« C’est la loi la plus fondamentale que l’Assemblée ait adoptée », déclare le premier ministre Lucien Bouchard à la fin de l’année 2000. Le projet de loi no 99, selon lequel un référendum sur l’indépendance du Québec est soumis à la règle du 50 % des votes plus un, avait reçu quelques jours plus tôt la sanction royale de la lieutenante-gouverneure Lise Thériault.
« C’est un instrument politique pour s’opposer à la loi fédérale dite “ sur la clarté ” et au cadenas politique du Québec qu’elle constitue. Nous détenons maintenant la clé qui maintient l’avenir ouvert », ajoute le chef du gouvernement québécois, non sans fierté. Retour sur les tribulations de cette « Charte des droits politiques du peuple québécois » qui a résisté aux assauts politiques et juridiques, à tout le moins au cours des 17 dernières années.
Le projet de loi 99 constituait la réplique du Québec à la loi sur la clarté au moyen de laquelle la Chambre des communes s’octroyait le droit de définir la « majorité claire » à la « question claire » requises par la Cour suprême pour conférer au projet de sécession du Québec une légitimité démocratique à l’abri de toute contestation de la part du reste du Canada. Ce n’est pas tout, explique l’ex-premier ministre Jacques Parizeau en commission parlementaire en février 2000. « Ce n’est pas un texte souverainiste, mais un texte qui assure les pouvoirs de l’Assemblée nationale et du Québec. […] C’est, à ma connaissance, la première fois que l’on codifie dans un document juridique les droits et prérogatives de l’État québécois », dit-il, moins de cinq ans après la « sacrée défaite » référendaire du 30 octobre 1995.
Autodétermination
Les élus libéraux, qui sont opposés à l’adoption du projet de loi, reprochent au gouvernement péquiste son imprudence. Une motion ou encore une déclaration solennelle suffirait, selon eux, d’autant plus que ni l’une ni l’autre ne peuvent être contestées en cour. « Nous sommes convaincus et nous croyons fermement que la question du droit à l’autodétermination des Québécois est une question politique. Le fait que le gouvernement du Québec tient à introduire ce droit politique dans ce débat juridique nous inquiète vivement. Il ouvre la porte à une contestation juridique de ce droit fondamental des Québécois », affirme le chef de l’opposition officielle, Jean Charest, dans le Salon bleu.
Grâce à l’appui des élus péquistes et de l’élu adéquiste Mario Dumont, le projet de loi controversé est adopté par l’Assemblée nationale. Plus d’un député libéral parie que la loi ne fera pas long feu devant les tribunaux.
« [L]es heures de gloire de cette loi sont de bien courte durée », relate la juge Claude Dallaire dans un jugement attestant la constitutionnalité de la « loi fondamentale » dévoilé jeudi. En effet, Keith Henderson et le Parti Égalité/Equality Party saisissent au printemps 2001 les tribunaux, les priant de déclarer ultra vires et nuls 6 articles de la Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec sur 14. « [Ils] mettent à exécution la menace qui planait au-dessus d’elle [la loi 99] depuis ses premiers balbutiements », ajoute la magistrate.
« Si la loi était cassée par le tribunal, ce serait une bonne leçon pour les souverainistes », lance M. Henderson lors d’une conférence de presse en mai 2001. Les membres de l’équipe de Lucien Bouchard, dont le ministre Joseph Facal, qu’il qualifie d’« amateurs » qui « agissent comme des agents provocateurs », sont parvenus à faire adopter « ni plus ni moins qu’une déclaration d’indépendance », s’indigne-t-il.
« Rien dans les effets directs ou secondaires, juridiques ou pratiques de la loi 99 ne permet de conclure que les articles contestés [par Keith Henderson] violent ou permettraient de violer la Constitution ou la Charte si le sombre scénario allégué [par celui-ci, soit une victoire des indépendantistes à un référendum] devait se produire », écrit la juge Claude Dallaire dans sa décision de 100 pages rendue 17 ans plus tard. Par « souci de précision », la magistrate « déclare » que les articles 1, 2, 3, 4, 5 et 13, qui ont été montrés du doigt par l’ardent défenseur des droits des Anglo-Québécois, « respectent la Constitution [du Canada] ainsi que la Charte des droits et libertés ».
