Dans le drame de la guerre en Syrie, qui dure depuis près de quatre ans, une ville coupée en deux, – comme Berlin avant la chute du mur – plus que des bombes et des tirs de mortier «qui tombent chaque jour», plus que du manque d’eau et d’électricité «que les rebelles [des terroristes en vérité - Ndlr] coupent quand ils le veulent», les Alépins souffrent du froid. «Il ne nous manquait plus que la neige», nous dit Nabil Antaki, médecin, directeur de » Civils Blessés de Guerre« , un programme rattaché à un hôpital privé. Le Dr Antaki appartient à la congrégation des « Maristes bleus« , qui compte parmi ses membres aussi bien des laïcs que des religieux. Quand la guerre a frappé Alep, il a décidé de rester, avec son épouse. «La Syrie est notre pays, nos racines sont ici. C’est ici que nous pouvons faire notre devoir et rendre service». Admirable !
Interview du Dr Nabil Antaki par Leone Grotti
Leone Grotti: Il y a à peine quelques années Alep était la deuxième ville la plus importante de la Syrie, la capitale économique du pays, un grand centre commercial. Qu’est-elle devenue aujourd’hui ?
Nabil Antaki : La ville d’Alep est, depuis juillet 2012, divisée en 2 cercles concentriques. Le cercle externe, où vivent 300.000 personnes, est entre les mains des groupes armés. Et le cercle interne sous contrôle de l’armée gouvernementale. Nous vivons ainsi que tous les chrétiens d’Alep dans la partie interne qui compte deux millions de personnes dont 500.000 déplacées qui ont fui la partie externe. Il y a tous les jours, depuis deux ans et demi, des échanges de tirs, des bombes et des tirs de mortiers entre les 2 zones, des morts et des blessés.
Les conditions de vie sont très difficiles. Toutes les centrales sont aux mains des « rebelles ». L’eau n’est fournie qu’un jour par semaine, l’électricité pendant une heure toutes les 48 heures. Il y a une pénurie d’essence, de fioul domestique, de gaz etc… Mais le plus dur maintenant, c’est le froid. En effet, l’hiver, cette année, est particulièrement rude avec des températures qui varient entre 0 et 5 degrés et les gens ne peuvent pas se chauffer faute de fioul et d’électricité.
Et la neige a encore aggravé la situation ?
Nabil Antaki : Oui, la neige a aggravé la situation. Mon épouse et moi, comme tous les autres habitants, souffrons énormément du froid.
Les rebelles ne vous ont-ils pas maintes fois privés d’eau ?
Nabil Antaki : Oui. Depuis le 23 décembre, les groupes armés ont coupé complètement l’eau et l’électricité pendant une semaine, les centrales d’alimentations en eau et en électricité étant entre leurs mains. Puis ils ont rétabli les fournitures au compte-goutte comme je vous l’ai déjà dit.
Mais ce n’est pas la première fois qu’ils coupent l’eau et l’électricité. En mai 2014, ils ont coupé l’eau complètement pendant 70 jours, et l’électricité était très souvent complètement coupée pendant plusieurs jours [1] ; sans oublier le blocus complet de la ville fin 2013 pendant trois mois : rien ne pouvait entrer ou sortir d’Alep, ni les personnes ni les denrées.
Les sanctions internationales de l’UE ont-t-elles aggravé les conditions de vie à Alep ?
Nabil Antaki : Oui, les sanctions internationales ont beaucoup aggravé la situation dans toute la Syrie. Nous manquons de beaucoup de produits dont les médicaments à cause des sanctions. De plus, les produits disponibles entrent souvent en contrebande ce qui a renchéri considérablement le coût de la vie. En quatre ans de guerre le prix des produits essentiels a été multiplié par quatre, ce qui a appauvri la population. On estime maintenant que 70% des Syriens vivent en-dessous du seuil de pauvreté.
Combien de chrétiens vivent encore à Alep ?
Nabil Antaki : On estime que plus de 50% des chrétiens ont quitté Alep pour se réfugier au Liban ou émigrer en Occident. Il ne reste plus qu’environ 70.000 chrétiens à Alep.
Que fait l’Église pour aider la population ?
Nabil Antaki : Les Eglises locales orientales et surtout des ONG chrétiennes (comme la nôtre « les Maristes Bleus » [2]) aident les chrétiens à survivre en leur fournissant des paniers alimentaires, des vêtements, des soins médicaux et un hébergement pour les familles déplacées.
L’Eglise universelle demande aux chrétiens syriens, et de tout l’Orient, de ne pas quitter leur pays, berceau du christianisme. Mais, les associations caritatives internationales dépendant de l’Eglise ne font pas assez, ou bien leur aide n’est pas bien distribuée ou n’est pas bien ciblée.
Qui a particulièrement besoin d’aide ?
Nabil Antaki : Tout le monde. Nous aidons aussi bien les chrétiens que les musulmans. Les ONG musulmanes en font autant. Nous ne demandons à personne s’il est chrétien ou musulman avant de l’aider. De cette façon, nous préparons aussi l’avenir : notre action montre le vrai visage des chrétiens qui n’est pas celui que la propagande des groupes extrémistes propage.
Comment avez-vous vécu la Fête de Noël ?
Nabil Antaki : La période de Noël a été une période de grande souffrance pour les Alépins : d’une part à cause du froid et des privations, d’autre part parce que nous l’avons passée sans familles, sans parents et sans amis, vu que la plupart d’entre eux sont partis. Heureusement qu’il y avait plusieurs concerts de chants de Noël dans les Eglises, ce qui a rendu la période de Fête moins pénible.
Après quatre années de guerre, espérez-vous toujours que la situation puisse changer ?
Nabil Antaki : La devise des Maristes dans le monde et de notre ONG , les « Maristes Bleus d’Alep », est : « Sème l’Espérance. Nous croyons beaucoup en l’Espérance chrétienne et nous pensons que la Lumière jaillira des ténèbres ».
Mais, en réalité, il n’y a rien sur les terrains militaire, diplomatique ou politique qui incite à l’optimisme.
Propos recueillis par Leone Grotti - 22 janvier 2015
Publié initialement en italien par Tempi,
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