Gouvernement Charest

Les retours d'ascenseur

Commission Bastarache

Les travaux de la commission Bastarache, s'ils se perdent souvent dans des détails inutiles, sont néanmoins instructifs. Le témoignage de Charles Rondeau ces deux derniers jours a ainsi mis en lumière le rôle que jouent certaines éminences grises non élues, les argentiers des partis en l'occurrence, dans le processus de nominations faites par le gouvernement. Si elle est courante, la chose ne doit pas pour autant être banalisée.
Personne ne s'étonnera que la partisanerie intervienne dans les nominations faites par les gouvernements. On ne le sait que trop! À une certaine époque, tous les postes, du portier du Parlement jusqu'aux sous-ministres, faisaient l'objet de décisions partisanes, souvent même de la part des premiers ministres. À la Révolution tranquille, des processus d'embauche équitables et transparents furent mis en place, mais le pouvoir politique s'est toujours gardé la main haute sur les nominations aux postes de direction: sous-ministres, dirigeants de sociétés d'État, membres de commissions, membres de conseils d'administration, juges. À Québec et à Ottawa, ce sont plusieurs milliers de nominations qui sont faites sous le regard attentif des premiers ministres pour soit récompenser des militants, soit mettre en place des gestionnaires de confiance qui partagent les vues du gouvernement.
Devant la commission, Charles Rondeau a expliqué avec candeur les raisons de ses nombreuses visites au bureau du premier ministre Jean Charest en 2003. Elles furent fréquentes, car le Parti libéral venait de prendre le pouvoir et il s'agissait de placer son monde, comme le veut l'expression populaire. D'ailleurs, les responsables de la transition entre le gouvernement Landry et le gouvernement Charest disaient volontiers à l'époque que ceux qui avaient pris l'ascenseur politique pour monter allaient le prendre pour redescendre. On parlait alors de personnes identifiées comme péquistes. Évidemment, des libéraux ont à leur tour pris l'ascenseur pour monter.
Ce comportement n'est pas propre au Parti libéral. Si on faisait le décompte, on verrait que Bernard Landry n'a pas nommé beaucoup de fédéralistes le temps qu'il fut premier ministre. Ne croyons pas toutefois que les gouvernements ne procèdent qu'à des nominations partisanes, surtout dans les postes de direction. Il y a une fonction publique qu'on ne peut contourner totalement. Un exemple est la confiance que le premier ministre Jean Charest a accordée en 2003 au délégué du Québec alors en poste à Paris, Clément Duhaime, dont les convictions souverainistes sont bien connues. Il défendra par la suite sa nomination au poste d'administrateur de l'Organisation internationale de la Francophonie.
Si des nuances s'imposent sur le jugement que nous pouvons porter sur le processus de nominations politiques, il reste que la place qui est celle des hauts fonctionnaires de carrière a diminué. Dans les années 1960 et 1970, s'était mise en place au Québec une fonction publique au sommet de laquelle se trouvaient de grands commis de l'État servant tous les régimes. À l'occasion d'une cérémonie célébrant la Révolution tranquille tenue plus tôt cette semaine, le premier ministre Charest a rendu hommage à plusieurs d'entre eux. Ces grands sous-ministres incarnaient la neutralité et la continuité de l'État. Leur devoir était de servir l'État avant d'être au service d'un parti.
La polarisation du débat politique à Québec entre souverainistes et fédéralistes est ce qui a provoqué la multiplication des nominations politiques à la tête de ministères et de sociétés d'État. On assiste d'ailleurs au même phénomène à Ottawa, où les conservateurs jugent que la fonction publique est au service du Parti libéral. Arrivés au pouvoir, les partis politiques font de l'État leur chose, comme s'ils en étaient devenus propriétaires. Il en résulte une perte du sens de l'État.
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L'expression «ça r'foule aux portes» a été entendue plusieurs fois ces derniers jours devant la commission. La référence est évidente. Après l'élection, les militants attendent leurs récompenses. Ils les attendent d'autant plus vivement qu'ils ont été exclus pendant de longues années du pouvoir. Le système est ainsi fait que l'on entretient le militantisme avec l'espoir d'un retour d'ascenseur quelconque, une nomination à un poste de juge ou à une commission, ou encore l'obtention d'un permis de garderie, d'un contrat quelconque. Le rôle des argentiers des partis est de rappeler à ceux qui prennent les décisions qu'il faut, maintenant qu'ils sont au pouvoir, payer leurs dettes. Les pressions qu'ils feront ne seront pas jugées indues, car la chose apparaît normale à tous, sauf à un Marc Bellemarre qui, à entendre certains commentaires, serait un grand naïf. Un jugement que l'opinion publique ne semble pas partager.
Ces retours d'ascenseur engagent ceux qui en profitent à une certaine loyauté envers celui qui vous a fait monter d'un ou plusieurs étages. Être ainsi redevable pose un problème éthique dans le cas de certaines fonctions, particulièrement lorsqu'on est juge, où il faut être au-dessus de toute apparence de conflit d'intérêts. Or les travaux de la commission ont jusqu'ici montré que l'actuel processus de nomination des juges ne pouvait se mériter le qualificatif d'indépendant. L'ancienne juge en chef de la Cour du Québec, Huguette Saint-Louis, lors de son témoignage, l'a déploré.
Que penser en effet d'un juge qui a sollicité lui-même ou par un proche l'appui de l'appareil du parti pour obtenir sa nomination? Le cas du juge Michel Simard mérite que la commission s'y arrête, maintenant que l'on sait de la bouche de Charles Rondeau qu'il a demandé à celui-ci d'intervenir pour être nommé juge en chef de la Cour du Québec. Il n'a pas obtenu ce poste, mais celui de juge en chef adjoint. Posant ce geste alors qu'il était déjà juge, il faisait fi de la séparation devant exister entre les pouvoirs judiciaire et exécutif et se mettait en position d'être redevable. Il ne s'agit pas de mettre en cause la compétence de Michel Simard, mais de soulever que se pose, maintenant que tout cela est connu, un problème de crédibilité dans l'exercice de sa fonction. Il nous semble qu'il ne peut demeurer en poste.


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