La mode est aux questions qui tuent. Mais comme je suis quelqu’un sur qui les modes ont peu de prise et que je n’ai envie de tuer personne, je me conterai de poser des questions embarrassantes. Comme dans « être dans l’embarras »…
Car c’est bien d’embarras qu’ils s’agit quand vient le temps d’expliquer comment il se fait que personne n’ait vu, au moment de son dépôt il y aura bientôt deux ans, le vice fondamental (voir [L’odieuse machination des accommodements raisonnables..->27163].) du Rapport Bouchard-Taylor qui en rendait les conclusions irrecevables.
Si l’on peut comprendre que le simple citoyen, aux prises avec les contraintes de la vie quotidienne n’y ait vu que du feu, il est beaucoup plus surprenant de constater que les analystes professionnels de ce genre de dossiers (officines politiques, leaders d’opinion, universitaires, lobbys, médias, etc.) ne l’aient pas décelé.
Soyons clairs : je ne cherche pas à accabler qui que ce soit, à tirer vanité de ma perspicacité (en fait, je m’en veux de ne pas l’avoir vu plus tôt), ou encore à raviver la polémique pour en tirer un parti personnel.
Non, je cherche tout simplement à comprendre pourquoi le réflexe d’une saine critique n’a pas joué. Sommes-nous dépassés par le phénomène, superficiels dans nos analyses, intellectuellement paresseux, en pleine léthargie politique, indifférents à notre avenir, résignés à notre sort, intimidés par l’autorité, réfractaires à la contestation, inhibés par le politiquement correct, ou tout simplement mal armés pour la critique ?
Le simple fait d’établir le champ des possibles nous permet déjà de réaliser qu’il vaut en fait pour tous les Québécois, et qu’il peut s’en trouver plus d’un chez une même personne, même si l’éventail est probablement plus restreint chez les personnes du groupe que nous avons identifié.
Sans nous lancer dans une analyse détaillée de toutes les variantes de réponses possibles, je soupçonne pour ma part que les facteurs les plus susceptibles d’avoir joué dans leur cas sont la léthargie politique, la crainte de se monter politiquement incorrect, et l’insuffisance de leur préparation à la critique.
Pour ce qui est de la léthargie politique, nous en sommes tous atteints. Ce projet d’indépendance que même ceux qui y sont opposés sont déçus de voir qu’il n’a pas été réalisé a monopolisé les espoirs et les esprits d’une génération. Nos défaites successives ont usé les ressorts de notre âme et nous ont amené à développer un mélange de cynisme et de fatalisme qui nous confine dans l’ornière. Personne n’ose plus voir au-delà, de peur de voir encore le rêve se dissoudre dans l’illusion.
Par ailleurs, la rectitude politique a fait des ravages au profit d’une pensée unique qui écrase du poids de sa censure tout ce qui cherche à percer sous ses diktats neutralisants et réducteurs. Résultat, on n’ose plus penser, appeler les choses par leur nom, ni surtout prendre le risque de se faire qualifier de raciste ou de xénophobe pour avoir tout simplement rappelé que l’identité, ça existe, et qu’on peut parfaitement exiger le respect de la sienne chez soi sans faire preuve pour autant d’étroitesse d’esprit et d’intolérance. Dans une population qui manque de confiance dans la légitimité de ses ambitions nationales, cette crainte est particulièrement inhibante, au point de favoriser l’auto-censure.
Reste la question de notre capacité critique. C’est sans doute le sujet le plus délicat car il peut sembler être celui qui met le plus en cause les connaissances et les compétences personnelles de chacun. Pourtant, quand on y pense, il fallait bien s’attendre à ce qu’un jour ou l’autre l’insuffisance de la formation dispensée en philosophie et en histoire finisse par se manifester.
Pour que le « Je me souviens » ait un sens, il faut non seulement qu’il ait un contenu, il faut aussi que ce contenu soit connu et intégré. Dans une démarche de recherche, tout a priori doit avoir été validé avant d’être accepté. Une recherche sans cadre analytique rigoureux débouche sur n’importe quoi. Une Constitution ou un texte de loi dépouillé de son contexte historique est incompréhensible. L’application d’une règle de droit sans souci de sa pertinence mène tout droit à l’injustice.
Les analystes professionnels n’ont pas vu que la Commission Bouchard-Taylor faisait l’impasse sur l’histoire, qu’elle ne s’était pas préoccupée de tester la solidité juridique du principe des accommodements raisonnables en ce qu’il pouvait s’appliquer à une situation aussi complexe que celle des droits d’une minorité au sein d’une majorité en quête d’affirmation, qu’elle avait choisi de se limiter à la seule dimension sociologique de la problématique de l’intégration des immigrants, qu’elle n’avait pas vu que le défaut de pertinence de la règle de droit dans le contexte québécois débouchait sur une injustice en permettant l’expression de l’identité des revendicateurs des accommodements au détriment de l’expression de celle de leur société d’accueil.
L’exposé de cette problématique ne constitue pas qu’un jeu d’intellectuel. Chacun de ses éléments a un rapport avec notre vécu, notre présent et notre avenir. Et en ce qui concerne plus particulièrement ce dernier, il faut comprendre que nos chances de mener à terme notre projet national vont être directement fonction de notre capacité à y remédier ou à pallier les manques identifiés.
