Libre opinion - Charte des valeurs : nonobstant les bien-pensants

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Non à la dictature de la minorité éclairée

Depuis le début de la polémique entourant la charte des valeurs, les bien-pensants tentent d’étouffer le débat. C’est le cas entre autres de Québec solidaire qui, le 9 octobre dernier, déclarait que cette question était le pire enjeu à débattre dans une campagne électorale. Le peuple ne serait pas assez éclairé pour comprendre cette question et exercer son droit de vote en conséquence. Dans une perspective en apparence différente, mais en réalité semblable, deux candidats à la mairie de Montréal ont affirmé qu’ils contesteraient la future charte devant les tribunaux. Denis Coderre et Mélanie Joly pensent en effet que la place de la religion dans la sphère publique, de même que la séparation de l’Église et de l’État, sont des questions que seuls les juges peuvent trancher. Sous couvert de droit, cette approche est en fait profondément élitiste et antidémocratique.

Dans ce genre de problématique, l’élément fondamental est de savoir qui décide de ce qui est raisonnable. Le fait est qu’il y aura toujours une restriction aux droits individuels. Pour reprendre un exemple connu, en l’absence d’incendie, un individu ne peut crier « au feu ! » dans une salle de cinéma et invoquer ensuite sa liberté d’expression pour se justifier. Une limite doit être tracée quelque part sans quoi notre société deviendrait chaotique.

Pour une grande partie des gens les plus éduqués, il est inconcevable de laisser aux élus du peuple le pouvoir de tracer la ligne. Il est à leurs yeux inadmissible, par exemple, de permettre aux représentants de la majorité de voter une charte de la laïcité qui viendrait empêcher de jeunes sikhs de porter leur poignard à l’école, contrairement à ce qu’a décidé la Cour suprême.

Obsédée par la supposée oppression que la société ferait subir à différents groupes, la prétendue minorité éclairée fait souvent face au rejet de son projet par la majorité, comme dans le cas du kirpan. Il importe donc de transformer le débat en une question de droits fondamentaux. Dans le cas qui nous occupe, la liberté religieuse serait si sacrée qu’on ne saurait la limiter d’aucune façon. Et si on devait y mettre la moindre entrave, seuls des juges et des avocats, issus de la classe bien-pensante, devraient avoir voix au chapitre. Voilà ce que nous dit la Commission des droits de la personne dans l’avis qu’elle a rendu sur la question. Cela est d’autant plus important que les membres des tribunaux supérieurs sont tous nommés par Ottawa, et donc généralement partisans de cette religion d’État qu’est devenu le multiculturalisme canadien.

Tout cela a pour effet d’empêcher le débat démocratique. Tout devient une question de droits sacrés et immanents. Aucun compromis n’est possible et l’adversaire politique devient l’incarnation du mal. Voilà qui explique les comparaisons outrancières avec la Russie de Poutine faites par Charles Taylor, tout comme la pluie d’accusations de racisme qui a accueilli le projet du PQ. Cette campagne n’a d’autres buts que de culpabiliser la majorité afin de le lui faire accepter un individualisme débridé qui érode les valeurs collectives au profit du relativisme moral.

Si la charte des valeurs devient loi, les opposants la feront invalider par les tribunaux en invoquant les chartes des droits. Faute de légitimité démocratique, ils invoqueront une légitimité juridique, fondée sur l’interprétation de quelques juges déjà gagnés à leur cause. Et quand la condamnation des tribunaux sera chose faite, il s’ensuivra un matraquage dont nous connaissons déjà le refrain : le Québec viole encore les droits et libertés !

Le gouvernement québécois n’est toutefois pas sans recours devant un tel scénario. Lors de l’éventuelle adoption de la charte des valeurs, il doit invoquer d’emblée la clause dérogatoire, laquelle lui permettrait de limiter les contestations judiciaires à l’endroit de son projet. Ainsi, la majorité et ses élus pourraient réaffirmer nos valeurs communes, nonobstant les bien-pensants et les juges.
Frédéric Bastien - Professeur au collège Dawson et auteur, entre autres, de La bataille de Londres

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Frédéric Bastien167 articles

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Titulaire d'un doctorat en relations internationales de l'Institut universitaire des hautes études internationales de Genève, Frédéric Bastien se spécialise dans l'histoire et la politique internationale. Chargé de cours au département d'histoire de l'Université du Québec à Montréal, il est l'auteur de Relations particulières, la France face au Québec après de Gaulle et collabore avec plusieurs médias tels que l'Agence France Presse, L'actualité, Le Devoir et La Presse à titre de journaliste. Depuis 2004, il poursuit aussi des recherches sur le développement des relations internationales de la Ville de Montréal en plus d'être chercheur affilié à la Chaire Hector-Fabre en histoire du Québec.





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