Nommer et rémunérer ses amis

Limites et dangers de la rémunération des administrateurs publics

Chronique de Louis Lapointe

Ceux qui lisent régulièrement mes chroniques savent à quel point le sujet de la rémunération des administrateurs publics me préoccupe. Or, nous avons appris hier que la grande majorité des membres de conseil d'administration nommés par le gouvernement du Québec au sein de sociétés d’État offrant des jetons de présence étaient des amis du pouvoir qui avaient contribué à caisse électorale du parti libéral du Québec.
Alors que j’étais directeur de l’École du Barreau du Québec, le Comité de la formation professionnelle, le comité qui administre l’École, était un des deux seuls comités du Barreau à rémunérer ses membres, ce qui en faisait un comité très convoité auprès des avocats.
À l’occasion de certaines nominations, j’avais alors perçu les limites et les dangers de la rémunération des membres d'un conseil d'administration gérant des fonds publics. Si elle peut être un intéressant levier pour dénicher les meilleurs d’entre nous, elle peut aussi devenir la source d’une dangereuse convoitise conduisant à la nomination des amis du pouvoir. Une réalité certainement plus facile à gérer au sein d'une petite organisation qu'à l'échelle de l'appareil de l'État.
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Dans Les administrateurs de la CDPQ ne savaient pas, j’expose les limites éthiques du modèle développé par l’IGOPP et le professeur Yvan Allaire alors qu’il était administrateur et président du comité d’éthique de la Caisse de dépôt et placement du Québec.
« Comme on a pu le constater, non seulement la présence d’un comité d’éthique et de gouvernance à la CDPQ n’a été d’aucune utilité au sujet de l’imputabilité des gestionnaires de la Caisse, mais en plus, ce comité ne semble pas avoir été sensible à la présence d’administrateurs en possible conflit éthique à la présidence de différents comités du conseil d’administration. Le fait qu’un administrateur puisse être une personne intéressée ou un gestionnaire au service d’une organisation liée à des opérations de la Caisse de dépôt et placement pouvait-il être source de conflits d’intérêts ?
Manifestement, les mécanismes d’éthique et de gouvernance mis en place par le conseil d’administration de la Caisse de dépôt et placement du Québec n’ont pas fonctionné et devraient être sérieusement remis en question à l’aune de la crise que vient de subir la Caisse avant qu’on songe à les implanter partout au Québec.
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Dans L’éthique des parasites, je décris les inconvénients majeurs du modèle développé par l’IGOPP s’il était implanté dans l’ensemble du réseau public et parapublic du Québec.
« Ce qu’il y a de plus navrant dans le cas de la CDPQ, c’est que le gouvernement libéral de Jean Charest a voulu faire de la gouvernance à la Caisse de dépôt un exemple pour toutes les sociétés d’État et qu’il s’apprête maintenant à reproduire le même modèle dans les universités et le réseau de la santé et des services sociaux. Rémunérer des administrateurs professionnels et leur confier le contrôle des modes de gestion des organisations publiques grâce à l’implantation de comités d’éthique et de gouvernance était une très mauvaise idée comme on a pu le constater dans le cas de la CDPQ. Loin d’aider, ces comités ont donné l’illusion de la bonne gouvernance alors que les administrateurs qui les composaient dormaient au gaz.
Le problème avec ce modèle de gouvernance suggéré par l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP) qu’on s’apprête à implanter dans plusieurs établissements financés par des fonds publics, hôpitaux comme universités, c’est qu’il suppose que des administrateurs professionnels nommés et rémunérés seront plus compétents que des citoyens bénévoles élus. Il suggère que des administrateurs de société professionnels pourront faire mieux parce qu’ils seront indépendants et rémunérés. Leur présence aux comités de vérification, d’éthique et de gouvernance garantirait ces organisations contre la bêtise.
Or, c’est justement à l’inverse que nous avons pu assister à la CDPQ. Contrairement aux administrateurs qui sont élus, ces administrateurs nouveaux genres n’ont de comptes à rendre à personne, ils ne travaillent que pour eux-mêmes et leur compte de banque. En fait, ils agissent comme des consultants privés qu’on paie pour des conseils dont la teneur est souvent connue à l’avance. Ce n’est pas leur esprit critique qui est recherché, mais bien leur souplesse et leur capacité d’adaptation, des qualités de plus en plus recherchées chez les dirigeants et les administrateurs de société.
Voulant à tout prix conserver le pouvoir et la rémunération qui s’attachent à leur charge d’administrateur, ils ne voudront surtout pas importuner l’autorité à qui ils doivent leur nomination en ne posant pas trop de questions qui pourraient être jugées inopportunes. Mieux, réunis en comité de sélection, ils favoriseront toujours l’embauche de directeurs généraux qui ne souhaiteront pas remettre en question la pérennité de leur participation au conseil d’administration.