Gros chantier d’éducation populaire à l’horizon
L’odieuse machination des accommodements raisonnables...
Les questions embarrassantes
Pourquoi le réflexe d’une saine critique n’a-t-il pas joué ?
Chronique de Richard Le Hir
Richard Le Hir673 articles
Avocat et conseiller en gestion, ministre délégué à la Restructuration dans le cabinet Parizeau (1994-95)
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6 commentaires
@ Richard Le Hir Répondre
24 avril 2010Réponse @anonyme
Je suis tout à fait conscient que certaines critiques avaient été formulées contre le rapport de la Commission Bouchard-Taylor au moment de sa parution. Cependant aucune d'entre elles ne portait sur l'importance de vérifier la solidité des assises juridiques de la notion d'accommodement raisonnable, de prendre en compte le contexte historique, ou les conséquences de ne pas le faire sur la validité de la démarche de la Commission.
Toutes ces critiques s'inscrivaient dans le cadre sociologique privilégié par la Commission dans sa démarche, et ne constituaient dès lors que l'expression d'opinions dissidentes qui n'avaient pas pour effet de démontrer l'insuffisance de se limiter à la seule dimension sociologique pour aborder une telle problématique.
Archives de Vigile Répondre
23 avril 2010Monsieur Le Hir,
Bien que vous n'ayez pas vu passer ces analyses, plusieurs ont été publiées au moment de la Commission BT et après la publication du rapport du même nom.
Je vous suggère de consulter le site www.sisyphe.org, dans lequel apparaissent de nombreuses critiques du rapport Bouchard Taylor.
En outre, un chapitre de l'essai Démocratie et égalité des sexes est consacré à démontrer l'échec de la Commission eu égard au mandat qui lui avait été confié.
Le rassemblement pour la laïcité qui aura lieu à la Grande Bibliothèque le 28 avril prochain a comme objectif de mettre en relief une analyse qui s'oppose au concept de la laïcité ouverte défendue âprement par la Commission Bouchard-Taylor. Guy Rocher, Djemila Benhabib, 2Fik et Me Julie Latour exposeront leur point de vue sur l'ensemble de ces questions.
L'entrée est libre.
http://laicitequebec.wordpress.com/
Élie Presseault Répondre
21 avril 2010Bonjour M. Le Hir,
J'avais l'intention de pondre une analyse critique sur les enjeux que vous soulevez quant au sort réservé à la notion des accommodements raisonnables. Pour ma part, que nous prenons cette dénomination ou une autre, il est important de s'adresser à l'enjeu en présence.
Je ne peux tout simplement pas dire que c'est un piège et du coup, rien proposer comme alternative. Il est important d'envisager les éventualités d'un projet de rechange de manière à répondre de façon utile aux préoccupations citoyennes évoquées.
D'ailleurs, Marco Micone pour en appeler un, appelait au retrait de l'expression "accommodements raisonnables" pour en prendre une autre plus politiquement correcte. Pour ma part, je garde l'esprit ouvert. M. Le Hir. Que proposez-vous?
Archives de Vigile Répondre
21 avril 2010L'ornière pour moi constitue notre québécitude plurielle, et en sortir signifie donc rejeter cette dernière pour recouvrer notre identité canadienne-française. Car cela fait, il nous serait enfin possible de reprendre le cours de notre émancipation politique interrompu par la mort subite de Daniel Johnson père, et rechercher comme lui à faire du Québec l'État national des Canadiens-Français. Voilà ce que j'entendrais par s'y prendre autrement.
RCdB
@ Richard Le Hir Répondre
21 avril 2010Réponse @ Robert CdeB
Naïf ? Peut-être. Ce ne serait pas la première fois.
Mais cynique ? Non.
Votre réaction se trouve à confirmer ce que je dis :
«Nos défaites successives ont usé les ressorts de notre âme et nous ont amené à développer un mélange de cynisme et de fatalisme qui nous confine dans l’ornière. Personne n’ose plus voir au-delà, de peur de voir encore le rêve se dissoudre dans l’illusion.»
L'espoir demeure permis. Il faut s'y prendre autrement. Nous y reviendrons bientôt.
Archives de Vigile Répondre
21 avril 2010Encore se faire rééduquer? Très peu pour moi. Ça fait plus de 40 ans qu’on le fait, qu’on nous conditionne à rejeter notre identité culturelle et historique, qu’on nous conditionne à devenir Québécois avec l’Autre, grâce aux autres… Faudrait tout de même savoir ce que l’on veut à la fin. L’identité québécoise est depuis toujours plurielle, multiculturelle, et elle l’est chaque jour davantage. Pourquoi il n’y a pas eu de saine critique? Grands dieux! Arrivez en ville Monsieur Le Hir, le pluralisme, c’est ce que promeut le PQ depuis sa fondation, c’est ce que désirent les Libéraux depuis le XIXe siècle d'abord sous couvert canadien puis maintenant sous couvert québécois, en conséquence, c’est ce que défend tout ce qui nous tient lieu d’élite aujourd’hui. Personne parmi les puissants n’a d’intérêt à le remettre sérieusement en question, cela par conviction, mais surtout parce que cela nous a rendus particulièrement vulnérables, en fait, parce que cela nous a politiquement neutralisés.
RCdB