Noël, Noël... ce qu’on a pu en dire des choses sur lui. Et on dirait que c’est pire chaque année.
Pour beaucoup, le temps des fêtes est une période très pénible à passer, où toutes les blessures d’enfance semblent s’ouvrirent à nouveau et où, par la force des choses, on est mis devant les déceptions de nos cœurs d’enfants et nos désillusions d’adulte. Je sais que pour beaucoup, Noël c’est le défilé de l’hypocrisie. Un révoltant spectacle où on se fait pousser une conscience sociale et un sens de la générosité, le temps de quelques jours, et puis basta. Que c’est se saigner à blanc pour accoter les standards irréels véhiculés par les pubs de Walmart-Wayfair-Homesens-Marshall et cie et, qu’en lieu et place de l’Esprit de Noël, c’est une charge financière aliénante qui pèse sur nos épaules et qui s’accompagne à tout coup de la peur de ne pas en faire assez.
C’est bien triste, mais n’en demeure pas moins que pour la majorité d’entre nous, Noël est simplement synonyme de réjouissances, de cadeaux et de bonnes tablées. Mais à l’heure où, déjà, nous commençons à ne plus pouvoir nommer Noël qu’à demi mot, je me demande quel en est le cœur sous son folklore religieux et ses traditions de consommation? Pourquoi devrait-on préserver et protéger cette tradition, nous qui sommes pourtant laïques, pour la plupart non croyants et non pratiquants, d’autant plus alors qu’on se sensibilise de plus en plus sur la question de notre empreinte écologique?
Assez rapidement, j’en suis venue à la conclusion que, historiquement, Noël est l’un, sinon le plus vieux de nos tissus sociaux.
Nous oublions un facteur essentiel, peut-être même le plus déterminant, celui qui a forgé toute notre personnalité nationale, et j’ai nommé l’hiver. Au Québec, ce n’est pas qu’une saison, c’est une épreuve annuelle, un mode de vie et toutes ses exigences.
L’hiver, c’est ce qui fait que nous existons toujours en tant que Québécois, et français de surcroît, car l’hiver, c’est d’abord l’esprit de résistance. C’est notre ceinture fléchée.
L’hiver, c’est le cœur profond de notre identité. C’est l’entraide et le savoir-faire qui nous viennent instinctivement, comme de nos plus belles profondeurs. C’est l’intelligence de la survie et l’ingéniosité d’avoir toujours su comment se réchauffer de toutes les manières, en témoignent tous les enfants de notre histoire!
L’hiver, c’est la force de s’aimer plus fort, quand les tempêtes s’éternisent. C’est répondre encore, même quand il n’y a plus rien. L’hiver, c’est le courage de continuer à inventer des ressources. C’est les bras vaillants de nos pères et tous les miracles d’abondance de nos mères.
Nous passons presque la moitié de l’année à creuser des tranchées, c’est bien vrai. Il nous fait souffrir dans notre corps, oh oui. Nous pestons et voudrions être ailleurs de janvier à avril, avec nos doigts gelés à se les casser et nos nez qui précèdent de longtemps les érables, y a pas à dire.
Cependant, je me rends compte que ce n’est que l’exigent prix du partenariat jadis passé entre la lointaine colonie et la nature, car l’hiver allait se charger de trier ceux qui seraient dignes de nous engendrer de ceux qui n’en auraient pas la force. Je me rends compte, qu’en fait, même sans en avoir conscience, c’est ce que nous célébrons, à Noël.
C’est la dose de courage, de chaleur et de lumières qui nous prépare à passer l’hiver. C’est le rappel visuel, émotionnel, tactile et gastronomique que nous ne sommes pas seuls. Que nous aimons et que nous sommes aimés. C’est l’appel général des clans et des familles. Une puissante décharge de réconfort et de cœur au ventre.
Je souhaite de tout coeur que nous arrêtions de nous laisser convaincre de rejeter cette précieuse tradition qu’est Noël sous prétexte qu’elle a des origines religieuses, car ces origines qu’on ne pratique plus restent néanmoins la voix de nos ancêtres. C’est ce qui demeure de leurs personnes, de leurs coutumes, de leur amour et de qui ils étaient. C’est leur ultime présence parmi nous. C’est toutes les photos et les petits films maison qui n’auront jamais été prises ou tournés. C’est la lie de nos souvenirs les plus lointains, qui vont bien au-delà de notre mémoire ordinaire.
Et tout peuple a besoin de sa mémoire. Et nous, plus que jamais.
Je crois que c’est ce qui bouleverse tant, avec Noël. Que c’est le cœur de toute sa nostalgie. Tout ce qui fait monter nos plus belles larmes. Après tout, est-ce que ce que nous aimons de la crèche serait moins le p’tit Jésus que l’histoire du courage de sa famille qu’elle porte et symbolise? Et est-ce que ce que nous aimons de cette histoire n'est pas le fait qu’elle nous rappelle celle de nos propres familles?
Noël, finalement, qu’est-ce que c’est sinon toi et moi? Qu’est-ce que c’est sinon ceux qui sont fraîchement arrivés, sur Terre comme au pays, et nos aimés qui nous ont quittés? Quoi d’autre, sinon nous, nos familles et le rite profondément humain et imparfait qui entend conjurer de son mieux la solitude et les peines? Enfin, que je me dis, qu’est-ce que Noël, sinon l’amour?
À vous tous, amis et lecteurs que je chéris, je vous souhaite une étincelle dans votre nuit, une chaleur dans votre ventre et la sensation sincère d’aimer et d’être aimé. Parce que, l’aura-t-on dit des milliers de fois, c’est vraiment tout ce qui compte.
Joyeux Noël, chers amis. Vraiment, un très joyeux Noël à vous tous.
P.-S. C’est un très vieux et très cruel mensonge que de croire que nous ne pouvons donner ce que nous n’avons pas d’abord reçu, car qui de mieux placé que celui qui a manqué pour comprendre et savoir ce qui manque aux autres? Qui de mieux placé que celui qui n’a pas reçu pour veiller à ce que personne d’autre ne manque?
Vous savez, l’idée ce n’est jamais de donner pour mieux recevoir, mais plutôt de donner en sachant qu’on se donne d’abord à soi-même, chaque fois que l’on donne sincèrement à quelqu’un.
C’est comme ça, je crois, qu’on peut briser les tristes cycles et réparer les coeurs brisés. Et le plus beau là-dedans, c’est que ce principe est bon à l’année.