La partie de bras de fer entre les producteurs agricoles et le gouvernement du Québec s'est terminée tout juste avant Noël par la fin du blocus des sentiers de motoneiges sans que l'enjeu majeur de cet affrontement ne soit réglé, soit l'assurance que le modèle agricole québécois, tout original et novateur qu'il soit et envié de nombreux pays, devienne partie intégrante de la nouvelle politique agricole québécoise promise depuis belle lurette.
Rappelons que les trois principaux piliers de ce modèle sont:
1 - la mise en marché collective qui donne une force de négociation à nos nombreuses fermes de taille modeste de type familial face à une incessante concentration des acheteurs;
2 - la sécurité du revenu qui permet le maintien en place de producteurs consciencieux et responsables et évite l'arrivée de «cowboys» de l'agriculture plus intéressés à s'enrichir à court terme qu'à pérenniser les ressources et protéger la santé de la population;
3 - l'accréditation unique, issu d'un large partenariat entre producteurs et gouvernement, qui permet à ce dernier de ne pas être obligé d'attendre après les consensus avant d'agir car ceux-ci peuvent se faire à l'interne.
Ce modèle forgé au gré des luttes et partenariat des 60 dernières années a permis la création d'un environnement d'affaires constamment à réadapter, mais somme toute propice à l'émergence d'une agriculture prospère.
Or, il semble bien que le gouvernement du Québec ait pris la décision que plusieurs autres pays du G20 ont prise : devant l'ampleur des efforts et des coûts à déployer pour soutenir son agriculture et sa sécurité alimentaire, il a plutôt décidé de lancer la serviette et de la laisser ballotter au gré des marchés et des industriels de l'agriculture. Pourtant, le dernier modèle en la matière, celui de l'Argentine, est assez éloquent. L'élevage d'un boeuf, au lieu de prendre deux ans, se fait maintenant en 12 mois; les animaux ne vont plus aux champs où l'on cultive de façon intensive soja et céréales. Le contrôle de l'agriculture est passé aux mains d'industriels qui ne possèdent ni terres ni animaux ni tracteurs, que des ordinateurs branchés sur la bourse de Chicago. Leur activité principale est de spéculer; un modèle tout OGM et basé sur la monoculture. Pendant ce temps, les petits agriculteurs croulent sous la pauvreté, les magnifiques prairies vertes de jadis sont en train de se désertifier et les prix du soja se sont envolés, entraînant une crise alimentaire majeure que le gouvernement a essayé de contrer, mais sans succès, car ces riches industriels contrôlent aussi les médias et ont réussi à faire reculer le gouvernement.
Pendant ce temps, au Québec, tout ce climat malsain entraîné par cet échec de négociation n'aide pas à relever le moral des troupes. Sans vouloir être alarmiste, il se perd plus d'une ferme par jour et cette tendance est d'autant préoccupante que près de la moitié des exploitants qui n'ont pas désigné de relève dans un délai de cinq ans ont 60 ans et plus (MAPAQ, Profil de la relève agricole). Visiblement, les hauts dirigeants du gouvernement du Québec ne saisissent pas toute la fragilité de nos entreprises agricoles, de même que l'importance et la complexité d'un modèle de développement agricole efficace équitable et durable et surtout du nécessaire partenariat étroit avec ses agriculteurs qu'il exige.
Pourtant, les enjeux sont de taille, dont le plus important est d'assurer notre sécurité alimentaire; on le voit bien à la lumière des évènements qui se passent présentement en Tunisie et en Algérie. Le deuxième enjeu essentiel concerne l'utilisation durable des ressources de production compte tenu d'une zone agricole déjà très restreinte sur fond de changements climatiques majeurs. Enfin, l'occupation dynamique du territoire rural, condition essentielle à l'équilibre rural-urbain et à l'architecture des paysages, constitue le troisième enjeu majeur. Tous ces enjeux devraient se traduire en objectifs à atteindre par la nouvelle politique agricole Québécoise.
Raymond Rouleau
Producteur en serres, Saguenay/Lac-St-Jean
Impliqué au Centre québécois de développement durable depuis 20 ans
L'agriculture au Québec: des enjeux de taille
Agroalimentaire - gestion de l'offre
Raymond Rouleau1 article
Producteur en serres, Saguenay/Lac-St-Jean Impliqué au Centre québécois de développement durable depuis 20 ans
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