« Non-ingérence et non-indifférence »

France-Québec : fin du "ni-ni"?


Louise Beaudoin a délaissé un temps sa bonne amie Liza Frulla pour enfin commenter ce qui se trame dans les officines de l’Élysée eu égard au Québec (Le Devoir, 1er avril 2008). Il est bien sûr ici question du président de la République française, le chum de l’autre, qui projetterait de mettre un terme, lors d’un voyage au Québec qui aurait lieu l’été ou l’automne prochains, aux liens privilégiés qui ont historiquement uni le Québec et la France. C’est de la formule « non-ingérence et non indifférence » dont il est question ici, une formule inventée en 1977 par Alain Peyrefitte, tout juste après la première élection du Parti Québécois. Cette formule laissait entendre – pas trop brusquement il est vrai - que la France serait un partenaire du Québec s’il décidait d’emprunter la voie de l’indépendance.
Que Nicolas Sarkozy veuille mettre une telle formule au rancart n’a rien de bien étonnant. Rappelons qu’en 1995, lorsque le petit bonhomme à la morphologie napoléonienne (il en a que la morphologie, n’en doutons point) a fait la gaffe d’appuyer Édouard Balladur plutôt que Jacques Chirac, son avenir politique était très sombre. Il est alors venu au Québec se réfugier auprès du créateur de politiciens par excellence, Paul Desmarais. Celui-ci lui a alors dit : « T’en fais pas Nico, on va te concevoir une stratégie qui te ramènera au devant de la scène ». Mission qui fut accomplie quelques années plus tard, alors que Sarko dirige la République. Mais il faut savoir qu’oncle Paul ne fait jamais de cadeaux sans rien réclamer en retour. Qu’il ait profité de l’élection de son poulain tricolore pour réclamer que cesse enfin la folie française qui consiste à encourager les lubies indépendantistes du Québec n’est en soi rien pour étonner l’indépendantiste que je suis. D’ailleurs, si le PQ entretenait davantage ses relations internationales, il aurait vu venir le coup depuis belle lurette.
Mais il faut quand même être honnête et dire que Louise Beaudoin, elle, grâce aux rencontres qu’elle eut avec l’amoureux-de-la-chanteuse-qui-lui-porte-ombrage, avait compris ce qui se tramait dans les plus hauts lieux du pouvoir français. Bravo à elle! Ne nous reste dès lors plus qu’à critiquer la réaction qu’elle eut dans cette affaire. Qu’elle réclame, dans son analyse d’aujourd’hui et publiée dans Le Devoir, que Jean Charest agisse afin d’empêcher que Sarko concrétise ses projets les plus funestes eu égard au Québec est carrément surréaliste. Serait-ce que Mme Beaudoin n’a pas vu passer dernièrement la photo sur laquelle on retrouve un Sarkozy heureux de remettre la « Grand-Croix » à son Ô combien fier parrain Desmarais, en compagnie qu’ils étaient d’un Jean Charest qui était tout aussi souriant qu’eux? Elle n’a pas compris ce que dissimulait cette photo officielle?
C’est pourtant écrit dans le ciel que cette attaque que prépare la France de Sarko contre les indépendantistes québécois a été imaginée et conçue en partenariat avec Desmarais et Charest, le premier étant l’un des marionnettistes du second! Jean Charest ne fera donc jamais rien pour empêcher qu’une telle chose survienne, n’en déplaise à Mme Beaudoin qui aimerait probablement se faire de nouveaux amis chez les libéraux. Et ce, parce que dans les faits, une telle position française rejoindrait les objectifs politiques les plus fondamentaux de ce même Charest. Rappelons qu’au début des années 1990, l’actuel premier ministre du Québec disait s’être trouvé une raison d’être dans la vie : combattre et vaincre le mouvement indépendantiste. Il ne peut donc qu’être heureux de s’être déniché un allié français dans cette mission!
Dans de telles circonstances, quelle devrait être la réaction du mouvement indépendantiste québécois?
D’une part, il nous faudrait renvoyer, et le plus rapidement possible, des émissaires en France afin qu’ils y rencontrent nos alliés privilégiés, de façon à les convaincre de faire pression sur Sarko afin qu’il abandonne ses projets. Le PQ a négligé trop longtemps ses contacts internationaux, l’heure est venue de changer de stratégie à leur égard. Si l’on veut un jour obtenir une reconnaissance internationale pour notre projet indépendantiste, il nous faudra d’ici là entretenir généreusement nos relations avec ceux qui pourraient accepter de nous appuyer.
D’autre part, et parce que rien ne dit que la première opération puisse être couronnée de succès, le Québec indépendantiste pourrait imiter les comportements de la Chine, de la Serbie ou de la Russie. Il n’est évidemment pas ici question des comportements de ces régimes par rapport à leurs propres minorités nationales. Il est plutôt question des messages qu’ils ont adressés au Canada afin que ce pays n’appuie pas l’indépendance du Kosovo ou qu’il ne se mêle pas du dossier tibétain. Il a alors été dit au Canada que s’il ignorait de tels avertissements et qu’il appuyait de ce fait Kosovars et Tibétains, il lui faudrait alors comprendre que la Russie, la Serbie ou la Chine pourraient pour leur part et en guise de représailles appuyer l’indépendantisme québécois. De tels messages ont le mérite d’être clairs! Gageons qu'ils ont été entendus à Ottawa.
À ce que je sache, il y a bien des peuples en lutte sur le territoire français. Si la France de Sarko se propose d’abandonner une deuxième fois le Québec à son sort (le premier abandon étant survenu en 1759), le Québec indépendantiste pourrait dès lors se détourner de Paris (pour un temps à tout le moins, en attendant que le régime change à l'Élysée) et nouer plutôt des liens avec les Bretons, les Basques, les Corses, les Occitans, les Savoyards, les Alsaciens, etc. Dans les faits, de tels liens seraient plus naturels que ceux que les Québécois ont eus avec Paris depuis des années, cette métropole impériale qui a elle-même malmené ses minorités nationales.
Évidemment, je ne suis pas complètement naïf. Je peux bien évidemment comprendre les raisons stratégiques qui ont poussé le Québec a historiquement appuyer Paris. Un appui de Paris au projet indépendantiste québécois aurait été hier déterminant, et il le serait tout autant demain. La politique amène parfois les humains à s’associer à des régimes pas tellement admirables, de façon à atteindre leurs propres objectifs qui peuvent, eux, être nobles (l'indépendance du Québec dans ce cas-ci). Cela, nous le comprenons bien. Mais dès le moment où Paris se dira attachée davantage à l’unité canadienne qu’à l’indépendance du Québec, il n’y aura plus rien qui imposera aux indépendantistes d’ici de s’associer inconditionnellement à cette capitale. Il sera alors à propos de faire connaître nos sympathies pour les peuples en lutte présents sur le territoire français et qui eurent à subir des répressions qui ressemblent drôlement à ce que les francophones du Canada ont connu sous le joug anglais. Cela pourrait bien ramener Paris à de meilleures dispositions à notre égard, n'en doutons point…
Patrick Bourgeois


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