Michel Collon esprit-europeen.fr : revue indépendante de débat et d'intérêt général européen.
La désinformation est la forme la plus efficace, et aujourd’hui la plus répandue, de la propagande politique. Son avantage sur la propagande classique, ancien discours d’origine religieuse, est sa parfaite adaptation à l’ère du média de masse: c’est en nous informant qu’on nous désinforme afin de mieux nous faire accepter certaines décisions politiques difficiles (interventions militaires, sanctions économiques, etc.) que nous n’approuverions peut-être pas sur la base des simples faits connus au moment où elles sont prises.
Le journaliste belge, Michel Collon, est devenu, depuis quelques années, l’un des principaux spécialistes contemporain du mensonge médiatique. Yves Argoaz, qui l’a récemment rencontré à Lyon, et qui a lu ses ouvrages, nous présente ses travaux et ses idées.
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par Yves Argoaz - “Toute guerre commence par un médiamensonge”, c’est la première phrase de Michel Collon, ce vendredi 26 mai 2000, devant la cinquantaine de personnes venues l’écouter, à Lyon, répondant à une invitation des Amitiés franco-serbes.
Michel Collon est l’auteur de trois ouvrages remarqués consacrés entièrement à la désinformation, en prenant appui sur une guerre en cours. Le premier, Attention Médias! (éd. EPO, Bruxelles) a été réédité quatre fois et publié en plusieurs langues depuis sa première édition en 1992. Si l’ouvrage est centré sur la croisade occidentale contre l’Irak et les bombardements de Bagdad, son ambition est beaucoup plus vaste. C’est en fait l’histoire contemporaine des médiamensonges et leur enchevêtrement dans les guerres et la politique qui constituent sa matière.
En 1998 paraissait Poker menteur, (même éditeur) consacré aux mensonges de la guerre de Bosnie. Cet ouvrage de près de 400 pages grand format (A4), outre la vivisection des machinations à abrutir les peuple auquel nous avait habitué le premier volume, comporte une analyse du jeu géopolitique des grandes puissances dans la région. C’est aussi le cas de Monopoly (éd. EPO, 2000) qui, à partir de la guerre du Kosovo, extrapole vers une étude tout à fait passionnante des motivations de l’OTAN et une spéculation réaliste sur les prochaines guerres (en direction de la Russie et de ses alliés).
Précisons que les livres de Michel Collon sont de véritables manuels comportant de multiples exemples détaillés illustrant les nombreux flagrants délits de mensonge et de manipulation auxquels sont pris les plus grands médias occidentaux. On n’y trouve ni la lourdeur universitaire de certains médiologues, ni la révérence, épicée de pseudo-critique à l’égard des pouvoirs médiacratiques, de tous ceux qui parlent de déontologie afin de mieux étouffer le scandale de leur compromission délibérée avec l’industrie de l’ahurissement.
Il est impossible de restituer en quelques lignes la richesse de ces trois livres que tout amoureux de la vérité se doit d’ajouter sur ses rayons, et surtout sur sa table de travail, aux côtés des classiques de l’intoxication, Serge Tchakhotine, Pierre Nord et Vladimir Volkoff. Nous nous contenterons d’offrir une vue en coupe de certains aspects du médiamensonge, de ses objectifs, de ses sources et de ses complices.
Une guerre est d’abord une bombe médiatique
Dans les démocraties occidentales où le militarisme est peu prisé après les hécatombes de la grande “guerre civile européenne” (E. Nolte), les conflits coloniaux et ceux de la guerre froide, nul ne pourrait enclencher aussi rapidement et aussi souvent que nous l’avons vu faire récemment l’énorme machine de guerre “alliée” sans l’appui de l’opinion publique. Or, celle-ci est toujours réticente de prime abord, surtout lorsque la guerre est lointaine et ne se justifie pas comme une légitime défense face à une agression.
Prenons l’exemple de l’attaque occidentale contre l’Irak en janvier 1991. L’invasion préalable du Koweit par les troupes irakiennes, malgré tout le battage médiatique en faveur de cette croisade (“pour les Droits de l’homme, contre un ignoble et dangereux dictateur...”) n’était pas un motif suffisant pour l’opinion publique, notamment celle des États-Unis, justifiant une intervention massive aussi risquée et onéreuse dans la poudrière du Moyen-Orient. Un gros médiamensonge est alors tiré du chapeau médiatique pour galvaniser les indécis et terrasser les opposants à la guerre, c’est la fameuse affaire des couveuses qui sera sans cesse citée comme prétexte par le président Bush et qui arrachera de justesse la majorité requise pour le déclenchement des opérations au Congrès des États-Unis. (voir ci-dessous).
