Libre opinion - Canada : l’heure est venue de réhabiliter les droits de la personne

Alex Neve et Béatrice Vaugrante

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Le Canada s'enferre dans ses contradictions

Dans la foulée des manifestations d’émotions qui ont déferlé sur la planète à la suite du décès de Nelson Mandela surgit cette triste question : pourquoi le Canada n’a-t-il pas joué un rôle prépondérant dans l’hommage rendu à cet éminent défenseur des droits de la personne ?

Les gens se souviennent de la ferme position antiapartheid qu’avaient adoptée les leaders canadiens, depuis l’époque de John Diefenbaker. Ils se sont vantés d’avoir accordé à Mandela la citoyenneté canadienne honoraire. Ils ont demandé pourquoi Brian Mulroney, qui s’est opposé à Margaret Thatcher et Ronald Reagan, n’était pas parmi les nombreux leaders mondiaux invités à présenter une allocution en mémoire de Nelson Mandela.

Il existe plusieurs réponses à cette question, dont l’une est assurément le fait que le Canada n’est plus perçu comme le leader déterminé des droits de la personne qu’il a été au cours des 25 dernières années. En fait, sur le plan de la défense des droits de la personne en Afrique, le Canada est devenu pratiquement absent.

Depuis plusieurs années, Amnistie internationale, d’autres organisations, d’anciens diplomates et politiciens ainsi que des Canadiens inquiets montrent du doigt cette détérioration de la réputation de chef de file des droits de la personne du Canada. Le fait d’être tenu à l’écart de la cérémonie commémorative de Mandela ou de voir la candidature du Canada à un siège du Conseil de sécurité des Nations unies refusée en 2010 nous oblige à faire front. […]

L’année qui se termine offrait au Canada une formidable occasion de renverser la vapeur, alors que le Conseil des droits de l’homme des Nations unies procédait à l’examen périodique universel du Canada. Tous les pays du monde font l’objet d’un tel examen tous les quatre ans.

Cependant, le Canada est ressorti de cet examen plus arrogant qu’exemplaire et plus provocateur que déterminé. En fait, il a rejeté deux recommandations qui ralliaient le soutien de bon nombre de ses alliés les plus proches. Le Canada a refusé de se doter d’un plan d’action national pour contrer le niveau de violence révoltant qui a cours dans la vie des femmes autochtones partout au pays. Le Canada a aussi refusé les invitations à signer un traité portant sur la prévention de la torture dans le cadre des visites dans les prisons, compromettant ainsi notre capacité à insister auprès d’autres pays où la torture est monnaie courante pour qu’ils prennent cette mesure essentielle.

Ce qui inquiète

Concrètement, en cette fin d’année, nos préoccupations nationales liées aux droits de la personne se sont aggravées sur plusieurs fronts.

Aucun engagement n’a encore été pris quant au respect du droit des peuples autochtones à un consentement libre, préalable et éclairé relativement aux projets de ressources naturelles qui ont des répercussions sur leurs droits, leurs terres et leurs territoires.

Le refus du gouvernement fédéral de financer des soins de santé égaux pour tous les réfugiés a été réprouvé par les gouvernements provinciaux, dont plusieurs paieront la facture, mais transmettront la note à Ottawa.

Ottawa refuse de créer un cadre de droits de la personne efficace à l’intention des sociétés minières canadiennes oeuvrant à l’étranger et n’a fait aucun effort pour intégrer des obligations relatives aux droits de l’homme dans sa politique commerciale.

Le gouvernement fait preuve d’incohérence quand il s’agit de prendre la défense de Canadiens emprisonnés illégalement ou risquant la torture en terre étrangère, suscitant des préoccupations liées à la discrimination.

Le refus du gouvernement fédéral de diriger l’élaboration de stratégies nationales relatives à la pauvreté, à la sécurité alimentaire et à l’itinérance dépasse l’entendement.

De plus, une inquiétude sans précédent surgit du fait que la liberté d’expression est de plus en plus compromise. Les arrestations de masse survenues durant le sommet du G20 à Toronto et les manifestations étudiantes au Québec n’ont toujours pas fait l’objet d’enquêtes appropriées.

Dans tout le pays, des militants, des fonctionnaires, des universitaires et des scientifiques perdent leur financement, sont réduits au silence ou sont dénigrés sur la place publique s’ils osent critiquer le gouvernement.

Le retardataire

La modification fondamentale du statut du Canada en matière de droits de la personne sur la scène mondiale au cours des dernières années est ahurissante. Autrefois chef de file, le Canada est désormais trop souvent perçu comme un retardataire.

Après avoir été un leader mondial de la campagne en faveur du traité sur les mines terrestres il y a tout juste 15 ans, le Canada est demeuré invisible au moment de l’adoption marquante, cette année, d’un nouveau traité qui intègre au commerce mondial des armes des règles visant la protection des droits de la personne. Le Canada ne figure pas parmi les 115 pays qui ont fait un premier pas en signant ce traité.

Le refus du Canada de favoriser les engagements pris à l’échelle internationale relativement aux droits sexuels et reproductifs des femmes éclabousse notre bilan jadis exemplaire de défenseur de l’égalité des femmes.

Tandis que le sort des réfugiés syriens devient de plus en plus ignominieux, le Canada a consenti à accueillir le nombre dérisoire de 200 Syriens sous parrainage gouvernemental. Une trahison après des dizaines d’années de générosité envers les réfugiés.

Les incohérences réduisent à néant une grande part de la diplomatie canadienne relative aux droits de l’homme. Le Canada a adopté de solides positions opportunes à l’égard de pays tels le Sri Lanka et l’Iran, mais du fait de son refus d’admettre quelque critique que ce soit à propos du bilan d’Israël en matière de droits de la personne, beaucoup de pays estiment que le Canada recherche la polarisation au lieu de s’appuyer sur des principes. Notre quasi-disparition de l’Afrique, notre omission de faire pression sur la Colombie et nos positions ambiguës à propos de certains pays du « printemps arabe », tel Bahreïn, ne contribuent en rien à nous attirer plus de respect à l’échelle internationale.

Vers la fin de l’année, le gouvernement a fièrement annoncé son nouveau Plan d’action sur les marchés mondiaux, selon lequel la diplomatie économique dominera désormais la politique étrangère canadienne. C’est son rôle entre autres de promouvoir le commerce, mais il est déplorable d’avoir négligé de concevoir en parallèle un plan d’action international relatif aux droits de la personne.

[…]

L’heure est venue, en 2014, de réhabiliter les droits de l’homme.
Alex Neve - Secrétaire général de la section anglophone d’Amnistie internationale Canada et Béatrice Vaugrante - Directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone


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