait pas de multiples avantages. Si elle est une réponse à un manque de sécurité pour le démuni, à une demande d'asile pour le réfugié, elle est par contre réglée en fonction d'exigences d'ordre démographique, économique et culturel du pays d'accueil. N'entre pas qui veut dans les pays d'immigration!
On n'émigre jamais dans un no man's land. Un pays d'immigration est une société organisée qui possède une langue (ou des langues), une culture (ou des cultures), une histoire et des lois. Si l'immigrant quitte le sien pour des raisons politiques ou économiques, ce n'est surtout pas pour le reproduire ailleurs. Le voudrait-il qu'il n'y arriverait pas!
Il constitue cependant un agent de changement qui fait irruption dans ce qui est familier et habituel. Par conséquent, il obligera tôt ou tard la société d'accueil à s'interroger sur sa culture, sa langue et ses institutions, la plupart du temps dans un esprit de dialogue et de négociation. D'où la nécessité de remplacer la notion d'accommodement par celle de compromis, lorsque les situations s'y prêtent, pour que les Québécois français n'aient pas toujours l'impression que les accommodements se font à leurs dépens. Nous en sommes là, nous, les Québécois.
Quel que soit le pays d'immigration, il y aura toujours un certain nombre d'immigrants qui ne réussiront jamais à apprendre la langue véhiculaire (ou officielle). Cela s'explique en grande partie par leur âge, les ghettos d'emploi ethniques et le manque de structures facilitant l'apprentissage. À ce nombre, au Québec, il faut ajouter environ un tiers des anglophones de vieil établissement (parmi les plus âgés) qui, pour des raisons historiques, sont restés unilingues. [...]
Nous, les Québécois, sommes très majoritairement et irréversiblement francophones.
Une identité, plusieurs langues
Au Québec, l'immigrant plurilingue a besoin de parler français mais n'a pas besoin du français pour parler. De ses langues, aucune ne suffit à exprimer ce qu'il est, et chacune de celles qu'il parle ou écrit se nourrit des autres. Dans un contexte cosmopolite, l'identité, individuelle ou collective, peut difficilement être traduite par une seule langue. Chez le polyglotte, chacune des langues contribue à la constitution de son identité complexe dont les langues ne sont qu'une composante. Ce qui vaut également pour les nombreux Québécois d'ethnie canadienne-française maîtrisant le français et l'anglais: ils n'ont pas que le français comme langue identitaire.
La langue n'est pas une religion. Celle-ci est exclusive: on ne peut être à la fois musulman et catholique; on peut par contre parler et écrire plusieurs langues et accorder à chacune une certaine -- ou égale -- importance identitaire. Ce n'est que dans la sphère publique que la langue véhiculaire, quelle qu'elle soit, peut, en toute légitimité, en éclipser d'autres pour des raisons de cohésion sociale ou de survie culturelle comme dans le cas du Québec.
L'expression de l'identité et de la culture québécoises n'est pas non plus exclusive à la langue française d'ici. L'anglophone de vieil établissement parlant peu ou pas du tout le français exprime en anglais une manière d'être québécoise tandis que l'immigrant qui n'a réussi à maîtriser ni l'anglais ni le français témoigne par son parler truffé d'anglicismes et de québécismes de l'inévitable métissage. En milieu cosmopolite, une identité ne sera réussie que si elle se nourrit de plusieurs allégeances et appartenances linguistiques, tout comme le français québécois ne survivra que s'il réussit à exprimer plusieurs identités.
Français affirmé
L'affirmation du français doit se faire dans le respect des autres langues, car le citoyen d'une société multiethnique possède plus d'une langue identitaire. Le Québec n'étant ni monolithique ni assimilationniste, personne n'est tenu de changer de langue pour en faire partie. Le temps où on pouvait écrire «change de langue et tu feras partie des miens» est révolu. Désormais, un francophone, c'est aussi un immigrant qui ne change pas de langue mais qui se conforme à la loi 101 en faisant du français sa langue de communication publique.
