Le 23 mars 2006, le ministre des finances du Québec, M. Michel Audet,
prononçait à l’Assemblée nationale le budget 2006-2007 du gouvernement du
Québec. La lecture du budget nous apprenait qu’un système de redevance sur
l’eau serait établi sous peu au Québec et que les sommes amassées via ce
processus seraient versées au Fonds des générations. Rappelons que
l’objectif unique du Fonds des générations est de contribuer à réduire la
dette du Québec, dette qui s’élève actuellement à 118 milliards de dollars.
Selon les perspectives du ministre Audet, le Fonds des générations devrait
contribuer à diminuer l’endettement du Québec de 30 milliards d’ici 2025.
Il est important de mentionner qu’à l’heure actuelle, seul Hydro-Québec
Production et les entreprises privées seront appelées à verser des
redevances hydrauliques au Fonds des générations. Source : Le Devoir
24/03/2006
M. Claude Béchard, ministre du Développement durable, de l’Environnement
et des Parcs, énonçait, en Commission des transports et de l’environnement
le 1er mai 2006 : « En ce qui a trait à toute la question du Fonds des
générations, il faut faire attention, la partie dont, nous, on parle,
c'est-à-dire les redevances sur l'eau, ce sont les redevances qui sont,
comme je vous le mentionnais tantôt, selon différents secteurs, selon les
utilisateurs qu'on a, que ce soit agricole, résidentiel, commercial,
industriel, brassicole, etc., ce que je vous mentionnais tantôt ». Nous
comprenons ici que c’est l’ensemble des contribuables québécois qui seront
éventuellement appelés à contribuer au Fonds des générations, via le
paiement de redevances hydrauliques sur les biens de consommations qu’ils
se procureront.
L’idée de facturer la consommation d’eau des familles au moyen de
compteurs d’eau résidentiels ayant été écartée pour l’instant, les
consommateurs résidentiels ne devraient pas, du moins à court terme, faire
l’objet de redevances hydrauliques. Pouvons-nous croire pour autant que les
familles québécoises ne paieront pas de redevances sur l’eau de façon
indirecte ? La hausse des coûts de production des biens de consommation est
une conséquence logique de l’imposition de redevances hydrauliques aux
utilisateurs commerciaux. Cette logique peut s’appliquer à tous les biens
de consommation dont le prix n’est pas réglementé, et advenant le cas où il
n’y a pas de réglementation du prix de ventes des produits, les
consommateurs pourraient noter une hausse beaucoup plus rapide des prix.
Pour ce qui est des domaines de production dont le prix de vente est
réglementé, le temps d’analyse de la demande pourrait possiblement laisser
un répit temporaire au consommateur.
L’industrie agroalimentaire est la plus grande consommatrice d’eau au
Canada avec 3 089 000 m3 d’eau par année (3 089 000 000 litres d’eau par
année). Cette industrie n’est pas la plus grande utilisatrice d’eau, mais
elle est de loin la plus grande consommatrice d’eau du pays. L’eau utilisée
pour produire les produits agricoles et industriels est l’eau virtuelle des
produits. Entre 1995 et 1999, le Canada arrivait au 2ième rang des pays
exportateurs d’eau avec 272,5 billions de m3 d’eau, derrière les Etats-Unis
au premier rang avec 758,3 billions de m3 d’exportation d’eau et devant le
Brésil au 10ième rang avec un volume d’exportation d’eau de 45 billions de
m3 d’eau. Source : www.wateryear2003.org / UNESCO.
Ces statistiques nous permettent de comprendre que même si le Canada
n’autorise pas l’exportation massive d’eau par dérivation ou par la voie de
contenant, nous exportons notre eau sous forme virtuelle. Rappelons que le
concept d’eau virtuelle est apparu pour la première fois au début des
années 1990 et a été défini par M. J.A Allan, professeur à l’École des
études orientales et africaines de l’Université de Londres. Ce concept nous
permet de calculer l’utilisation réelle des eaux d’un pays, ou son «
empreinte sur l’eau ». Elle est égale au total de la consommation
domestique du pays, complétée par ses importations d’eau virtuelle et
diminuée de ses exportations d’eau virtuelle. L’empreinte sur l’eau d’un
pays est un indicateur utile de la demande qu’il exerce sur les ressources
en eau de la planète.
La quantité d’eau contenue dans les produits agroalimentaires du Québec
constitue un volume d’eau virtuelle important, principalement dans
certaines catégories de production comme la production laitière et la
production de bétail. La production d’un bovin de boucherie nécessite 4000
m3 d’eau, et une vache laitière consomme en moyenne 160 litres d’eau par
jour. Le secteur agricole québécois est particulièrement présent dans la
production du bétail, laquelle génère près de 73% des 5,5 G$ de recettes
agricoles de marché en 2005. Or, dans les secteurs liés étroitement à la
production animale, les dépenses en matières premières et fournitures
(essentiellement composées de biens alimentaires) représentent une part
très importante des dépenses. Au Québec, cela se traduit par une très forte
proportion des ventes qui doivent servir uniquement à payer les dépenses
reliées aux matières premières. Ainsi, dans l’industrie de la fabrication
de produit de la viande, 73% des ventes y sont consacrées, comparativement
à 74% dans celle de la fabrication de produits laitiers et 78% dans celle
de la fabrication d’aliments pour animaux.
