Le chef péquiste André Boisclair a fait preuve de courage et de clairvoyance, en fin de semaine, en refusant de cautionner une éventuelle nationalisation de l'énergie éolienne.
Il faut en effet une bonne dose de courage politique pour se dissocier d'une résolution tout juste approuvée par une majorité de militants. D'autant plus que les syndiqués forment une portion importante de la base militante du parti et que les syndicats mènent depuis plusieurs mois une offensive tous azimuts en faveur de la nationalisation. Offensive non dépourvue de démagogie, d'ailleurs: selon la publicité syndicale, refuser de s'engager sur la voie de la nationalisation équivaut à ramener le Québec 40 ans en arrière, rien de moins!
Certes, l'idée de nationaliser l'éolien peut paraître séduisante à première vue. Ce vent, après tout, est une richesse qui appartient collectivement à tous les Québécois; pourquoi permettre à des entrepreneurs privés de s'en servir pour s'enrichir, surtout s'ils sont étrangers?
La réalité n'est pas aussi simple. M. Boisclair l'a bien compris, et en ce sens, il faut saluer sa clairvoyance. La nationalisation de l'éolien, telle que vue par les militants péquistes, risque en effet d'entraîner Hydro-Québec vers un gouffre financier dont personne, administrations publiques, entreprises, consommateurs, contribuables, ne sortira gagnant.
Selon la formule actuelle, Hydro a le contrôle sur les appels d'offres, la gestion et la distribution de l'électricité produite par les éoliennes. C'est aussi Hydro qui fixe les conditions d'achat et de livraison.
Autrement dit, la société d'État conserve la haute main sur l'éolien, comme sur l'ensemble de l'électricité produite au Québec. Les militants péquistes voudraient qu'Hydro assume aussi le rôle de producteur... et tous les risques qui viennent avec. Actuellement, le producteur privé doit assumer le financement, les risques de construction, le respect des échéanciers et des budgets. Il assume aussi tous les risques environnementaux, et est aussi responsable de l'acceptation du projet par les autorités et la population locales. Une fois l'éolienne construite, il est responsable de son bon fonctionnement, de l'entretien et des réparations. En prime, il est évidemment tributaire des caprices du vent et des changements climatiques.
Il est loin d'être certain qu'Hydro-Québec pourrait prendre tous ces risques sur ses épaules.
Le Québec, comme d'ailleurs le reste du Canada, s'est éveillé relativement tard aux vertus de l'éolien.
Trois pays européens en particulier, le Danemark, l'Espagne et l'Allemagne, ont développé une expertise et une technologie avancées. Les plus grands producteurs d'éoliennes au monde sont Vestas, une société danoise, et Gamesa, son concurrent espagnol. Avec Enercon et Siemens, les Allemands font aussi figure de leaders. La société américaine General Electric, qui s'est également lancée dans l'éolien, a importé sa technologie... d'Allemagne. Un autre joueur important est Furlangen, un consortium américano-germano-danois.
L'expertise d'Hydro-Québec, à côté de celles de ces entreprises, toutes privées, est insignifiante. Si elle veut se lancer dans la production, Hydro devra ou bien faire appel à ces entreprises, ou bien engloutir une fortune pour essayer de développer sa propre technologie, ce qui serait de la folie.
Hydro a déjà essayé, une fois aux Îles-de-la-Madeleine, une fois à Cap-Chat, en Gaspésie. Dans les deux cas, elle s'est royalement cassé les dents. De la route 132 à Cap-Chat, on peut encore voir aujourd'hui, paralysée et impuissante, la haute carcasse de l'éolienne à turbine à axe vertical mise au point par Hydro-Québec, et qui est tombée en panne après avoir englouti 36 millions et fourni de l'électricité pendant quelques semaines.
La réalité est la suivante: la technologie existe, elle fait même de rapides progrès: en 1995, le prix de l'énergie éolienne au Canada se situait à 30 cents le killowatt/heure; il oscille aujourd'hui entre 6 et 10 cents. Mais cette technologie échappe à Hydro.
D'autre part, il est loin d'être certain qu'Hydro, avec sa lourde structure et ses salaires élevés (les techniciens d'Hydro gagnent en moyenne 15 % de plus que leurs collègues du privé), puisse se lancer dans l'aventure sans subir d'importantes pertes financières.
Il est d'ailleurs remarquable qu'aucun pays n'a voulu, jusqu'à maintenant, " nationaliser " l'énergie éolienne. L'hydroélectricité, oui; le pétrole, oui; le nucléaire, oui. Mais l'éolienne, jamais. Les gouvernements de l'Espagne, du Danemark et de l'Allemagne, dont nous venons de parler, n'ont jamais voulu prendre ce risque. Même la France, qui exerce un monopole sur la production d'électricité via EDF, a préféré confier le développement de l'éolien au secteur privé; en fait, c'est Boralex, une filiale de la société québécoise Cascades, qui est le plus important promoteur de parcs éoliens en France!
Il serait aussi utile de rappeler aux militants péquistes que les nationalisations à gogo, dans la petite histoire des finances publiques québécoises, ont fourni plus que leur part d'horreurs. Le cas le plus flagrant est certainement celui de l'amiante, qui s'est terminé par un authentique fiasco financier. Le gouvernement a aussi voulu devenir producteur d'acier avec Sidbec; l'aventure s'est soldée par une perte nette de 450 millions. Le gouvernement a voulu se faire transporteur aérien en nationalisant Quebecair; autre échec retentissant. Et que dire de la folle aventure des mines de sel dans les Îles-de-la-Madeleine, qu'on a fini par brader pour une bouchée de pain à une compagnie ontarienne? Ou de cette burlesque incursion dans la production de sucre de betterave, à Mont-Saint-Hilaire? Certes, toutes les nationalisations ne finissent pas en désastre, mais la liste, et on pourrait l'allonger, donne à réfléchir.
Évidemment, si la production est confiée aux entreprises privées, y compris celles de l'extérieur, celles-ci ont des chances de faire des profits.
Oui, pis après?
C'est normal puisqu'elles assument des risques. D'autre part, si leur expertise et leur technologie permet à Hydro d'acquérir de l'énergie à meilleur compte, tout le monde y gagnera. Enfin, faut-il rappeler que le Québec est une économie ouverte? Si une entreprise québécoise peut devenir leader de l'éolien à l'extérieur, en vertu de quel principe le Québec fermerait-il ses portes aux entreprises étrangères?
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