C'est la Charte de la langue française qui a sonné le glas de l'isolationnisme et qui a permis aux immigrants -- surtout les nouveaux -- de s'inscrire dans un parcours d'insertion sociale et culturelle qu'on appellera interculturalisme. Le nombre de jeunes allophones fréquentant les écoles françaises a plus que quadruplé depuis 30 ans. Ils s'expriment désormais en français même dans les corridors et les cafétérias des cégeps anglophones. [...]
Nous, les Québécois, n'avons pas que le français comme langue identitaire.
Mais franciser n'est pas synonyme d'intégrer. Dans la grande région de Montréal, où habite la majorité des immigrants (et allophones), ceux-ci ont parfois pu améliorer leur statut économique sans véritable intégration socioculturelle. On constate aussi, dans certaines communautés, une autosuffisance institutionnelle qui permet à l'immigrant d'exercer la plupart de ses activités à l'intérieur de sa communauté. Un vieil Italien à qui je demandais s'il croyait être intégré me répondit: «Je suis intègre, cela devrait suffire.»
Il n'y a pas qu'un modèle d'intégration. Dans la région de Montréal surtout, on assiste à une cohabitation cosmopolite à la fois harmonieuse et diversifiée reflétant à la fois le «vouloir vivre ensemble» et l'hétérogénéité autant de la communauté d'accueil que de la population immigrante. Il s'est développé une italianité typiquement montréalaise, de même qu'une manière de vivre grecque, portugaise et haïtienne d'ici. [...]
Nous, les Québécois, formons une nation. Nous avons un territoire, une histoire et une langue parlée par près de 95 % de la population. En plus d'être pluraliste, la nation québécoise est démocratique, civique et laïque. Les règles de l'hospitalité exigent qu'elle soit reconnue comme telle par ceux qui bénéficient de son accueil, jouissent de la dignité et de la sécurité que confère un État de droit et peuvent afficher leur différence en toute liberté dans le respect des valeurs fondamentales de leur nouvelle société.
Nation et littérature
Nous, les Québécois, avons aussi, il va sans dire, une littérature. Rien n'exprime mieux l'identité d'une société que sa littérature. Comme celle-ci, elle est en constante transformation. Si on exclut ses aspects contraignants, la nation est au citoyen ce que la littérature québécoise est à l'écrivain et au lecteur: un lieu de jonction entre le particulier et l'universel, d'apprivoisement du pluralisme et de l'hétérogène, mais surtout une occasion de célébrer une langue ou des langues.
Il y a, sur le territoire québécois, une communauté anglophone qui jouit d'un statut de minorité linguistique, des communautés autochtones auxquelles on reconnaît celui de nation, des communautés immigrantes et une majorité francophone. Nul ne contestera que chaque membre de ces communautés soit un Québécois à part entière. Par littérature québécoise, il faut entendre la somme des oeuvres littéraires produites par ces communautés, qu'elles soient écrites en français, en anglais ou dans l'une ou l'autre des langues autochtones.
Si l'utilisation du français était circonscrite au seul territoire québécois et que tous les écrivains n'écrivaient qu'en français, aucun autre critère ne serait nécessaire pour définir la littérature québécoise. Mais des oeuvres importantes ont été écrites en français par des écrivains hors Québec qui se réclament de l'héritage canadien-français alors que d'autres, non moins importantes, ont été écrites par des anglophones québécois. Par conséquent, l'utilisation du français comme seul critère équivaudrait à plus ou moins ethniciser la notion de littérature québécoise et à faire fi de notre identité fondée sur des valeurs civiques et sur l'appartenance à un territoire.
Nous, les Québécois, sommes désormais aussi diversifiés que notre littérature. Et si, parmi tous ces gens venus d'ailleurs, il y en a qui ne se disent pas encore québécois, qu'ils sachent que, de tous les humains, ils sont les mieux placés pour le devenir.
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