COMPRESSIONS EN ÉDUCATION

Mobilisation «historique» des parents

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Derrière les coupes, il y a des visages

Il n’y a pas que les enseignants qui se mobilisent cet automne, les parents d’élèves aussi. Plusieurs coalitions marchent main dans la main pour défendre le droit de leurs enfants à recevoir une éducation digne de ce nom. Et elles ne comptent pas s’arrêter tant que le gouvernement ne réinjectera pas dans la machine le milliard de dollars qui a été coupé dans les commissions scolaires ces six dernières années.
« Ça a démarré au printemps. Nous étions une poignée de parents de l’école Saint-Jean-de-Brébeuf à Rosemont. Toutes les semaines, on entendait parler de compressions. Les annonces pleuvaient. On se disait que c’était épouvantable. Que nos enfants n’étaient pas en mesure de défendre leurs intérêts. Que les compressions allaient passer comme une lettre à la poste… Alors, on s’est réunis un soir autour d’une bière et on a réfléchi à ce qu’on pouvait faire. C’est comme ça que le mouvement Je protège mon école publique est né. »

Pascale Grignon compte parmi ces parents. Elle raconte comment l’idée leur est venue de faire des chaînes humaines pour littéralement « protéger » leur école. Parce que c’est beau, c’est positif. Parce que tous ces gens qui se tiennent par la main, ça ressemble aussi à ce monde de l’enfance qu’ils refusent de voir sacrifié sur l’autel de l’austérité.

Les premières chaînes apparaissent le 1er mai. Vingt-six écoles de la région de Montréal y participent. Un mois plus tard, le 1er juin, le mouvement a déjà essaimé. Cent écoles dans huit régions et plus de 8000 parents qui se donnent la main. Après la pause estivale, le mouvement reprend de plus belle dès la rentrée. Le 1er septembre, plus de 20 000 participants entourent 270 écoles dans 16 régions du Québec. Il est prévu d’agir ainsi tous les premiers du mois jusqu’à ce que le ministre de l’Éducation, François Blais, accepte enfin de les entendre.

« Ce qui nous a mis la puce à l’oreille, explique Mme Grignon, c’est quand, à la rentrée 2014, nous avons vu arriver dans notre école deux classes d’accueil en provenance de l’école Saint-François-Solano. Le quartier est en pleine croissance. Ces deux salles de classe, nous allions en avoir besoin dès la rentrée suivante. Ces enfants allaient donc être ballottés. Nous nous sommes renseignés auprès de la commission scolaire, et là, nous avons compris que la plupart des écoles du quartier étaient en surpopulation. Nous sommes nous-mêmes cette année à 120 % de notre capacité. »

L’hiver dernier, les comités de parents s’organisent et envoient un sondage à tous les parents de la CSDM. Les réponses sont sans appel : oui, affirment-ils, des postes de professionnels ont été coupés ici et là, en conséquence de quoi il y a bien une diminution des services aux élèves.

« C’est toute une génération qui est handicapée sur le plan de ses apprentissages, confirme Ève Kirlin, porte-parole de la Coalition des parents pour l’école publique. Ça fait six ans que nos enfants subissent compression sur compression. C’est irresponsable de la part du gouvernement d’agir ainsi, car c’est hypothéquer l’avenir de toute la société québécoise. Où s’en va-t-on si la moitié des élèves ont de la misère à terminer leur 5e secondaire ? »

Bien sûr, les enfants ayant des besoins spécialisés sont les premiers touchés par la diminution des heures allouées aux orthopédagogues, psychoéducateurs ou autres orthophonistes. Touchés également par la fermeture de classes-ressources. Ils se retrouvent alors dans des classes ordinaires, avec plus d’enfants et un enseignant qui lui-même a moins d’aide de la part des techniciens spécialisés, faute de moyens.

« J’ai une amie à qui on a demandé si elle ne pouvait pas venir aider son fils en classe, raconte Brigitte Dubé, porte-parole de la Coalition de parents d’enfants à besoins particuliers. Parce que le technicien en éducation spécialisée n’a pas assez d’heures. L’école primaire, surtout le premier cycle, c’est la base de l’éducation. Comment nos enfants peuvent-ils s’en sortir par la suite s’ils n’ont pas les prérequis que sont la lecture et le calcul ? Le ministre est dans le déni. Mais oui, depuis la rentrée, nous vivons les effets concrets des compressions de ces six dernières années. »

À tel point que Mme Kirlin assure sentir une plus grande mobilisation de la part des parents depuis la rentrée. Et ce, même si, n’étant pas eux-mêmes sur les lieux, ils ne se rendent pas facilement compte de ce que vivent leurs enfants au quotidien dans leur salle de classe.

« C’est historique ce que nous sommes en train de vivre, affirme-t-elle. Notre coalition est historique. Que des comités de parents et des CCSEHDAA [comités consultatifs des services aux élèves handicapés et en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage] s’unissent, c’est historique. Mais que des commissions scolaires francophones et anglophones parlent d’une même voix, c’est historique également. L’English MontrealSchool Board fait partie des membres fondateurs. C’est une image forte. Ça veut dire que, pour nos enfants, on est capables de s’entendre pour exiger ce qu’il y a de meilleur. »

Derrière les coupes, il y a des visages

Il y a donc les chaînes humaines qui se multiplient. Il y a une pétition demandant un financement adéquat. Il y a des pages Facebook, des lettres envoyées au premier ministre et au ministre de l’Éducation. Les parents sont également invités à envoyer la photo de leur enfant afin qu’une grande murale soit réalisée avec le slogan de la coalition, «Les coupures en éducation ont un visage : le mien ».Les élèves peuvent quant à eux faire parvenir leur autoportrait sur carte postale ou sur papier libre. Tous seront ensuite remis au ministre Blais en novembre, au moment où le projet de loi sur la réforme des commissions scolaires devrait être déposé. Le message est clair : derrière les coupes, il y a des visages.

« Le gouvernement traite l’école comme un tableau Excel, affirme Mme Kirlin. Nous lui répondons que les coupes ont des noms et des visages. Il n’y a qu’à voir tous les témoignages que nous recevons sur nos pages Facebook. Les coupes font vivre l’enfer a certains enfants. »

Pour toutes ces raisons, les comités de parents sont nombreux à soutenir les enseignants dans leur mouvement de grève, et ce, quels que soient les défis organisationnels que cela engendre.

« Quand on regarde la liste de leurs inquiétudes, beaucoup rejoignent les nôtres, conclut Ève Kirlin. C’est sûr que ce n’est pas facile pour tout le monde de gérer un jour de grève, mais nous faisons notre possible pour trouver des plans B. C’est quand même l’avenir de nos enfants qui est en jeu. »


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