Madame la Mairesse Valérie Plante,
Je suis de la génération X et j’ai grandi à Montréal, à la frontière de Saint-Léonard, où se concentrait alors de tout un pan des familles issues de l’immigration italienne. C’était les années où le mouvement nationaliste s’affirmait de plus en plus et pendant lesquelles de vives tensions linguistiques se manifestaient, jusque dans nos coeurs de mômes. Tensions qui se traduisaient par des combats assez violents : traquenards dans les ruelles pour capturer des enfants « ennemis » afin de leur faire passer un mauvais quart d’heure, visages ensanglantés, cailloux lancés à la fronde de part et d’autre et ceintures dénouées pour en faire des fouets, etc. Ce n’était pas l’Irlande du Nord, bien sûr, mais tensions et climat de violence, il y avait.
Bill 22 et paix sociale
Pourquoi ? Les enfants d’immigrants italiens allaient à l’école anglaise et nous, petits Francos, retrouvions une fierté de vivre enfin dans notre langue à Montréal. C’était l’époque où il était quasi impossible de se faire servir en français chez Eaton. En toile de fond, les célèbres émeutes de Saint-Léonard déclenchées indirectement par le très mou Robert Bourassa, ancien premier ministre qui, une fois n’est pas coutume, avait eu le courage d’imposer le français comme langue officielle (bill 22), soulevant ainsi la colère des immigrants italo-anglophones.
Veuillez noter, Mme Plante, que je n’en tiens pas rigueur aux parents des enfants italiens d’avoir choisi de les envoyer à l’école anglaise : j’aurais probablement agi de même dans leur situation. Cependant, le politique, c’est sa fonction principale, doit intervenir pour réguler la paix sociale et maintenir la légitimité des institutions et de l’État.
Lorsque le PQ a pris le pouvoir en 1976, nous étions enfin libres de nous assumer en tant que majorité minoritaire et historiquement dominée, grâce aux bons soins du docteur Laurin, père de la loi 101. Loi qui voulait insuffler un sentiment de dignité à notre nation, tout en changeant le paradigme linguistique de la métropole. Il en aura fallu du courage et de la droiture pour affronter les tirs groupés d’insultes et les appels au nazisme, au fascisme et autres enflures verbales que subissaient Camille Laurin et son gouvernement. Mais quelques années plus tard, la paix linguistique a enfin régné sur la métropole, et même les chroniqueurs de la presse anglo les plus hostiles à cette loi, ceux de bonne foi du moins, le reconnurent.
Cette paix linguistique est de plus en plus remise en question à Montréal. Ce combat historique d’affirmation nationale est de plus en plus folklorisé par des attaques de toutes parts.
Or, Mme Plante, il se trouve que j’ai voté pour vous. Amère déception. Après quelques mois de règne, force est d’admettre que non seulement vous envoyez le signal qu’à Montréal, ça se passe en anglais, mais vous refusez toujours de vous afficher avec notre drapeau national, comme s’il était honteux, en plus de transgresser ainsi la loi comme vous l’a rappelé le ministère de la Justice.
Chère Madame Sourire, par ces manoeuvres qui visent à séduire les diverses minorités qui représentent autant de segments électoraux, vous travaillez certes à votre réélection, mais vous contribuez d’une part à défaire le tissu social hérité de décennies de paix linguistique et, d’autre part, à mettre en place un ressentiment collectif qui pourrait avoir des conséquences très regrettables.
Ajoutons à cela le fait qu’en vous employant à installer une commission sur le « racisme systémique », vous participez à la division sociale en appuyant les replis communautaristes. S’il est évident que les minorités culturelles doivent être mieux représentées, pourquoi préparer un tel show de boucane alors qu’il existe déjà un conseil interculturel de Montréal qui a déjà fait des recommandations ? Sans parler du rapport Bouchard-Taylor, hélas tabletté !
Premières Nations
Si nous saluons l’introduction d’un symbole autochtone sur le drapeau de la Ville, nous souhaiterions, par exemple, que vous aidiez réellement les Inuits de la Cité en proie à de graves problèmes d’itinérance, plutôt que de prendre une posture de bonne conscience en parlant de « territoires mohawks non cédés ». Ce qui est, vous le savez, contesté par la majorité des historiens. Pourquoi demeurez-vous silencieuse quant aux conditions dans lesquelles l’ignoble Loi sur les Indiens les a conduits ? Comme le rappelait récemment le professeur Luc-Normand Tellier dans Le Devoir : « Le tout premier pensionnat autochtone, nommé le Mohawk Institute Residential School, fut fondé en 1834 par l’Église anglicane près de Brantford, en Ontario, que 25 % des pensionnats autochtones fédéraux relevaient de l’Église anglicane et que le réseau fédéral de pensionnats autochtone fut établi en 1883 par un bon anglican, sir John A. Macdonald, premier ministre et surintendant des Affaires indiennes du Canada ? » Le racisme systémique, il est là, et les Premières Nations en sont aujourd’hui encore les premières victimes. CQFD.