Il y a des limites à dire n'importe quoi sur l'agriculture! C'est pourtant ce que fait Roméo Bouchard dans un texte publié sur le site de Cyberpresse. Il allègue d'emblée que l'UPA aurait créé de toutes pièces la crise provoquée par les compressions dans le programme d'assurance stabilisation des revenus agricoles (ASRA). Ce n'est qu'un artifice de langage qui sert à justifier sa vision bucolique de l'agriculture.
«Dans la stratégie d'adaptation qu'il a dû mettre en place récemment pour aider les entreprises agricoles à la suite d'une première vague de compression de 85 millions annoncée il y a un an par le gouvernement, le ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation (MAPAQ) a identifié 2500 entreprises agricoles comme étant en situation "plus précaire".» Ce n'est pas un chiffre créé de toutes pièces, ni non plus un chiffre de l'Union des producteurs agricoles (UPA), mais de l'État! On parle de 2500 entreprises après une première vague de compressions.
La lutte qui a opposé durant un an les agriculteurs et le gouvernement provincial visait à contrecarrer ces dommages et à contrer une deuxième vague de compressions attendues pour 2011: 80 millions $ en compressions supplémentaires. «Si 2500 entreprises agricoles se sont retrouvées au bord de la faillite (pour dire les choses comme elles sont vraiment) après une première série de compressions, quelle aurait été la situation après une deuxième vague, je vous le demande? L'UPA n'a pas créé cette crise de toutes pièces. C'est archifaux! Et soutenir un tel discours, c'est en outre laisser entendre que des milliers de producteurs agricoles mentent quant à leur situation!»
Un mouvement spontané
Si des agriculteurs de l'Abitibi, du Bas-Saint-Laurent et de la Gaspésie, des régions particulièrement touchées par ces compressions, ont annoncé, dès les premières couleurs de l'automne, leur intention de retirer le privilège d'accès à leurs terres aux véhicules récréatifs, c'est à cause de l'effet de ces compressions draconiennes sur la survie de leur ferme. Qu'on aille donc leur dire qu'ils ont créé une crise de toutes pièces!
«Il s'agit de la réaction spontanée d'agriculteurs dont les entreprises sont au bord de la faillite, non d'une stratégie orchestrée par la confédération de l'UPA. Le mot d'ordre est venu plus tard, il est vrai, mais à la suite de revendications de la base, lesquelles ont été appuyées à l'unanimité par les quelque 400 délégués de notre organisation, à son dernier congrès général, à cause du caractère d'urgence bien réel de la situation.»
Un consensus créé de toutes pièces
Roméo Bouchard se fait le chantre du rapport Pronovost en alléguant, notamment, que celui-ci fait l'objet d'un large consensus à tous les niveaux de la société québécoise. Vraiment? Interpellez des citoyens dans la rue et demandez-leur s'ils connaissent le document. Le «large consensus», vous verrez, est en fait bien, bien mince. La vérité, c'est que le document a fait le bonheur d'une certaine intelligentsia qui s'abreuve à la vision réactionnaire des Roméo Bouchard de ce monde.
Les agriculteurs, quant à eux, n'ont pas du tout acquiescé à ce rapport. Pourtant, s'il les concerne, cela n'aurait-il pas dû être le cas? Large consensus? Allons donc! Comment peut-on parler d'un consensus qui exclut les principaux intéressés et qui permet surtout à des gérants d'estrade, le plus souvent étrangers à nos réalités, de dire aux agriculteurs comment gérer leurs affaires!
Une analyse tronquée
Sur le fond, une récente étude de l'Institut de recherche en économie contemporaine (IREC) dit ceci du rapport Pronovost: «Le principal défaut du rapport est de suggérer un cadre d'analyse qui néglige certains aspects fondamentaux des défis de l'industrie agroalimentaire d'aujourd'hui», parmi lesquels, signale l'IREC, «une analyse tronquée de l'environnement économique avec lequel les agriculteurs n'ont pas le choix de composer».
Les agriculteurs doivent en effet se battre au jour le jour contre des géants de la distribution pour que leurs produits atterrissent sur les tablettes. Leurs produits doivent également se frotter à la compétition d'aliments qui viennent du bout du monde, vendus moins cher bien qu'ils soient produits selon des normes beaucoup moins exigeantes que les nôtres.
La concurrence, ce sont des multinationales géantes comme Tyson ou Cargill, qui disposent de moyens démesurés. «Cette dynamique, poursuit l'IREC, est à peine effleurée par le rapport Pronovost.» Quand on néglige ainsi de parler des «vraies affaires», dont dépend étroitement au quotidien le gagne-pain des agriculteurs, faut-il s'étonner que ces derniers se sentent complètement étrangers à ce document?
Jouer à la roulette russe
Cela n'empêche pas Roméo Bouchard de réclamer qu'on jette le bébé avec l'eau du bain parce qu'il voudrait revenir au temps où l'agriculture se pratiquait dans les limites du village! Il prétend même que ce serait la meilleure façon de nous prémunir d'une dépendance envers les grandes multinationales de l'agroalimentaire qui n'aurait plus alors «aucune limite».
Si le Québec perdait 2500 fermes demain matin, et peut-être même davantage, n'eût été les revendications de l'UPA, je puis vous assurer que notre dépendance envers les grandes multinationales de l'agroalimentaire ne ferait qu'augmenter de façon exponentielle. Le problème d'un tel discours, c'est qu'il véhicule des idées qui relèvent davantage de l'utopie que de la réalité.
Pour être sur le plancher des vaches tous les jours, les agriculteurs savent bien, eux, qu'aller dans cette direction équivaudrait à jouer à la roulette russe avec l'avenir de leur ferme et de notre agriculture. C'est ce que propose Roméo Bouchard... en armant lui-même le pistolet.
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Christian Lacasse, président général, Union des producteurs agricoles (UPA)
Bilan 2010 en agriculture: [les leçons d'une crise créée de toutes pièces par l'UPA->33678]
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