Trois autres bombes médiatiques ont explosé à point nommé pour justifier des interventions militaires douteuses, pendant le siège de Sarajevo. Le machiavélisme de leurs auteurs va encore plus loin, dans la mesure où, pour créer l’événement et emporter la décision (sanctions, bombardements...), ils n’ont pas hésité à tuer :
Le 27 mai 1992, une bombe tue au moins 16 personnes qui faisaient la queue devant une boulangerie de Sarajevo, et en blesse près d’une centaine. Immédiatement, la “barbarie” des assiégeants serbes est incriminée par la presse bien pensante occidentale. Le jour du massacre, une réunion de l’Union européenne pour examiner l’opportunité de sanctions à l’encontre des Serbes était prévue. Trois jours plus tard, le Conseil de sécurité de l’ONU décide l’arrêt obligatoire de tout commerce avec la Serbie et le Monténégro. Trois mois plus tard, une enquête sur l’attentat avait été effectuée par l’ONU, mais son rapport ne sera jamais publié. Le journal britannique The Independent en donnait la raison en ces termes : “ Les responsables des Nations Unies et des officiers occidentaux haut placés estiment que certains des pires massacres de Sarajevo, notamment celui d’au moins 16 personnes faisant la queue devant la boulangerie, étaient l’œuvre des Musulmans, principaux défenseurs de la ville, et non des assiégeants serbes. Il s’agissait d’une manœuvre afin de gagner la sympathie du monde et forcer une intervention militaire (occidentale)”.
Les deux attentats qui ont frappé le marché de Sarajevo en février 1994 et en août 1995 relèvent de la même logique de persuasion par le sang. Le premier arrivait à point pour faire échouer le plan de paix proposé par les Européens face à l’intransigeance des Américains et du chef Musulman de Bosnie, Izebegovic. Et il a fait passer d’à peine un tiers à plus de la moitié le pourcentage des Américains en faveur de frappes militaires contre les Serbes. Le second a légitimé les attaques massives contre les positions serbes autour de Sarajevo. Dans les deux cas, les enquêtes ultérieures n’ont rien permis de conclure, mais aux dires des experts, il était impossible aux snipers serbes d’atteindre précisément cette cible depuis leurs lignes sans détruire une rangée d’immeubles qui l’obstruait, alors que de la piste du mont Igman, occupée par les forces bosniaques, des tirs provocateurs d’origine difficile à déterminer, donc imputables aux forces serbes, étaient fort possibles .
Les bombardements massifs de l’OTAN sur les villes serbes étaient programmés bien avant la farce des négociations de Rambouillet précédant leur déclenchement, le 24 avril 1999, comme en témoigne cet extrait d’un communiqué de la Commission US des Affaires étrangères publié en août 1998 :
“Les projets d’intervention de l’OTAN, sous direction US, au Kosovo, sont à l’ordre du jour. Le seul élément qui manque : une couverture convenable des mass media qui rendrait l’intervention politiquement acceptable.”
On savourera la naïveté révélatrice d’une telle phrase. Le rôle belligène des médias est reconnu comme indispensable, et comme ne pouvant tourner qu’à l’avantage du parti de la guerre. La “couverture” (médiatique) n’est destinée qu’à préparer le tapis (de bombes), à Belgrade tout comme à Bagdad, ou bientôt, dans le Caucase et partout où le gendarme des droits de l’homme se prépare à intervenir.
Au Kosovo, la respectabilité politique de l’intervention a été acquise, en partie, grâce au au “ massacre de Racak ”, découvert le 17 janvier 1999. Les grands journaux (Le Monde de Paris, Le Soir de Bruxelles...) y ont trouvé une preuve de plus de l’inqualifiable barbarie des ennemis de nos grandes démocraties : crânes fracassés, bras arrachés... sur les 15 cadavres de civils trouvés au fond d’un ravin près de ce paisible village Kosovar.
Vérification faite, cependant, rien ne cadre avec cette version officielle : Racak, loin d’être une paisible bourgade, était un bastion des rebelles albanais de l’U.C.K. qui avaient tué plusieurs policiers serbes aux alentours. De nombreuses armes lourdes y ont été retrouvées (mitrailleuses, mortiers...) Après une dure bataille, les forces de l’ordre yougoslave avaient investi la place la veille de la macabre découverte et avaient aussitôt invité des observateurs internationaux (de l’O.S.C.E.) et des journalistes pour leur montrer que les vaincus n’étaient pas des civils, mais bien les terroristes en uniforme qui les harcelaient depuis de nombreux mois... Alors que faisaient ces cadavres au fond d’un ravin où l’on n’a retrouvé ni douilles, ni traces de sang? Nombreux sont ceux qui pensent qu’ils y ont été transportés, depuis le lieu voisin de la bataille, habillés en civils et mutilés pour donner à l’événement ce caractère d’atrocité médiatisée qui pouvait rendre “politiquement respectable” les attaques prévues par l’OTAN contre la Yougoslavie. On serait tenté de dire que si ce crime n’avait pas existé, l’OTAN aurait dû l’inventer, comme le loup de la fable invente le crime de l’agneau.
