Notre pire ennemie, c’est la langue

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« Un charabia constitué d’anglicismes, de barbarismes, d’onomatopées et, surtout, de sacres et de jurons. »


Dans une entrevue à Sandra Godin, ma collègue du Journal de Québec, Anthony Kavanagh n’aurait pu mieux décrire nos humoristes en déclarant « qu’ils parlent une demi-langue française ».


Il aurait pu ajouter que la demie en question n’est pas une langue, mais un charabia constitué d’anglicismes, de barbarismes, d’onomatopées et, surtout, de sacres et de jurons. Comment s’étonner que nos humoristes trouvent difficile la conquête de la France, alors que la moitié de la langue qu’ils parlent est incompréhensible et l’autre demie à peine mieux.


De plus en plus formatés par leur passage à l’École nationale de l’humour, les propos de nos humoristes se réduisent à des blagues de cul ou des clichés rebattus sur leur vie de couple, de divorcé ou de célibataire. Sauf quelques-uns comme Guy Nantel, Boucar Diouf ou André Sauvé, ils abordent rarement les questions sociales ou politiques et encore moins les questions existentielles. À part les sacres, ils ne se souviennent de rien de la religion.


LES FEMMES NE FONT PAS MIEUX


Connaissant mal le français et le maîtrisant si peu, nos humoristes n’ont pas le loisir de jouer sur les mots comme le faisaient avec bonheur Raymond Devos et Pierre Desproges ou, plus près de nous, Marc Favreau dans son personnage de Sol.


N’empêche qu’à une époque pas si lointaine, Yvon Deschamps, les Cyniques, Clémence Desrochers, Daniel Lemire et même Rock et Belles Oreilles faisaient rire aux larmes sans descendre aussi bas que les Ward, Mercier, Méthot, Roy et compagnie.


Peu nombreuses encore parmi les humoristes, Lise Dion et Cathy Gauthier en tête, les femmes sont loin de rehausser le niveau de langage de l’humour. Dommage que Mariana Mazza ait fait trop longtemps la première partie de Peter MacLeod, elle aurait le talent qu’il faut pour se démarquer. Il y a de l’espoir du côté de Virginie Fortin si elle n’est pas emportée, elle aussi, par le courant de médiocrité qui marque l’humour québécois.


Au lieu de marcher dans les pas de Lise Dion, nos humoristes en jupon gagneraient à regarder du côté de la France où nombre de femmes font rire sans avoir toujours à la bouche, si je puis dire, le pénis et la vulve. Je pense notamment à Anne Roumanoff, Florence Foresti, Blanche Gardin ou Muriel Robin.


UN MARCHÉ QUI NOUS ÉCHAPPE


La France, la Belgique et la Suisse représentent un marché dix fois plus populeux que le Québec. Il pourrait être un marché naturel pour les artistes québécois, mais la pauvreté de la langue que nous parlons constitue un mur quasi infranchissable.


Nos producteurs de télévision en savent quelque chose. En plus d’un demi-siècle, nos séries, adorées au Québec et souvent plus créatrices que les séries françaises, n’ont jamais réussi à s’imposer au petit écran français. On les a presque toujours présentées à des heures d’écoute impossibles ou doublées en « français de France ».


Sur environ 540 films québécois de long métrage produits depuis l’an 2000, une douzaine seulement ont connu une sortie dans les salles françaises. Plus de la moitié de ceux-là étaient signés Xavier Dolan et Denys Arcand.


La langue que nous parlons s’abâtardit chaque jour. Elle constitue le pire obstacle que doivent franchir nos créateurs pour conquérir le marché francophone. Ils sont donc de ce fait leur pire ennemi.