FIGAROVOX/ENTRETIEN – Le 18 juin, le Comité Orwell organise son deuxième colloque sur le thème de la souveraineté à l’heure de la mondialisation. A cette occasion, Natacha Polony revient sur les grands débats qui agitent l’Union européenne à une semaine du référendum sur le Brexit.
FIGAROVOX. – Le comité Orwell organise son deuxième colloque samedi autour de la question suivante : « Parler de la souveraineté des peuples et des nations a-t-il encore un sens dans un monde globalisé ?» En quoi cette thématique est-elle pertinente et actuelle ?
Natacha POLONY. – On remarque aujourd’hui, quand on observe la teneur des débats politiques et économiques, que leur point aveugle, la notion qui n’est jamais abordée frontalement est celle de la souveraineté. Cette question est cruciale pour comprendre la violence des mouvements sociaux qui agitent la France ou les débats sur nos choix économiques et européens.
La souveraineté est indissociable de la démocratie. Si nous organisons cette conférence le 18 juin, date anniversaire de l’appel du 18 juin 1940, c’est parce que celui qui a compris cela mieux que tout autre est le général de Gaulle. C’est aussi ce que nous rappelle la Constitution de 1958 dans laquelle il est écrit, à l’article 3 : «La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum.» Elle rappelle également que la souveraineté est une et indivisible, et indissociable de la démocratie. Enfin, soulignons que les concepts de souveraineté nationale et de souveraineté populaire marchent de pair. On n’a pas à s’excuser de défendre ces notions par fausse pudeur ou par peur de se faire taxer de partisan du nationalisme.
Le terme « souverainisme » n’est-il pas galvaudé ?
Ce terme apparaît comme sulfureux. Le débat qui a eu lieu à l’automne dernier sur Onfray, Finkielkraut, ces intellectuels qui auraient « basculé vers l’extrême-droite » s’est affiché en une de Libération comme du Point, des journaux qui se veulent qui, progressiste, qui, libéral. La question tacite qui se posait derrière était celle du souverainisme. Ces intellectuels étaient accusés d’avoir basculé du côté obscur de la force parce qu’ils étaient souverainistes. Ce mot incarne ce qui fait peur aux défenseurs du système actuel – qui dépouille les peuples de leur souveraineté, de la démocratie, de leur capacité de choisir leur destin.
Parler de nation, parler de peuple, c’est en mettre en évidence la dimension politique et en aucune façon un quelconque aspect ethnique ou religieux : c’est là que surgit une ambiguïté entretenue volontairement par les défenseur d’un système oppresseur.
Même si ce terme est employé de façon négative et accusatrice pour démontrer que ses défenseurs sont ethnicistes et identitaires, il faut voir que la question économique est au cœur du débat souverainiste. La souveraineté a été prise au peuple au profit d’intérêts qui privatisent le bien commun et l’espace public. Ce sont notamment les multinationales qui en bénéficient, comme on l’observe dans le cadre de débats – que nous n’avons pas, par manque criant de transparence sur le sujet – sur le traité transatlantique (TAFTA) ou sur le traité de libéralisation des services (TISA).
« La souveraineté est au peuple ce que la liberté est à l’individu. » Comment un certain libéralisme est-il parvenu à porter au pinacle les valeurs individualistes et consuméristes tout en enterrant le bien-fondé de la souveraineté nationale ?
L’immense escroquerie consiste à nous faire croire qu’il peut exister une liberté des individus sans une souveraineté du peuple. Mais comment les individus seraient-ils libres sans avoir la possibilité de se choisir un destin commun en tant que peuple, en tant qu’entité politique qui se forme volontairement ? Les individus supposément libres dont on nous parle ne sont que des monades solitaires réduites à leur qualité de consommateurs mais privés de leur autonomie politique, de leur citoyenneté.
Parler de nation, parler de peuple, c’est en mettre en évidence la dimension politique – et en aucune façon un quelconque aspect ethnique ou religieux : c’est là que surgit une ambiguïté entretenue volontairement par les défenseur d’un système oppresseur. « Vous parlez de souveraineté pour dissimuler votre haine de l’Autre ». Rhétorique de ceux qui veulent faire oublier Renan et la conception française de la Nation, politique et non ethnique, plébiscite de chaque jour.
Le contraire de la souveraineté, c’est l’esclavage et la soumission.
