Les producteurs agricoles expriment leur colère ces jours-ci et tentent de faire reculer la Financière agricole du Québec (FADQ) devant ses nouvelles mesures de contrôle du programme d'assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA). L'une des mesures de resserrement proposées prévoit exclure 25% des entreprises les moins efficaces avant de faire la moyenne des coûts de production. Autrement dit, le programme appelle maintenant les producteurs à devenir plus performants avant de bénéficier de l'argent des contribuables.
Selon certains analystes qui sympathisent avec la cause des producteurs, la nouvelle formule d'indemnisation permettra à la Financière de générer des surplus de près de 400 millions de dollars d'ici cinq ans, aux dépens des agriculteurs, bien évidemment. Les membres de la puissante Union des producteurs agricoles (UPA) crient au loup et exigent un changement de cap de la part de la Financière et du gouvernement. Puisque le gouvernement québécois doit constamment éponger le déficit du programme d'assurance de la Financière agricole qui, cumulé, avait atteint 1,3 milliard de dollars au 31 mars dernier, il est difficile de solidariser avec les agriculteurs à ce stade-ci.
Créée au début des années 70, l'ASRA est une véritable police d'assurance pour les agriculteurs. Le programme d'assurance récolte couvre les pertes de revenus attribuables aux conditions climatiques imprévisibles. Le financement de la prime est assumé à 60% par les gouvernements du Canada et du Québec et à 40% par les adhérents, les producteurs. Malgré cela, comme le programme a été généreux depuis plusieurs années, ce n'est pas un secret que la Financière agricole éprouve désormais des difficultés sans précédent. Mais l'UPA n'a qu'elle-même à blâmer pour ce gouffre financier.
Parmi les 15 membres du conseil de la Financière agricole, cinq proviennent de l'UPA. Son monopole syndical lui a permis d'atteindre un statut enviable en jouissant d'une influence stratégique inégalée. Elle a donc amplement contribué à plusieurs décisions qui ont mené la Financière agricole tout droit vers la catastrophe.
Avec cette plus récente réforme, la vie utile du modèle québécois en matière de politiques agricoles, dont les vertus ont été souvent louangées par l'UPA, prendra fin sous peu. De plus, le monopole syndical de l'UPA, dont la pertinence a aussi été remise en question par plusieurs groupes de travail dernièrement, pourrait aussi y passer. Avec les pertes des dernières années, le gouvernement n'a tout simplement pas le choix.
Le rapport Pronovost sur l'avenir de l'agriculture et de l'agroalimentaire québécois, déposé en 2008, évoquait la fin de ce monopole. Ce rapport l'a fait de façon spectaculairement explicite. Les consommateurs et contribuables québécois sont extrêmement mal servis par le modèle agricole québécois. Bref, une politique agricole peut être financée par deux acteurs: le contribuable et le consommateur. Au Québec, le modèle est soutenu par ces deux groupes qui opèrent dans l'ignorance la plus totale, essentiellement en raison du monopole outrancier de l'UPA. Le désastre de la Financière agricole n'est qu'un symptôme à un problème qui outrepasse l'imaginaire des résidents urbains qui ne connaissent pas grand-chose à l'agriculture. Les citadins font encore aujourd'hui confiance aux agriculteurs de façon inconditionnelle, et l'UPA le sait très bien. L'UPA abuse donc de cette confiance implicite des citadins depuis des lunes et cette stratégie a bien servi le syndicat durant ses multiples négociations avec le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec (MAPAQ).
À l'instar de la réforme de la Financière agricole, la relation incestueuse qui existe depuis des années entre le MAPAQ et l'UPA est sur le point de prendre fin. Le ministère commence à peine à s'inspirer de l'audace du rapport Pronovost, et les Québécois y gagneront sûrement. Espérons que cette audace poursuivra son chemin vers la fin du monopole syndical de l'UPA.
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Sylvain Charlebois - L'auteur est directeur de l'École d'études supérieures de politiques publiques Johnson-Shoyama de l'Université de la Saskatchewan. Son livre Pas dans mon assiette a été publié aux Éditions Les Voix Parallèles
Modèle agricole québécois: le début de la fin
Agroalimentaire - gestion de l'offre
Sylvain Charlebois3 articles
L'auteur est directeur de l'École d'études supérieures de politiques publiques Johnson-Shoyama de l'Université de la Saskatchewan. Son livre "Pas dans mon assiette" a été publié aux Éditions Les Voix Parallèles
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