Un esprit juridique sur fond de ressentiment

Lettre ouverte à Robert Barberis-Gervais

Tribune libre

M. Barberis-Gervais,
J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt vos discussions avec Me Pierre Cloutier. Dans ce cas, le terme discussion ne s’applique pas vraiment, il faudrait plutôt parler de diatribe ou de joute oratoire. Vous n’êtes pas le seul à avoir ce genre de rapport avec lui: Mesdames Nicole Hébert, Pierrette St-Onge, Andrée Ferreti, Messieurs. René-Marcel Sauvé, Marcel Haché et moi-même avons dû subir le style particulier de Me Cloutier. Je crois intéressant de partager avec vous mes réflexions.
Vous reprochez à Me Cloutier ses prises de position et sa façon impolie de s’adresser à ceux qui ne partagent pas ses opinions. Je vais tenter de percer le personnage pour vous permettre de le mieux comprendre et de cesser de vous faire perdre votre temps à tenter de le convaincre de changer d’idée. Tout d’abord, il l’affirme lui-même, Me Cloutier compte 42 ans de pratique de droit derrière la cravate. Il croit que ça lui donne une couenne dure. Sa pratique du droit l’a tellement marqué que sa pensée est essentiellement juridique. Il nous propose des projets de loi sans égard au fait que nous ne sommes pas au pouvoir. Comme d’autres, le pouvoir, il ne connait pas ça. Et ceux qui le veulent sont des arrivistes. Il n’en a pas besoin du pouvoir, lui, puisqu’il est toujours au tribunal où il doit présenter un argument, faire une preuve, et aboutir avec une plaidoirie. Il n’a pas une population à convaincre, mais un juge prétendument impartial. Il n’a pas besoin d’alliance, un tribunal ne fonctionne pas ainsi. Son esprit juridique l’empêche à peu près totalement de faire une analyse politique. C’est pourquoi il ne comprend pas le constat que l’on fait qu’il est l’allié de ses adversaires, qu’il participe à une cinquième colonne.
Vous et la plupart des autres intervenants sur Vigile faites de l’analyse politique, il en est incapable, et vous me semblez parfois avoir de la difficulté à voir un argument juridique. Tous ceux sur Vigile qui font de l’analyse politique et qui tentent de répondre à ses arguments butent à cette difficulté. D’ailleurs, votre commentaire sur la peinture à numéros (ses textes numérotés) reflète bien cette incompréhension. Me Cloutier vous l’a écrit, il est habitué à présenter ainsi ses arguments à un tribunal, il est incapable de s’adapter à autre chose. Vous avez engagé avec lui, à votre insu, un authentique dialogue de sourds, vous parlez politique, il parle juridique. Alors, ce n'est pas un véritable dialogue, et c'est pourquoi vos échanges provoquent un malaise chez vos lecteurs.
De même, en ce qui concerne son style particulier, scatologique, impoli, irrespectueux, agressif, vous êtes à côté de la coche en visant son épouse même si vous le faites avec humour. Je vous relance sur l'humour. Socrate recommandait à ses disciples de se marier. Il leur expliquait que si ça allait bien, ils seraient heureux et sans histoire; et si ça allait mal, comme lui, ils deviendraient philosophes. Comme il est évident qu’il n’est pas philosophe, j’en conclus qu’il est heureux en ménage et que s’il est misogyne, sa femme n’a rien à y voir. Je crois plutôt que Me Cloutier est plein de ressentiment, et que c’est là qu’il faut chercher la source de cette dimension intrigante de sa personnalité. Après tout, il a de bonnes raisons d’être furieux contre la direction du PQ depuis le départ de Bernard Landry. Il avait fait approuver à ce parti un programme en 2005. De plus, il milite au sein du PQ depuis sa formation et il prétend le connaître comme le fond de sa poche. Nonobstant cette connaissance, ce qu’il nous décrit avec ce programme 2005 et ce qui a suivi, c’est quelqu’un qui s’est fait rouler en farine comme un débutant. Il croit probablement que Pauline Marois a joué un rôle en 2005 et que ses manigances ont poussé Bernard Landry à la démission. Il en a découlé chez lui un profond ressentiment, et c’est dans ce poison de l’âme qu’il faut chercher la source de son comportement.
René Girard dit que « Le ressentiment n’est que le violent contrecoup d’un désir contrecarré. Le mot lui-même évoque l’image d’un obstacle définitif contre quoi le « sentiment » initial qui s’est heurté une première fois, ne cesse de revenir à la charge, en une incessante frustration » . Me Cloutier n’a jamais digéré la mise au rancart du programme 2005, il ne cesse de vitupérer contre Mme Marois qu’il rend responsable de cet abandon et de la démission de son ami Landry, et il fait de la démission de Mme Marois et de la ré-adoption du sacro-saint programme 2005 des conditions sine qua non de son retour au bercail. Sa hargne, son vocabulaire désolant, son entêtement maladif, ses remarques obsessionnelles sur le PQ-Marois et le programme 2005, c’est dans son ressentiment qu’il faut en chercher la source. Il n’y a que lui qui peut remédier à cette situation. M. Barberis-Gervais, cessez de lui chercher querelle, il est déjà bien assez malheureux sans que vous y ajoutiez votre grain de sel.
J’espère que vous comprenez mieux le personnage maintenant. Il peut écrire une constitution transitoire, permanente, un Code civil, un Code du travail, il croit sincèrement que si ça tient le coup juridiquement, un législateur va l’adopter. C’est son côté juridique. Mais visiblement, il n’a pas la moindre idée du côté politique de l’affaire, et il ne comprendra pas que vous ou d’autres le rappeliez à l’ordre, pas plus qu’il ne peut imaginer la moindre alliance ou le moindre compromis, un juge lui donne tort ou raison, mais il n’a besoin ni d’alliance ni de compromis pour gagner un procès. Tous ceux qui le remettent en question subiront à leur tour son ressentiment. Vous perdez donc temps et énergie à tenter de le faire changer d’idée. Ce qui est dommage, c’est qu’il réussit avec son attitude à s’arranger pour que nous ne considérions aucune de ses idées, même si beaucoup méritent réflexion. C’est lui qui devient son pire ennemi. Mais ni vous ni moi n’y pouvons rien changer. Aussi, je vous suggère de ne pas vous faire trop d’illusions sur votre capacité à le convaincre de quoi que ce soit et à limiter vos échanges avec lui au strict minimum.
Ceci dit en tout respect pour la personne de Me Pierre Cloutier.
Louis Champagne, ing
Note : La citation est tirée de "La Voix méconnue du réel" de René Girard, p.129 de l'édition Le Livre de Poche