Les médias, chiens de garde
Foin de la légende selon laquelle les journalistes de la presse bien pensante auraient le souci d’informer et l’esprit critique leur permettant de déjouer les pièges de la propagande et du mensonge. Michel Collon fait justice de tout cela. Il montre que la plupart des “grands” journalistes ne tombent pas par hasard dans les chausse-trappes de la désinformation, lorsqu’ils ne la fabriquent pas eux-mêmes (comme Patrick Poivre d'Arvor a fabriqué son entretien avec Fidel Castro, comme il a inventé le personnage du capitaine Karim, opposant de Saddam Hussein).
Les journalistes gobent volontairement toute sorte de désinformation qui va dans le sens de l’histoire qu’ils racontent, c’est-à-dire, de l’idéologie dominante. Lorsqu’ils critiquent certaines “bavures”, “dérapages” ou “excès”, c’est parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement, puisque tout le monde en fait autant, mais aussi pour préserver leur crédibilité, car une “conception de la censure autogérée” est beaucoup plus efficace qu’une “conception de la censure tellement totale qu’elle se retourne contre le pouvoir”. Michel Collon rejoint ici Noam Chomsky, Serge Halimi, Régis Debray, Ignacio Ramonet, Armand Mattelart et quelques autres qui, depuis des lustres, ont entrepris une critique intelligente des pratiques médiatiques sans, hélas, parvenir à glisser le moindre grain de sable dans les gigantesques rouages de la machine à conformer les esprits.
Pour une critique de la raison médiatique
Toute cette critique est édifiante, lumineuse, mais elle reste vaine tant qu’elle continue à se fonder sur ce que nous appellerons la naïveté égalitariste. On trouve cette naïveté chez Michel Collon, entre autres, lorsqu’il prétend croire que le mensonge qui sert la guerre pourrait cesser d’être, lorsqu’il croit que la guerre elle-même devrait disparaître ou lorsqu’en communiste resté fidèle à ses engagements, il affirme que Lénine , Trotski, Mao... n’ont pas été aussi criminels que leurs adversaires, comme le relate Le livre noir du communisme. Ce faisant, il retombe dans les pièges qu’il entend dénoncer, ceux de l’enfermement idéologique qui soumet le raisonnement critique aux processus d’alignement sectaire : communisme contre capitalisme, cosmopolitisme contre nationalisme, laïcité contre intégrisme, Occident contre Tiers-monde, etc.
Une véritable critique de la raison médiatique ne peut que marcher sur les brisées de Guy Debord, admettre que les médias de masse, la démagogie (le spectacle) et la corruption sont inséparables. Avec Jacques Ellul, elle reconnaît que “ le propagandé appelle la propagande”, que le mensonge est inhérent au jeu du pouvoir, que le discours politique se fonde sur la croyance, que toute pensée authentique est supra-politique.
...Et que la guerre, hélas, est humaine, même si la façon de la faire des Occidentaux, cette nouvelle barbarie à visage humain, ne l’est pas...
Encore un effort, cher Michel !
Yves Argoaz
L’affaire des couveuses
Fin décembre 1990, juste avant la décision américaine de frapper militairement Bagdad, les médias occidentaux diffusent une horrible information : sur ordre des autorités, des soldats irakiens seraient venus dans la plus grande maternité de Koweit City pour s’emparer de ses couveuses, jetant les bébés prématurés qui les occupaient sur le sol.
Selon des témoignages recueillis par Amnesty international, 312 bébés auraient péri de la sorte.
Début janvier 1991, juste avant les votes décisifs sur le déclenchement des opérations, l’affaire fut portée devant l’Assemblée générale de l’ONU et devant le Congrés des États-Unis. Une jeune infirmière éplorée déclara avoir assisté, impuissante, à ces crimes.
Trois mois plus tard, une fois cette guerre terminée (qui fit plus de cent mille victimes, dont de très nombreux civils, du côté irakien), Amnesty international reconnaîtra avoir été flouée. Sur place, on n’a pu constater le décès d’aucun bébé prématuré, ni le vol d’une seule couveuse. L’affaire a été montée par des proches de la pétro-monarchie koweitienne (la soi-disant infirmière en pleurs devant les congressistes américains était en fait la fille de l’ambassadeur du Koweit, de famille princière). Et le diffuseur de ce mensonge de guerre, pour 10 millions de dollars, fut la plus grande agence américaine de relations publiques internationales : Hill & Knowlton.
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