Une victoire
Brandissant une décision « historique sur le droit à l’autodétermination du peuple québécois », le président général de la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, Maxime Laporte, crie victoire. « Nos droits inaliénables, nos fondements démocratiques, notre statut juridique, tels que formellement énoncés par la loi 99, ont été entièrement sauvegardés », fait-il valoir devant des journalistes agglutinés devant l’entrée du Palais de justice de Montréal jeudi après-midi.
Le chef du Parti québécois, Jean-François Lisée, gazouille. « Une victoire pour le droit des Québécois à disposer d’eux-mêmes. Une défaite des arguments trudeauistes », écrit-il sur Twitter.
Omission ?
Le gouvernement libéral diffuse une quinzaine de communiqués dans les 24 heures suivant le dévoilement du jugement de la Cour supérieure : « Le gouvernement annonce son intention quant au conseil d’administration du CHUM et du CHU Sainte-Justine », « Le gouvernement du Québec soutient le festival Metropolis bleu », « Le prolongement de la 19 franchit une nouvelle étape », « Le ministère souhaite valoriser la pêche sportive au bar rayé »… Mais rien sur le sceau de « constitutionnalité » apposé sur la loi 99 par la magistrate Claude Dallaire après une attente de 17 ans n’est publié.
Le ministre Jean-Marc Fournier, qui a habituellement la langue bien pendue, est en mission à Bruxelles, où il a été invité à présenter la Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes. Le hasard a voulu qu’il participe au colloque « La modification constitutionnelle dans tous ses états : expériences belge, canadienne et européenne » au moment où le jugement est tombé. « Depuis bien avant la loi 99, à l’instar de ce qui est énoncé dans la récente Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes, le Québec est libre de ses choix et capable d’assumer son destin et son développement à l’intérieur de l’espace canadien. La décision de la Cour reconnaît cet état de fait », indique-t-il par écrit.
Pas un mot non plus de la part de M. Bouchard.
Le gouvernement fédéral ― qui s’était associé à la croisade de Keith Henderson en 2013 pour invalider la loi 99 à défaut d’« atténuer » sa portée ― est un peu plus loquace. « Ce jugement confirme qu’on ne peut enlever le Canada aux Québécois, et le Québec aux autres Canadiens, sans respecter leurs droits constitutionnels », soutient le gestionnaire des relations avec les médias du Bureau du Conseil privé (BCP), Stephane Shank, jeudi soir. Il souligne, dans un échange de courriels avec Le Devoir, que « la Cour supérieure du Québec a conclu que la loi 99 ne confère aucun droit à la sécession unilatérale ». « C’est ce que le Procureur général du Canada a plaidé », fait-il remarquer.
Des étapes
En effet, la loi 99, qui a été adoptée par l’Assemblée nationale en 2000 en guise de réplique à la loi sur la clarté, ne libère pas le Québec des obligations fixées par la Cour suprême du Canada, explique la juge Claude Dallaire, s’appuyant sur le passage incontournable de l’Avis consultatif de 1998 de la Cour suprême qui indique qu’« il reviendra aux acteurs politiques de déterminer en quoi consiste « une majorité claire en réponse à une question claire », suivant les circonstances dans lesquelles un futur référendum pourrait être tenu ». « De même, si un appui majoritaire était exprimé en faveur de la sécession du Québec, il incomberait aux acteurs politiques de déterminer le contenu des négociations et le processus à suivre », reprend-elle après avoir laissé intacte la règle prévoyant que « l’option gagnante est celle qui obtient la majorité des votes déclarés valides, soit 50 % de ces votes plus un vote », apparaissant à l’article 4 de la loi 99.
« Se pourrait-il qu’en édictant la loi 99, [le gouvernement de Lucien Bouchard] ait tenté de mettre la table pour se séparer unilatéralement du Canada […] ? La réponse est non. Il faut donc remettre les choses en perspective et sortir de la thèse des complots ourdis mis en oeuvre par les séparatistes, afin de se ramener un instant à la réalité », écrit la juge Claude Dallaire.
Le requérant Keith Henderson était bouche bée. Il a préféré ne pas commenter sur-le-champ la décision de la Cour supérieure. Il dispose de 30 jours pour interjeter appel. Conviendra-t-il que, « les ressources judiciaires étant limitées, il nous faut passer à autre chose maintenant que le débat est tranché », comme l’a écrit la juge Claude Dallaire ?