Si le parti Québec Solidaire n’existait pas, un humoriste l’inventerait. On a pu voir aujourd’hui à quel point il est capable de basculer dans un grand délire quand Manon Massé a expliqué pourquoi il fallait remplacer le mot «patrimoine» par le terme «héritage culturel». Dans un article du Journal de Montréal, elle précisait que patrimoine, «c’est un mot qui dans sa racine réfère à une forme de présence et de domination du masculin. L’héritage culturel, c’est autant les hommes que les femmes qui nous l'ont laissé». Il faudrait congédier le mot patrimoine parce qu’il serait associé au patriarcat, contre lequel il faudrait mener une lutte de tous les instants, même dans les derniers replis du vocabulaire. En gros, ce mot serait trop masculin. Ceux qui suivent la politique française feront le rapprochement en pensant à ces écologistes de Paris qui ont proposé quant à eux de compléter la référence au patrimoine par celle au matrimoine. Le délire est transatlantique.
On doit pourtant voir dans cette proposition l’expression d’un féminisme tellement extrême qu’il vient de basculer dans la guerre ouverte au masculin, comme s’il fallait éradiquer sa présence de la culture pour que naisse une société vraiment égalitaire. On le constate de plus en plus: dans certaines franges du mouvement féministe, la figure de l’homme est détestée, rejetée, et tout ce qui la rappelle doit être déconstruit. Ce féminisme radical bascule dans un univers parallèle, qui veut voir dans tous les aspects de nos vies la guerre des sexes, et il ne peut tout simplement pas imaginer qu’on ne regarde pas le monde avec ses lunettes. Il milite notamment pour la fameuse écriture inclusive dont on ne devrait plus douter du caractère orwellien, tellement il idéologise intégralement le langage et s’en prend au sens des mots. Comme le dit encore Manon Massé, «Patrimoine c’est en ligne directe vers le père. L’utilisation des mots, ça finit par, comment dire, agir sur notre esprit». Il faut croire que ce féminisme orwellien trouve un écho favorable chez Québec solidaire.
Osons le dire: la plupart du temps, personne n’ose s’opposer à ce féminisme très radical, sauf en le critiquant à voix basse dans l’entre-soi d’une conversation privée. Il est même bien vu d’en dire du bien publiquement même si on en dit autre chose privément, comme on peut le constater souvent. Il faudrait pourtant savoir s’y opposer sérieusement en critiquant le diagnostic sur lequel il repose, par exemple, en rappelant que la domination du patriarcat est un fantasme idéologique qui n’a pas grand-chose à voir avec la réalité. Il ne faut pas sous-estimer l’emprise médiatique et universitaire des catégories qu’il impose et qui sont en train de se normaliser dans la culture populaire. Cela dit, Manon Massé, aujourd’hui, a fait un exploit: elle a trouvé le moyen de pousser ce féminisme tellement loin que même ceux qui s’aplatissent la plupart du temps devant le politiquement correct se sont permis de le piquer. Il y a un certain plaisir à transgresser un tabou idéologique lorsque ses gardiens commettent une maladresse.
Qu’il faille encore transformer la société pour l’aménager en fonction des aspirations des femmes, tous en conviennent. Que l’émancipation féminine soit une des grandes conquêtes du monde occidental, tous en conviennent aussi, en plus de s’en réjouir, à part quelques égarés dans les marges. Mais on ne peut pas faire comme si les dernières décennies d’émancipation féminine n’avaient pas eu lieu. On ne peut pas faire comme si nos sociétés font barrage aux femmes de manière systémique. Et on ne doit pas confondre l’émancipation féminine authentique avec la guerre au masculin. Faudra-t-il demain effacer de nos dictionnaires la mère-patrie, ou le patriotisme? Faudra-t-il liquider la référence au Parti patriote? Les Patriots de la Nouvelle-Angleterre devront-ils changer de nom? Biffera-t-on du dictionnaire les mots en contradiction avec l’idéologie dominante comme on le voyait avec la novlangue dans 1984? L’émancipation féminine mérite mieux qu’une guerre à finir contre le mot patrimoine.