Rien de plus éloigné que le professeur Marc Chevrier http://agora.qc.ca/Documents/Souverainisme--La_fin_du_souverainismemais_peut-etre_pas_de_lindependance_par_Marc_Chevrier et le blogueur Patrick Lagacé http://blogues.cyberpresse.ca/lagace/2011/07/05/un-pierre-au-rein-cest-tres-petit-mais/#comment-320102. Pourtant les deux, récemment, nous amènent à réfléchir sur les rapports des Québécois avec les Français.
Chevrier à l’Agora propose son interprétation de l’agonie du souverainisme comme possible tremplin à l’option d’indépendance. Pour internationaliser son propos, il élabore sur le « souverainisme français ». Appellation éphémère des opposants à l’union européenne. Vocabulaire non avenu en France : souveraineté et nation, susceptibles d’attirer le sobriquet de « réactionnaires ». Tout comme au Québec, les souverainistes se voient accusés « d’entretenir une vision passéiste, de pratiquer la fermeture à l’Autre, de vouloir briser un grand bien, d’ériger d’inutiles frontières, de miner l’intégration économique… » Chevrier souligne l’influence sarkozyenne comme chantre des vœux d’Ottawa et Power Corporation pour faire du Québec un comptoir à l’usage des puissances extérieures. Il en donne pour exemple le plan Nord promu par Charest dans toutes les capitales européennes.
C’est en conclusion de cet article que Chevrier écrit :
« Les Français s’installent en grand nombre au Québec-comptoir depuis quelques années, qui pour tenter l’aventure, qui pour améliorer leur sort, qui pour fuir un pays qui les insupporte, qui pour faire leurs classes dans une antichambre du monde anglo-américain. Il est clair, cependant, qu’à l’instar des autres immigrants, ils ne s’établissent pas au Québec avec l’intention d’embrasser la cause d’une nation minoritaire. »
Quant à Lagacé, dans un tout autre registre, c’est par un « articulet » de La Presse qu’il lance un brûlot de sa spécialité pour souffler sur les braises jamais éteintes des susceptibilités entre Québécois et Français. Pour cela, il cite une entrevue qu’aurait accordée Wajdi Mouawad aux médias français où il se vide le cœur sans retenue sur ses sentiments d’amour-haine avec les Québécois. Rappelant son arrivée au Québec il y a 15 ans, il raconte son rejet attribué à son « intellectualisme ». Le dramaturge insiste pour dire qu’il n’a jamais pu s’intégrer aux Québécois à cause de leur « langue primitive » et leur manque de rigueur intellectuelle. Pour être bien sûr de ferrer son lecteur, Lagacé fait nettement le lien avec les récents événements où Mouawad a dû, contrairement à ses principes, modifier son projet d’inclure Bertrand Cantat dans sa trilogie de Sophocle. Encore une fois, c’est l’esprit de « fermeture des Québécois, leur frustration devant l’échec du projet d’indépendance » qui écope dans le discours du Libano-Français qui persiste pourtant à vivre au « pays des demeurés ».
Naturellement, l’article a glissé vers le blogue, puis devint pâture au commentaire populaire. On y retrouve les honteux de la langue québécoise et les fiers de notre dialecte, présenté comme aussi distinct que celui des Acadiens, des Bretons, des Schtis ou de Pagnol… Il y a aussi cette particularité des Québécois, parfois dits sous éduqués en tant que minorité au Canada, d’utiliser différents niveaux de langage, selon les gens qu’ils fréquentent. Bien sûr, en certains milieux, nous en sommes restés à une langue tellement proche de celle de Louis XIV que les Français doivent se remettre un moment du choc avant d’accepter de nous côtoyer au quotidien. Mais s’ils parviennent à décrocher un emploi à Radio-Canada comme « speakers » genre les années ’60, ils peuvent faire le transfert lexical qu’ils utiliseront dans leurs loisirs de « skidoo » ou de chiens de traîneau… Pareille adaptation savoureuse se retrouve dans le film sur la vie du rockeur Gerry Boulet : sa maîtresse, Française dénommée Françouaise, lui annonce, toute excitée en lui sautant au cou : « On va avoir un bébé, tabarnak! »
***
Bon, à la rigueur, nos 2 auteurs nous fournissent l’occasion de nous regarder nous-mêmes, de façon un peu critique. Se pourrait-il qu’une certaine nonchalance, un peu Nouvelle-France, nous empêche de prendre en main notre destin collectif? Les anglos nous accusent régulièrement d’avoir hérité de la mère-patrie un tempérament parfois roublard, un manque de scrupule en affaires (travail au noir)… Si ces tendances tiennent de l’atavisme français, nous l’aurions aussi étendu au langage, ce qui horripile les Français, qui eux , depuis la Révolution, prônent l’abolition des accents.
