Nous arrivons à la mi-temps de la campagne électorale et un premier constat s'impose. Alors que tous les ingrédients étaient là pour nous laisser croire à une course qui serait marquée au coin des préoccupations intérieures, force est de constater que le peu de passions dont nous avons été témoins a davantage été dû aux questions internationales.
Il est vrai qu'un certain nombre d'élections fédérales au Canada ont porté sur des thèmes internationaux, en économie (réciprocité et libre-échange en 1911 et 1988), ou en sécurité (défense et rôle militaire du Canada en 1911, 1917, 1940 et 1963). Cette année toutefois, l'électorat avait tout pour s'intéresser à la saine gestion des finances publiques, aux moyens acceptables pour conserver l'intérêt du Québec envers le Canada, à l'ouverture aux soins de santé offerts par le secteur privé ou à la répartition des surplus budgétaires fédéraux et au déséquilibre fiscal.
Pourtant, ces sujets laissent la population apathique. Par contre, les relations canado-américaines, la place du Québec à l'international et la souveraineté du Canada arctique ont suscité leur part d'attention. Comment expliquer ce paradoxe ?
Le Canada dans le monde
Il serait utopique de chercher réponse dans la place que le Canada occupe dans le monde. Puissance moyenne, le Canada est plutôt en déclin à la suite des 10 années de négligence impardonnable, fruit de l'incurie en matières internationales du gouvernement Chrétien. Ce glissement progressif s'est effectué sans qu'il n'y ait trop de protestation, si ce n'est celle des spécialistes qui diagnostiquaient l'affaiblissement progressif et sonnaient l'alarme quant aux conséquences que cela pouvait apporter. Encore aujourd'hui, peu de personnes s'en émeuvent. Ce n'est donc pas de ce côté que se trouve l'explication.
Une piste qui pourrait davantage nous amener vers une réponse, débute avec l'énoncé de politique internationale du Canada publié en avril 2005. Les gouvernements Chrétien et Martin ont longtemps tergiversé avant de rendre publique une nouvelle politique étrangère qui ne justifie même pas l'intérêt de l'électeur. Éclipsé le jour même de sa publication par l'élection d'un nouveau Souverain Pontife, mis en veilleuse pendant la campagne par un ministre, Pierre Pettigrew, qui ne peut se laisser distraire des efforts à consacrer à sa propre réélection, l'énoncé a été sévèrement jugé. Kim Nossal, de l'Université Queen's, résume bien ce qu'il en est : "Ces idéaux ne sont rien de plus que de belles paroles rassurantes pondues par des rédacteurs de discours expérimentés à l'intention d'un homme politique (Martin) qui semble constamment à l'affût de flatteries et de congratulations lui étant destinées." Malgré l'importance de redéfinir la place du Canada dans un monde bouleversé, ce n'est pas à partir de ce document qu'on trouvera de quoi faire campagne.
En fait, de tout temps, ce qui a fait vibrer l'électorat, c'est lorsque l'on tente de déterminer la nature de la contribution canadienne au monde. Ce fut le cas par rapport à l'Angleterre (1911, 1917, 1940) ou aux États-Unis (1911, 1963, 1988). Ça l'est encore aujourd'hui.
Les États-Unis
La relation canado-américaine fascine toujours. Face au voisin géant, comment se situer ? À cet égard, l'élément le plus frappant de la campagne a assurément été l'algarade diplomatique survenue entre Paul Martin et l'ambassadeur Wilkins. Sans doute divertissant pour la galerie, assurément profitable pour Paul Martin au point de vue des intentions de vote, l'incident a toutefois de quoi inquiéter.
Tout d'abord, il marque un tournant important dans l'attitude du premier ministre qui avait voulu se démarquer de son prédécesseur en plaçant les États-Unis au coeur de ses préoccupations internationales. Il a établi un secrétariat des relations canado-américaines au sein du Conseil privé, il a instauré un comité du Cabinet chargé de ces questions et l'énoncé d'avril clame haut et fort la nord-américanité du Canada. Malgré ces initiatives, la campagne électorale laisse présager le retour d'une distance malsaine entre Ottawa et Washington.
Cette distance se traduit aussi par le fait que c'est justement l'ambassadeur américain qui interpelle le premier ministre, publiquement et plus d'une fois, de surcroît. Il se peut que le président Bush n'ait pas apprécié la salve que lui a offerte Martin. Si la relation entre les deux capitales et les deux hommes était à la mesure de l'importance que revêt objectivement la relation canado-américaine, un simple coup de fil de la Maison-Blanche au 24 Sussex aurait suffi pour mettre les pendules à l'heure. Le dernier exemple où un président américain a pris de tels détours pour éviter de parler directement au premier ministre canadien, remonte aux jours de la relation orageuse entre Kennedy et Diefenbaker.
De son côté, Stephen Harper a aussi pris certaines distances, mais vis-à-vis des ambitions extraterritoriales des États-Unis. Sa sortie de jeudi concernant l'importance de préserver la souveraineté canadienne dans l'Arctique s'inscrit dans la lignée de la politique étrangère conservatrice de Clark et Mulroney. Même s'il s'agit d'une prise de position franchement dissociée des volontés à peine voilées de Washington, il s'y trouvera peu de personnes pour s'en étonner.
Le Québec
C'est aussi Stephen Harper qui a ouvert la porte à un rôle international pour le Québec, porte que Paul Martin s'est vite empressé de refermer, un comportement diamétralement opposé à celui qu'il avait affiché en mai 2004. Il n'est pas étonnant que le gouvernement Charest ait accueilli favorablement la position du chef conservateur, puisque les propos qu'il a tenus concordent avec les demandes effectuées par les ministres Gagnon-Tremblay et Pelletier.
Certains pourraient accuser Harper d'avoir concocté un message strictement à l'usage du Québec. Or, tel n'est pas le cas : Harper y est allé, jeudi, d'un éditorial d'opinion dans le Globe & Mail, l'autoproclamé "journal national" du Canada anglophone, dans lequel il réitère et explicite la position avancée lundi. Il y mentionne même que la place du Québec à l'UNESCO devrait être semblable à celle occupée au sein de la Francophonie, ce qui va en fait au-delà des revendications actuelles du Québec.
Ce dossier interpelle autant les gens au Québec que ceux du Canada hors Québec, parce que c'est justement la nature de la contribution canadienne dont il est question : doit-elle être unitaire ou être plurielle, à l'image de la fédération ?
Bilan et perspective
Le spécialiste des relations internationales s'est-il fait un cadeau à la veille de Noël en traitant de son sujet de prédilection ? La question m'a traversé l'esprit ! Toutefois, il demeure qu'objectivement, les questions internationales ont suscité plus d'intérêt que toute autre depuis la fin de novembre. Il restera à voir si, dans les bunkers électoraux, les stratèges y trouveront un filon à exploiter pour attirer vers eux un électorat par ailleurs blasé. Une fois la tourtière et le plum pudding digérés, nous verrons ce qu'ils nous réservent.
Les questions internationales ont suscité beaucoup d'attention
Michaud, Nelson - Professeur agrégé, École nationale d'administration publique
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