Naîtra alors une relation où les dirigeants et les administrateurs vivront en état d’osmose, chacun devenant le parasite de l’autre, un lieu où la bienséance fera office de règles d’éthique, conduisant les uns comme les autres à ne pas trop être curieux, soutenant béatement toutes les initiatives de la direction générale quand ce ne seront pas les exigences du gouvernement ou les propositions d’un administrateur bien branché. Le fait qu’ils soient nommés plutôt qu’élus les amènera à confondre leur rôle de chien de garde, se croyant d’abord au service de l’autorité qui les rémunère, pas comme des fiduciaires de l’organisation.
En fait, le nouveau modèle de gouvernance que le gouvernement s’apprête à implanter dans de nombreux établissements publics transformera leurs conseils d’administration en clubs privés, des lieux de pouvoir où s’échangera maintes informations privilégiées, où seuls seront admis avocats, comptables, administrateurs professionnels, anciens ministres et autres consultants en tout genre qui auront en commun qu’ils sont tous des amis du parti qui souhaitent être rémunérés et siéger au plus grand nombre de conseils d’administration, faisant de cette occupation une lucrative activité.
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Dans L’ennemi masqué, quelques jours avant l'élection générale de décembre 2008, je mettais en lumières les dangers d'un tel instrument entre les mains d’un premier ministre tenté de faire de la nomination et de la rémunération des administrateurs publics un puissant levier politique.
« Nous le savons maintenant, si Jean Charest aime les luxueuses limousines, il préfère d’abord le calme feutré des officines. S’il devient majoritaire, c’est là qu’il décidera du sort de notre régime de santé et des assureurs privés qui s’y grefferont, du pétrole du golfe et des consortiums qui le développeront, des infrastructures publiques qui se construiront et des entrepreneurs qui feront couler le béton. C’est là que se décidera quelle langue se parlera désormais à Montréal, du sort du CHUM et du CUSM, du financement des universités francophones et anglophones, là où se fera la recherche la plus avancée au Québec.
C’est là aussi où sera décidé du type de gouvernance auquel plusieurs établissements publics seront bientôt soumis – un projet déjà dans les cartons du gouvernement du Québec et dont il n’a guère été question durant la présente campagne électorale – un projet où sont déjà prévus les règles d’éligibilité, les compétences exigées, les modes de nominations et surtout la rémunération qui sera versée à ces futurs administrateurs nouveau genre de la chose publique.
Ce sera donc derrière les portes closes des officines de Jean Charest que seront préparées les longues listes de noms des personnes qu’il voudra voir siéger aux conseils d’administration des universités, des collèges, des établissements et agences du réseau de la santé et des services sociaux et des sociétés d’État comme Hydro-Québec, Loto-Québec, la SAQ, la SAAQ, la SGF et la CDP.
Si Jean Charest veut être majoritaire, c’est qu’il sait qu’il aura les coudées franches et jouira des appuis nécessaires au sein des sociétés d’État et des établissements publics pour réussir là où il a échoué au cours des deux précédents mandats. Cette fois-ci, Jean Charest l’a dit, il a un plan pour le Québec et rien ne pourra l’arrêter s’il est majoritaire, il est prêt !
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Enfin, dans L’incompétence créative, citant les exemples de l’UQAM, Nortel et Norbourg, je concluais de la façon suivante :
« Il y aura toujours des politiciens et des analystes à la solde des grands magnats de l’économie pour venir vanter les mérites des partenariats public/privé comme solution à ces dérives. Il y aura toujours des universitaires et des intellectuels à la solde de think thanks conservateurs pour venir dire que la dérive de ces projets a été causée par l’incompétence des fonctionnaires. Il y aura toujours de grands gourous en conflit d’intérêts patents pour venir dire que la solution à ces dérives consiste simplement à introduire encore plus d’intrants privés dans le public, à nommer encore plus d’administrateurs qui proviennent du privé et qui ne connaissent rien au service public et à bien les rémunérer pour que tout aille pour le mieux.
Selon ces grands gourous, les conseils d’administration dont les administrateurs sont indépendants, rémunérés et choisis par un comité de mise en candidature seraient la solution à tous nos maux. Dans cette définition même, l’indépendance porte en elle le germe de la redevance. Des administrateurs ne mordront jamais la main qui les a nourris. On n’attendra pas simplement d’eux qu’ils lisent leurs documents, mais surtout qu’ils joignent leurs voix à la majorité du conseil et à celles des dirigeants lors de décisions stratégiques visant à céder encore plus de lest aux intérêts privés.
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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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