Tout ceci n’est pas innocent dans la perspective de la question nationale puisque depuis Mitterrand, nos indécisions chroniques ont fait s’effriter les liens de sympathie politique France-Québec. Chevrier décrit nos sentiments « post-souverainistes » :
« On ne peut exclure non plus, sans que le souverainisme disparaisse pour autant, que l’option de l’indépendance s’éloigne de plus en plus, sous les traits d’une utopie d’autant plus séduisante qu’elle paraît hors d’atteinte. Après être sortis du long hiver de la survivance dans les années 1960, les Québécois y retourneraient, sous une forme certes différente, celle d’un automne pluvieux ou d’un été gâché. Ils se satisferaient alors du cocon de la loi 101, maintenant un visage français de façade et parleraient toutefois franglais, absorbés dans leurs communications en réseaux et dans l’amélioration de leur bien-être ; étourdis par la frénésie d’une vie acquisitive et festivalière, ils encaisseraient coup après coup l’impact du vieillissement de leur société et de leur minorisation au sein d’un One Canada qui les toise paternellement. Les Québécois de l’ère post-souverainiste, déjà prophétisée par les médias, seraient journellement pris d’un vertige lancinant, celui suscité par le contraste entre la vue d’horizons globaux où ils comptent pour peu et l’obsédante p’tite vie qui est la leur, sur les franges d’une banlieue d’empire où ils sont parqués comme des Indiens dans leur réserve. Ce serait une voie de sortie hors du politique, une manière de laisser à d’autres les graves enjeux classiques dont s’occupent les grandes nations, la direction du monde, la liberté, le gouvernement de soi-même. Ce serait, en somme, une dépression civique, à petite dose, indolente, qui a des airs de déjà vu. Il faut savoir se déprendre de soi-même, dira-t-on, à tout point de vue…
Ce tableau n’est bien sûr que l’esquisse d’un possible. Le souverainisme mort, l’option de l’indépendance peut renaître par de nouveaux véhicules, prendre un langage et des voies jusqu’ici inexplorés. »
Pour notre part, nous apprécions retrouver chez Chevrier l’essence de ce que nous exprimions ailleurs en ces mots :
« La Révolution tranquille fut pacifique mais s’est étouffée dans le confort de ses débuts. Partis de porteurs d’eau, les Canadiens français du Québec se sont crus libres dès qu’ils ont connu les autobus jaunes pour aller apprendre que le curé n’avait pas toutes les réponses.
L’urbanisation nous libérant de l’essouchage, nous avons été reconnaissants aux multinationales de nous donner des téléphones portables pour, à notre insu, nous rejoindre le dimanche matin, dans notre chevrolet, afin d’aller chercher un boss à l’aéroport. Une révolution avortée dans la dénationalisation. Rendus à ce point d’assimilation, le peuple québécois n’ira pas troquer son confort pour affronter dans la rue la main armée d’un État chauffé à bloc par une récente victoire de gouvernement majoritaire. »
L’image médiatique cherchée : les Québécois normalisés acclament la visite royale non invitée.
Mais d’où viendra donc l’unité des forces indépendantistes?
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