La Cinémathèque québécoise serait sur le point d’être « mariée de force » à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). C’est en tout cas le dessein que prêtent plusieurs acteurs respectés de l’industrie du cinéma au gouvernement provincial, en fait foi une lettre adressée au premier ministre, Philippe Couillard, et à la ministre de la Culture et des Communications, Hélène David.
« La Cinémathèque québécoise est-elle en danger de mort à cause de toutes les réinitialisations de fonctionnement projetées par le gouvernement du Québec ? », interroge d’entrée de jeu la missive signée par les cinéastes Denys Arcand, Claude Fournier, Micheline Lanctôt, Gabriel Pelletier (en son nom et en tant que président de l’Association des réalisateurs), par les producteurs Rock Demers, André Link, Marie-José Raymond, ainsi que par le mécène et distributeur René Malo.
Créé cet automne, un comité conjoint étudie bel et bien la question d’une fusion. Usant d’une métaphore matrimoniale, les signataires remettent en doute la pertinence de ce plan d’action, rappelant en outre qu’une telle stratégie a déjà été tentée ailleurs, sans succès.
« N’est-il pas évident que ce mariage arrangé entre deux organismes qui n’ont pas les mêmes missions, ni les mêmes champs de compétence, serait voué à l’échec et pire encore ? La Cinémathèque disparaîtrait sans doute à jamais, engloutie par BAnQ. Pareil accouplement a été tenté en France entre la Cinémathèque française et la Bibliothèque Mitterrand, mais on s’est vite rendu compte de l’absurdité de pareilles épousailles. »
«Une complète aberration»
À terme, on craint une perte d’indépendance qui compromettrait le mandat de sauvegarde, de diffusion et de mise en valeur du patrimoine audiovisuel de l’organisme, la seule cinémathèque au Canada, indique-t-on, à être membre à part entière de la Fédération internationale des archives du film (FIAF).
« La conservation du patrimoine cinématographique, une affaire urgente dans tous les pays du monde ayant une production cinématographique, est-elle menacée par les transformations nébuleuses que laisse planer le gouvernement du Québec au-dessus de la Cinémathèque, fondée il y a 51 ans, et qui fait son possible pour conserver minutieusement tout ce qu’on lui confie ? »
À cet égard, on dénonce un financement déficient, la Cinémathèque ayant l’obligation de trouver la moitié des sommes nécessaires à son fonctionnement de base.
« Actuellement, Québec ne contribue qu’à hauteur de 50 % au budget annuel de fonctionnement de l’organisme, sur lequel il a lui-même empilé les responsabilités, dont celle du dépôt légal. Le personnel de la Cinémathèque (qui n’a pas eu d’augmentation salariale depuis 2008) est si sollicité que l’archivage des films et des documents est quasiment en panne. C’est le seul musée au monde, nous croyons, qui a imposé depuis cinq ans un moratoire sur tous les dons qu’on lui propose, par manque de personnel, de ressources et d’espace. Une complète aberration. »
Réponse du ministère
Au cabinet de la ministre Hélène David, on se défend de vouloir forcer la main de qui que ce soit. « Il n’y a pas de fusion forcée en vue, affirme Philip Proulx, attaché de presse de Mme David. Il est déjà connu que le ministère étudie, avec la Cinémathèque et BAnQ, une possibilité d’arrimage. L’idée a été présentée à la Cinémathèque en octobre dernier, lors de son assemblée générale. Avec l’accord du c. a. de BAnQ et celui du c. a. de la Cinémathèque, un comité a été mis en place afin d’étudier ledit arrimage. Une rencontre a eu lieu tout récemment et aucune décision n’a encore été prise. Aucun rapport n’a encore été émis. Pour l’instant, on laisse le processus d’analyse suivre son cours. »
Contrairement aux signataires de la lettre, M. Proulx estime que les missions des deux organismes s’accorderaient bien l’une avec l’autre. « Leur mandat est similaire. Il s’agit de conservation du patrimoine […]. Le comité essaie justement de déterminer s’il serait possible de mettre en commun leurs ressources afin d’optimiser celles-ci. On sait que la Cinémathèque fait face à une situation financière difficile et on essaie simplement de voir de quelle manière on pourrait l’aider. Ça se fait avec l’accord des deux c. a., qui travaillent ensemble de façon intensive. Ce n’est pas du tout forcé », insiste M. Proulx, démentant du même souffle une rumeur selon laquelle une fusion serait d’ores et déjà prévue pour la fin du mois de juin. « Pas du tout. »
Ce qui n’empêche pas une source proche du dossier, qui préfère garder l’anonymat, d’évoquer l’image d’un rouleau compresseur pour qualifier les méthodes du gouvernement.
Scepticisme et inquiétude
Joint par Le Devoir, le producteur et membre-fondateur de la Cinémathèque, Rock Demers, ne s’est pas montré convaincu outre mesure. « Chose certaine, la création du comité en question n’est pas quelque chose qui a été réclamé par la Cinémathèque. Je vois mal comment ça aurait pu l’être par BAnQ. Pour moi, ça peut, me semble-t-il, n’avoir été demandé que par les gens du ministère de la Culture. Et si ç’a été demandé par eux, c’est parce qu’il y a une intention, sinon, pourquoi mettre ce comité sur pied ? »
« Quand j’ai entendu la nouvelle la première fois, j’ai trouvé ça complètement farfelu, mais là, je ne ris plus, poursuit M. Demers. Ça n’a aucun sens. Ce n’est pas vrai qu’on s’est battu depuis plus de 50 ans pour se monter une cinémathèque de niveau international, avec tout ce que ça implique de développement d’expertise, pour que, tout à coup, on apprenne que cet organisme-là, qui a été aidé par la Ville de Montréal et par le gouvernement fédéral et par des dons privés, va tout à coup être obligé de se fusionner avec la Grande Bibliothèque, dont l’expertise n’est absolument pas la même, quoi qu’on en dise. »
Notons que, légalement, la dissolution de la corporation de la Cinémathèque, nécessaire à son intégration à la BAnQ, devrait impérativement être approuvée par ses membres.
Tant du côté de la Cinémathèque que de celui de son conseil d’administration, on n’a pas souhaité émettre de commentaire à ce stade.
Mariage forcé pour la Cinémathèque?
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