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5 commentaires

  • Marcel Haché Répondre

    8 octobre 2011

    @ Pierre Bouchard
    Vous avez sans doute raison et le droit d’affirmer que l’argument de la nécessité de « prendre le pouvoir » est un argument «court » de la part de ceux qui appuient Pauline Marois. Mais cela ne vous donne pas raison pour le reste.
    Quand bien même Pauline Marois serait maintenant rendue à 5 % des intentions de vote, il n’y a rien de définitif dans une « intention », qui peut changer, mais il y a quelque chose d’implacable dans la nécessité de prendre le pouvoir.
    Vouloir changer la chefferie du P.Q. à ce stade-ci de la conjoncture, cela équivaudrait à penser que le P.Q. profite d’un vote captif, comme les rouges avec le West Island, et qui pourrait se reporter sur un nouveau chef. Rien ne serait moins sûr. Ce qui est certain, cependant, c’est que cela accréditerait dans l’opinion publique que le P.Q. est toujours un incubateur de chicanes et n’est pas encore guéri de sa maladie de changer de chef à toutes les fins de semaine. Pas très winner, convenez-en aussi.

  • Archives de Vigile Répondre

    7 octobre 2011

    Bonjour M. Champagne,
    Vous avez peut-être raison au sujet du ressentiment de M. Cloutier mais ça n’invalide pas ce qu’il observe. Nous sommes tous tricotés, moulés d’une certaine manière. Je ne connais pas votre discours mais puisque l’intelligence politique de M. Cloutier vous échappe, je présume que ce n’est pas beaucoup mieux de votre côté. Vraiment, si vous voulez exposer les analyses et les comparer, vous trouverez les observations rationnelles d’un côté, et le déni de la réalité et les espoirs naïfs de l’autre. On pourrait en parler longuement.
    Dans le dernier commentaire que j’ai fait sur Vigile j’ai indiqué que je ne suis pas d’accord avec M. Cloutier sur ses 2 principales assertions : le problème principal avec le PQ serait le plan de gouvernance souverainiste, et il faudrait mettre le projet de pays sur la table aux prochaines élections. Je pense différemment et je me suis amplement expliqué. Mais j’observe les mêmes choses que M. Cloutier et je partage sa pensée politique et son sentiment national.
    J’ai aussi dit clairement et amplement que le problème est Mme Marois elle-même, et il ne reste plus beaucoup de gens qui, comme vous, refusent de l’admettre. Si vous et ceux qui pensent comme vous avaient le moindrement des arguments valables, il pourrait y avoir débat, mais ces arguments sont très rares. Après avoir dit « il faut prendre le pouvoir sinon rien n’est possible », ce qui est vrai, vous n’avez plus rien à dire. C’est ridiculement court comme analyse politique. Vous refusez de penser un pas plus loin, même Mme Ferretti se renfrogne. Les viscéraux ne sont pas ceux qu’elle pense. Je lui ai écrit une lettre ici sur Vigile lorsqu’elle nous a accusé de tuer la nation mais elle m’a simplement ignoré.
    Quant à M. Barberis-Gervais, sans vouloir lui manquer de respect, voilà un jars qui aime montrer ses faits d’arme en les montant en épingles. Je ne suis rien, ici, pour oser dire cela, M. Barberis-Gervais a effectivement l’expérience du militantisme et de l’action, ce que je n’ai pas.
    Je le lis avec plaisir lorsqu’il révèle des faits, lorsqu’il apporte à notre réflexion une idée nouvelle ou quelque chose qui nous a échappé, mais je suis plus tiède lors qu’il nous expose ses analyses circulaires remplies de raccourcis. M. Barberis-Gervais a fait des efforts pour se rapprocher de M. Cloutier, semblant devenir plus critique de Mme Marois, mais en se frottant encore et toujours à M. Cloutier il est vite revenu à la case départ.