Le contraire de la souveraineté, c’est l’esclavage et la soumission. Un peuple souverain est un peuple libre, tout comme un individu souverain est celui qui a pu se forger son propre jugement, et qui s’est émancipé, notamment par l’éducation et par l’école. Celle-ci est fondamentale pour que chacun se libère du consumérisme qui est le seul véritable projet de ce système : un consumérisme hédoniste et individualiste. Ceux qui prétendent défendre un quelconque « libéralisme » quand ils applaudissent à cette conception dégradée de l’homme et de la société sont soit inconséquents soit cyniques. A l’échelle des entités politiques, il n’est plus de liberté puisqu’on nous prétend que les lois de l’économie seraient des lois naturelles. A l’échelle des individus, on est dans l’abrutissement de masse par le spectacle et la publicité pour fabriquer des consommateurs mus, non par leur libre-arbitre, mais par leurs pulsions. Où est le libéralisme là-dedans ?
Quel sens a pour vous l’appel du 18 juin 1940 du général de Gaulle ?
L’appel du 18 juin correspond au moment où la légitimité reprend le pas sur la légalité [annonce de l’armistice par le maréchal Pétain le 17 juin, ndlr] parce que la légalité a trahi la souveraineté de la nation, et celle du peuple. De Gaulle prend alors conscience du clivage qui sépare de certaines élites qui ont choisi d’en finir avec la France – pays coupable, selon Pétain, d’avoir trop joui à travers les congés payés et le Front Populaire – et ceux qui veulent porter les valeurs qui ont fait notre pays depuis des siècles. Au nom de ce qu’est la France, accepter le 17 juin 1940 et la soumission à l’occupant était impossible.
Quelle nouvelle forme de résistance est-elle à mettre en place dans la France de 2016 ?
Il est nécessaire aujourd’hui de résister à ce qui nous est imposé par un discours d’experts qui estiment que la démocratie pose plus de problèmes qu’elle n’en résout. Le discours selon lequel «il n’y a pas d’alternative » est la négation même du politique et de la démocratie. Il y a toujours différents choix politiques possibles. Car un choix économique est en fait un choix politique qui implique d’assumer, soit comme aujourd’hui la déflation et la régulation par le chômage de masse et, à terme, la baisse des salaires, soit, si nos dirigeants décident de faire prévaloir les intérêts des citoyens qui les ont élus plutôt que ceux des multinationales qui leur soufflent les lois bancaires ou les traités de libre-échange, un rapport de force géopolitique qui permettra une forme de protection telle que s’en dotent la plupart des Etats souverains de cette planète. Mais c’est au peuple de choisir. Or ici, tout est fait pour que le peuple ne puisse pas choisir son destin mais pour que celui-ci lui soit imposé.
La résistance, ça n’est pas décréter que la France doit urgemment se replier sur ses frontières en détestant le reste du monde, comme le disent ceux qui caricaturent le débat ! Il s’agit de réfléchir à ce qui peut être fait politiquement pour ne pas subir la mondialisation mais pour l’organiser.
La résistance, ça n’est pas décréter que la France doit urgemment se replier sur ses frontières en détestant le reste du monde, comme le disent ceux qui caricaturent le débat ! Il s’agit de réfléchir à ce qui peut être fait politiquement pour ne pas subir la mondialisation mais pour l’organiser de façon à ce qu’elle soit juste et qu’elle puisse répondre aux besoins du peuple français et des peuples qui l’entourent. Au contraire, aujourd’hui, tout est fait pour que la mondialisation soit orchestrée comme un phénomène prétendument naturel.
La tenue d’un référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne est-elle le symptôme d’une volonté exprimée par des peuples qui veulent reprendre leur destin en main ?
Ce référendum est une leçon que nous donnent les Anglais. Le principe même de la démocratie consiste à contracter des accords provisoires – en échange du pouvoir qu’il confère à ceux qui le gouvernent, le peuple remet une part de sa souveraineté. Mais ces accords sont toujours réversibles. Ce que veut nier l’Union européenne actuelle, c’est précisément cette réversibilité.
On le voit aussi à travers l’organisation du TISA, et du CETA (accord de libre-échange Canada-Union européenne). Ces traités fixent l’irréversibilité des accords : un gouvernement démocratiquement élu ne pourrait revenir ultérieurement sur ces décisions, ce qu’on appelle les effets de « cliquet ». C’est un déni absolu de démocratie. Par ce référendum, qu’ils votent oui ou non, les Anglais rappellent qu’ils sont souverains et que ce sont eux qui décident. A nous de ne souvenir de cela…
Le président du Conseil européen Donald Tusk a déclaré le 13 juin au quotidien allemand Bild: «En tant qu’historien, je crains qu’un Brexit puisse marquer non seulement le début de la destruction de l’UE mais aussi de la civilisation occidentale.» Que vous inspire cette prévision ?