Source : Activité bioalimentaire au Québec bilan 2005 MAPAQ
Nous comprenons ici que le volume d’eau présent dans ces productions
agricoles est très important et pourrait devenir déterminant pour évaluer
la valeur de cette production. Le paiement de redevances hydrauliques par
les producteurs laisse présager plusieurs scénarios, lesquels se révèlent
plutôt négatifs à la fois pour les producteurs agricoles et les
consommateurs québécois. Illustré sous forme de chaîne allant de la
fabrication d’aliments pour les animaux jusqu’à la production
agroalimentaire pour se terminer par le consommateur, tout le monde
pourrait être amené à contribuer. Il est présentement hasardeux de
s’aventurer dans la détermination des hausses de prix que le consommateur
pourrait assumer. Toutefois, sachant que le coût moyen d’un m3 d’eau au
Québec est de 0,53$ et que la production d’un bovin de boucherie nécessite
4000 m3 d’eau, nous pourrions évaluer que cette production coûterait en eau
à son producteur 2120,00$. La même équation pourrait se faire dans
différents domaines de production alimentaire, comme la production laitière
ou la production serricole. À titre d’exemple, le 25 novembre 2001,
l’émission hebdomadaire agricole La semaine verte, présentait un reportage
faisant état d’un producteur laitier de Louiseville, qui a vu sa facture
d’eau annuelle multipliée par six à l’intérieur d’une période d’un an,
suite à l’installation d’un compteur d’eau sur ses bâtiments. Sans compteur
d’eau, sa facturation annuelle pour ce service s’établissait à 295,00$ par
année. L’installation d’un compteur d’eau sur cette ferme a fait passer la
facturation pour ce service à un montant évalué entre 1700,00$ et 1900,00$
par année, soit une majoration de 600% du coût de service.
Le paiement de redevances hydrauliques pourrait amener les producteurs
agricoles et les transformateurs à réduire leurs productions en fonction de
leurs capacités de revente, sans quoi ils pourraient faire face à
d’importantes pertes. Les produits agricoles qui ont été produits mais non
vendus contiennent de l’eau virtuelle sur laquelle des redevances
hydrauliques ont été payées. Le coût payé pour cette eau ne pouvant être
récupéré par la vente des produits se trouve donc perdu. L’attribution de
subventions aux producteurs agricoles pour compenser la perte des sommes
déboursées pour les redevances hydrauliques devrait être très importante.
L’hypothèse de la réduction de la production alimentaire québécoise
pourrait, à notre avis, causer des dommages collatéraux au fonctionnement
des banques alimentaires vu la réduction probable des stocks. Cela,
toujours dans l’optique d’une diminution de la production à la ferme et
dans les entreprises de transformations alimentaires. Notons que les
banques alimentaires québécoises s’approvisionnent principalement auprès
des transformateurs et des détaillants en alimentation. Par la suite, les
banques alimentaires redistribuent les denrées recueillies à plusieurs
milliers de familles québécoises dans le besoin. Déjà, depuis quelques
années, les entreprises de transformations alimentaires ont modifié leurs
mode de production de façon à réduire les pertes relatives aux surplus. Ce
changement dans le mode de production a eu une incidence importante sur le
volume de nourriture disponible pour la redistribution dans les banques
alimentaires. L’eau étant utilisée comme intrant « gratuit » de base dans
la fabrication agroalimentaire, il est fondé de croire que c’est l’ensemble
des produits offerts aux consommateurs qui pourraient voir leurs prix
majorés, ce qui ne serait pas sans conséquences pour les familles à faibles
revenus de l’Estrie.
À l’heure où nous militons pour le respect des droits économiques et
sociaux, la Ligue des Droits et Libertés section Estrie, ne peut que
craindre l’impact des redevances hydrauliques sur les familles estriennes.
Étant déjà fortement affectées par la pauvreté et les pertes d’emplois, les
familles de l’Estrie encaisseraient très difficilement une augmentation du
coût de la vie suite à une hausse des coûts de production de l’industrie
agroalimentaire. Ces familles doivent recevoir l’assurance que leur pouvoir
d’achat, déjà très restreint, ne sera pas réduit de nouveau par le paiement
indirect de redevances hydrauliques. Le tout, en respect des normes
internationales en matière de droit de la personne.
Informations
Eric Lachance
Ligue des Droits et Libertés section Estrie
ldlestrie2005@yahoo.ca
-- Envoi via le site Vigile.net (http://www.vigile.net/) --
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