  • Archives de Vigile Répondre

    7 octobre 2011

    Merci pour l'éclairage monsieur Champagne. Votre fallow spot est parfaitement ciblé. Ce qui me désole depuis le début de ce débat malsain est le chemin que nous pourrions parcourir, et que nous ne parcourons pas.
    André Vincent

  • L'engagé Répondre

    7 octobre 2011

    Je ne suis pas toujours d'accords avec Cloutier et j'ai quelques fois eu droit à des remarques ironiques de sa part, lesquelles n'étaient pas mesquines.
    Cloutier fait rationnellement la démonstration que « l'esprit et la lettre du PQ » ne sont pas indépendantistes ni souverainistes.
    Vous lui reprochez de ne pas avoir de sens politique, vous prétendez qu'il manque de «machiavelisme» car il n'accepte pas la rhétorique péquiste. Vous pourriez aussi l'écouter et comprendre, grâce à son approche légaliste, pourquoi certains indépendantistes délaissent le PQ. Il y a des signes qui ne trompent pas. Inconsciemment ou instinctivement, on sait quand quelque chose cloche.
    Cloutier a su révéler les structures et les discours pour que l'on comprenne cette impression. Sa thèse est qu'un projet d'indépendance franc mobiliserait « les troupes » et que si les politiciens pro-souveraineté n'ont pas le courage de mettre le projet sur la table, alors c'est comme s'ils en avaient hontes et qu'ils dissimulaient un squelette dans le placard.
    Ce qui signifie qu'ils ne pourront convaincre en élection que des tièdes déjà un peu acquis, tandis que les «tièdes peureux» ou « les tièdes rationnels » se détourneront d'un plan trop alambiqué pour être communiqué clairement. Enfin, les «indépendantistes finis» ne voudront rien savoir. Ça fait beaucoup de monde à ne pas aimer le Plan Marois. Comment obtenir le pouvoir ainsi? C'est est impossible.
    La lecture politique de Cloutier est donc bien plus lucide; il montre qu'en dépit de nos orientation stratégiques, le PQ n'obtiendra justement pas ce pouvoir que vous jugez nécessaire.
    Pédagoque, il tape sur le même clou. En refusant son constat, c'est la rationalité même de la pensée que l'on écarte. Il faut embrasser le Plan Marois, comme signe d'union.
    Dans ce cas, pourquoi ne pas faire d'un caribou notre chef? S'il faut abandonner notre esprit critique en chemin, pourquoi donc mener cette bataille?

    Comprenez que j'ai écrit souvent, et parfois directement à Marois, qu'il fallait prendre l'initiative encourager la lutte. Marois a répondu par de terribles erreurs tactiques donc en plus d'un problème de discours, le PQ souffre d'un problème d'image.
    Notez que Cloutier n'a pas profité des démissions, il est resté fidèle à son axe de communication.
    Sauf que les discours de Cloutier font mal car ce dernier montre que sur les 43 ans de lutte, il y en a peut-être 16 de perdus où les gens ont cru travailler pour l'indépendance alors qu'ils travaillaient plutôt pour l'opportunisme de certains apparatchiks.
    Ça fait mal, d'où le déni.
    Parfois, quand on a tellement sacrifié, on se dit que l'on ne peut revenir en arrière, d'une manière absurde, on s'entête «encore plus dans plus en plus de la même chose », pour avoir l'air cohérent, mais on est au fond en train de se contredire, en évitant une remise en question salutaire, laquelle impliquerait une admission de nos erreurs.
    Cloutier les pointe sans pitié.
    Je ne suis pas d'accord avec Cloutier pour tout, mais il a choisi d'honorer la vérité et il ne fait pas de compromis avec cette dernière.
    Voilà pourquoi il dérange. Mais quand je vois Lapointe, Curzi, Khadir et Aussant tenir un point de presse en commun, et faire exactement ce que le PQ ne fait pas (mais devrait faire), je commence à croire que les propositions de Cloutier sont possibles.

  • Archives de Vigile Répondre

    7 octobre 2011

    SVP, laissons les personnalités de côté et concentrons-nous sur le contenu des idées émises de façon à faire avancer notre cause commune. Il y a eu plusieurs attaques ad hominem récemment de part et d'autres et je préférerais de loin consacrer mon temps de lecture à approfondir et soupeser les arguments pour les étapes à venir devant nous conduire à l'indépendance. Le temps presse...
    Que pensez-vous de toutes les idées mises de l'avant par monsieur Cloutier ? Qu'on soit d'accord ou non, il a au moins le mérite d'avoir une pensée claire, originale et concise. Merci de s'en tenir aux messages plutôt que de s'attaquer aux messagers!
    Réal Croteau