La civilisation européenne n’a rien à voir avec cette construction technocratique qu’on appelle l’Union européenne. La formidable escroquerie de ces dernières années est d’avoir réussi à faire croire qu’être opposé à la construction politique antidémocratique qu’est l’UE revenait à être contre l’Europe. Rien n’est plus faux. Cela permet de maintenir artificiellement cette entité selon le précepte : « l’UE ou le chaos », « sans l’UE, c’est la guerre ». Mais qui a décrété cela ? Il existe différentes formes d’organisations politiques, de la confédération au fédéralisme total et on peut tout imaginer à partir du moment où les peuples choisissent.
Quant à la légitimité d’historien de M. Tusk sur le sujet, elle sonne faux. Cette expertise me fait penser à celle de Jean-Claude Juncker quand il nous dit qu’«il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens». Il faut réécouter le discours de Philippe Séguin le 5 mai 1992 au moment des débats sur le traité de Maastricht. Tout le problème concernant la souveraineté du peuple y est résumé : « L’Europe qu’on nous propose n’est ni libre, ni juste, ni efficace. Elle enterre la conception de la souveraineté nationale et les grands principes issus de la Révolution. »
L’organisation d’un référendum sur le «Franxit» (sortie de la France de l’Union européenne) pourrait-elle avoir lieu?
Tout cela ne se décrète pas mais se réfléchit politiquement. Il faut en tout cas réintroduire un rapport de force, qui nécessite d’avoir une marge de manœuvre, donc la possibilité de partir si l’on n’obtient pas ce que l’on veut. Ce qui compte, c’est que le peuple français retrouve l’idée que son vote est utile, qu’il a la main sur son destin. Le délitement social que nous voyons aujourd’hui, la montée des tensions et des haines, la guerre civile qui pointe vient du fait que les individus ont le sentiment que le corps politique n’existe plus. Quand il y a délitement de l’Etat, il y a délitement du corps social. Reconstruire la souveraineté, c’est rebâtir un peuple qui décide, en commun, de son avenir.
La loi Travail émane directement de suggestions de la Commission européenne.
Aujourd’hui, la loi Travail émane directement de suggestions de la Commission européenne. La ruse actuelle est de le reconnaître, mais de préciser juste après qu’elle a été acceptée par les gouvernements des différents pays d’Europe. Mais ceci se fait dans l’unique but de faire plier le marché du travail français aux injonctions de Bruxelles qui veut aligner le droit de des différents membres sur le moins-disant social. L’UE organise le dumping social et fiscal en son sein et avec l’extérieur pour le plus grand profit de ces multinationales qui disposent de quelques 15 000 lobbyistes à Bruxelles. Cette loi Travail est la traduction des choix des gouvernants de l’UE qui ont d’ores et déjà renoncé à toute souveraineté monétaire. Or la monnaie est un outil crucial. Sans la possibilité d’agir sur celle-ci, toute politique est compromise : notre modèle social est remis en cause, pour un résultat catastrophique, déflation et taux de chômage en hausse perpétuelle. En ligne de mire, nos salaires et notre protection sociale. Pour une meilleure santé de l’économie ? Faciliter les licenciements et augmenter le temps de travail (dans les grands groupes, parce que les PME sont, comme d‘habitude, en position défavorable dans ce genre de négociation) en nous rendra pas une politique industrielle digne de ce nom, des banques capables, comme c’est leur rôle, de financer l’économie et de libérer les initiatives, des marchés publics qui favorisent les entreprises nationales en introduisant des critères que qualité et de préservation de l’emploi, bref, la mise en place d’une concurrence loyale (on n’ose dire «libre et non faussée»…) préservant l’environnement, les savoir-faire et les normes sociales.
Forts de ces constats, nous proposons néanmoins un message d’espoir. C’est l’esprit du 18 juin : « la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas ». La flamme de l’espérance française non plus. Il ne s’agit pas d’être défaitiste – les défaitistes sont à l’inverse ceux qui ont admis qu’ils ne croyaient plus en la France : il faut résister pour ne pas renoncer à l’espoir d’une société plus juste et plus entreprenante, une société où répondre aux aspirations des peuples est chose possible.
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