Remarquable ouvrage de critique littéraire qui brille par sa substance et sa clarté, Mémoire d'y croire. Le monde catholique et la littérature au Québec (1920-1960), de l'historienne belge Cécile Vanderpelen-Diagre, est aussi un projet très original. Si on a beaucoup dit, et avec raison, que le catholicisme, longtemps dominant au Québec, a marqué notre littérature, cette relation, pourtant, «n'a jamais fait l'objet d'une étude systématique». L'historienne se propose donc d'explorer «cet espace [...] tiraillé entre deux logiques, intrinsèquement inconciliables: le dogme catholique et la liberté créatrice exigée par l'art».
Dans les années 1920, le clergé tient le haut du pavé en matière de production culturelle. La lecture, selon lui, doit essentiellement informer et édifier le fidèle. L'artiste, dans ces conditions, doit éviter le péril «de se prendre pour le créateur». Genre idéal pour «exprimer une louange à Dieu», l'art oratoire (l'essai) est donc placé au sommet de la hiérarchie. La poésie, avec son «langage d'exception capable de donner accès à un dialogue d'ordre divin», suit. Le roman est alors considéré comme un genre mineur et dangereux. Le théâtre, «école de mauvaise vie», est craint.
Marquées par une renaissance nationaliste, les années 1920, remarque Vanderpelen-Diagre, sont celles d'une pratique littéraire identitaire qui présente le catholicisme comme allant de soi et qui, par conséquent, le traite plus comme un élément de la tradition que comme une expérience existentielle. La poésie de cette époque, par exemple, «ne reflète pas les pensées intimes des auteurs concernant leur rapport à Dieu». La littérature est au service d'une religion patrimoniale qu'elle ne remet pas en question.
«Le tiraillement entre modernité et tradition» qui caractérise les années 1930 montre une prudente évolution à cet égard. Le défroqué Dantin, qui plaide modestement en faveur de «l'autonomie de la beauté par rapport à la morale», est surtout perçu comme une «brebis égarée». Jean-Charles Harvey prend ses distances d'avec le clérico-nationalisme mais veille à ne pas rejeter la religion, qu'il conçoit en «libéral héritier des Lumières». Saint-Denys Garneau, la figure clé de cette aventure, se lance dans «une investigation littéraire visant à marier modernité et religion».
Expérience intime
La posture du poète, qui est au centre de la période étudiée par l'historienne, permet à cette dernière d'illustrer le coeur de sa thèse. Comme l'expliquera Gérard Pelletier plus tard en déplorant que «notre société [...] est cléricale, mais [qu']elle n'est pas catholique», nos écrivains, dans leur rapport au catholicisme, sont passés d'une évidence non remise en question aux tourments d'une expérience vraiment explorée et, partant, mise en doute.
Chromo faisant naturellement partie de notre bagage identitaire dans les années 1920, le catholicisme, par la suite, devient de plus en plus assumé comme une forte expérience intime qu'il n'appartient plus aux seuls clercs de définir. L'évolution, Vanderpelen-Diagre le montre bien, est paradoxale: c'est en approfondissant leur exploration du catholicisme comme un fait d'expérience individuelle que les écrivains québécois en viennent à ébranler son hégémonie symbolique, mais, du même coup, c'est dans cet ébranlement qu'ils recherchent, et parfois trouvent, sa vraie profondeur. D'évidence patrimoniale qui s'imposait à tous, le catholicisme devient le lieu d'une angoisse spirituelle.
En 1964, par exemple, Fernand Dumont «érigera l'inquiétude en source de la culture chrétienne qu'il veut rénover», montrant par là que la sécularisation du Québec est moins le tombeau du catholicisme que la condition de son approfondissement vrai, même si elle s'accompagne inévitablement d'une perte d'influence de l'institution et, dans certains cas, du passage à un humanisme pleinement laïque, comme chez le romancier André Langevin, par exemple. Comme s'il fallait que la foi-évidence-collective meure pour que la foi réelle, intime et inquiète vive, dans le «passage du monde catholique à un projet de "christianisation" du profane propre à toute société en voie de sécularisation».
Cécile Vanderpelen-Diagre, qui aborde aussi le rapport au catholicisme qu'entretiennent les oeuvres d'écrivains comme Alfred DesRochers, Gustave Lamarche, Anne Hébert, Rina Lasnier, François Hertel, Robert Charbonneau, André Giroux, Robert Élie et plusieurs autres, signe ici un très bel essai, sans jargon, qui nous redonne à lire intelligemment une importante partie du corpus littéraire national.
Collaborateur du Devoir
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Mémoire d'y croire
Le monde catholique et la littérature au Québec (1920-1960)
Cécile Vanderpelen-Diagre
Nota bene
Québec, 2007, 158 pages
Mémoire d'y croire: Le monde catholique et la littérature au Québec (1920-1960) - Cécile Vanderpelen-Diagre
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