Libre-Opinion: Dans un[ texte publié->1090] dans Le Devoir le 1er juillet dernier, Stéphane Dion énonce de façon concise sa pensée constitutionnelle sur les relations entre le Québec et le Canada. L'expérience canadienne, dit-il, est, à l'échelle du monde, un succès incontestable et il appartient à ceux qui veulent briser le Canada de faire la démonstration de raisons suffisantes pour justifier leur action. Or ces raisons, selon lui, sont inexistantes: le fédéralisme canadien a, bien sûr, comme tous les autres pays, ses difficultés, mais elles sont en voie de se résoudre, comme elles l'ont toujours fait par le passé. Les souverainistes qui veulent briser le Canada n'ont pas réussi à rencontrer le fardeau de la preuve.
En posant le problème de cette façon, M. Dion rend impossible tout dialogue fructueux avec les souverainistes, comme moi, dont les objectifs ne sont pas de briser le Canada ou de sortir du fédéralisme canadien mais plutôt de donner au Québec tous les moyens dont il a besoin pour assurer le plein épanouissement de la nation québécoise.
M. Dion raisonne comme si le Canada était antérieur au Québec, alors qu'au contraire, c'est le Québec qui, près de trois fois plus vieux, a donné naissance au Canada. En 1867, les Québécois ont accepté la Confédération en bonne partie parce qu'elle leur permettait de récupérer le gouvernement québécois qu'ils avaient perdu à la suite des rébellions de 1837 et du rapport Durham. Et, malgré cela, cette acceptation fut loin d'être unanime et n'a jamais été soumise au peuple.
Par contre, le Québec, après 400 ans, est devenu, au sens sociologique du terme -- ce qu'accepte M. Dion --, une nation qui, depuis la Révolution tranquille, a décidé de se prendre en main et d'être maître chez elle. La souveraineté du Québec n'est que l'aboutissement de la Révolution tranquille et de la lente évolution du Québec depuis 1608.
Les «raisons» de cette souveraineté sont nombreuses et impératives. À l'heure actuelle, le Québec n'est pas libre de ses choix : il ne peut pas s'organiser comme il l'entend et de larges secteurs de responsabilité lui échappent. Il ne peut pas changer la forme monarchique et parlementaire de son gouvernement. Il ne peut pas procéder à une véritable décentralisation des pouvoirs envers ses régions. Il n'a pas autorité sur la nomination des juges des cours supérieures ni sur le droit criminel, les banques et la monnaie, le transport aérien, maritime et ferroviaire, les pêches, la défense et la sécurité nationale. Ni sur les autochtones, le mariage et le divorce, l'assurance-chômage, les télécommunications, les brevets et les droits d'auteur. Son autorité en matière d'agriculture et d'immigration est subordonnée à celle d'Ottawa, tout comme c'est le cas en matière d'environnement ou de commerce. Et surtout, ses propres compétences ne sont pas à l'abri d'une intervention fédérale par l'utilisation soit de son pouvoir de légiférer pour des raisons d'urgence ou d'intérêt national, soit de son pouvoir illimité de dépenser même dans les domaines qui relèvent exclusivement des provinces, pouvoir qu'il ne se gêne pas d'employer de plus en plus fréquemment en profitant pleinement du déséquilibre fiscal qui l'avantage. D'autant plus que le Québec ne contrôle qu'environ la moitié de ses impôts et doit continuellement quémander pour avoir sa juste part du gâteau fédéral.
Enfin, et c'est de plus en plus pénalisant, le Québec est quasi absent de la scène internationale, où il ne peut presque jamais parler en son nom. Non seulement cela l'empêche de défendre directement ses intérêts, cela le coupe aussi de sa responsabilité à l'égard de l'humanité. Le Québec souverain pourrait, à plusieurs égards, être un modèle pour le monde, un modèle différent de celui du Canada. Je n'en donne qu'un exemple que devrait bien comprendre M. Dion : l'accord de Kyoto. Un Québec indépendant aurait pris ses propres engagements et serait pleinement en mesure de les rencontrer, ce qui aurait évité aux Québécois, en tant que citoyens du Canada, d'être dans la position inconfortable de ne pas remplir leurs engagements envers le reste du monde en raison de circonstances environnementales canadiennes qui n'ont rien à voir avec la réalité québécoise. Au lieu d'être un modèle, nous sommes une déception.
Le Québec n'a peut-être pas de bonnes raisons de briser le Canada, mais il a de fort bonnes raisons de vouloir devenir un pays.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé