Le contenu de cette charte et les apparences mur à mur de la neutralité de l’État cacheront une réalité tout autre, une discrimination évidente affirme Charles Taylor.
Par contre Maître André Sirois affirme qu'il est utile d'examiner la situation existant à la Commission internationale des droits de l'homme et à l'ONU à Genève, et dans les divers organes du système des Nations unies dans son ensemble. Nous aurions appris que jamais au grand jamais, on ne voit les très nombreux fonctionnaires, représentants et délégués musulmans au Palais des Nations ou au Palais Wilson se laver les pieds dans les lavabos des toilettes ou laisser traîner des tapis de prière dans l'immeuble. Pas de revendication de lieu de prière non plus. (...)
À partir de l'état du débat québécois sur la charte des valeurs, JosPublic se demande ce qui se passe au Québec pour qu'Adil Charkaoui commence à faire des discours perché sur le toit d'une auto? Les deux textes ci-dessous éclairent davantage le débat.Texte par Charles Taylor, Professeur émérite de philosophie à l’Université McGill ( 01 )
La nouvelle Charte des valeurs proposée par le gouvernement contient une contradiction troublante.
On nous répète sans cesse que la neutralité de l’État n’est pas une abstraction, qu’elle doit s’incarner, et on soutient qu’elle doit s’incarner dans les apparences.
Les employés du secteur public ne doivent porter aucun signe « ostentatoire » qui permettrait d’identifier leur appartenance religieuse.
Mais il y a une autre forme possible
d’« incarnation » de la neutralité, celle-ci dans les actes. Je crois que l’on peut convenir qu’un État vraiment neutre entre toutes les options religieuses, non religieuses, et même anti-religieuses, ne devrait jamais favoriser certaines options par rapport à d’autres. Il ne devrait pas leur faire subir un traitement différentiel.
Or le paradoxe de la Charte, avec son interdit de tout signe trop visible dans le secteur public, est qu’en sauvant les apparences de la neutralité, elle la viole dans les faits.
Il y a certaines religions que l’on peut pratiquer discrètement, sans se faire remarquer. Comme catholique, je peux assister à la messe, prier chez moi, ou même en mon for intérieur. Il y en a d’autres où la pratique exige une visibilité incontournable - certains sikhs, les juifs orthodoxes et des musulmanes, par exemple.
Pour les « sans-religion » et les tenants d’une religion « discrète », la Charte ne pose pas problème. Elle réserve toutefois un autre sort aux « indiscrets ». Les premiers pourront postuler sans problème des emplois dans le secteur public. Les autres, par contre, seront mis devant un choix déchirant : ou bien ils renoncent à pratiquer leur religion, ou bien ils seront à jamais exclus des secteurs public et parapublic. Cacher leur religion équivaut en partie, pour eux, à la renier et, partant, à renier leur identité.
Les apparences mur à mur de la neutralité de l’État cacheront une réalité tout autre, une discrimination évidente. L’étiquette sur la bouteille nous trompera sur son contenu.
Devrait-on s’étonner que les victimes de ce jeu de trompe-l’oeil se sentent trahies par une société québécoise qui ne cesse de leur promettre l’égalité?Texte par Maître André Sirois, vice-Président du Barreau des organisations gouvernementales internationales ( 02 )
M. Charles Taylor nous apprend dans Le Devoir du 28 septembre 2013 qu’il y aurait «des religions que l’on peut pratiquer discrètement» et d’autres «où la pratique exige une visibilité incontournable».
D’où tient-il cela? Il ne nous le dit pas. On peut constater cependant que dans les trois exemples qu’il donne : «sikhs, juifs orthodoxes et musulmanes», ce ne sont pas les religions elles-mêmes qui demandent des signes extérieurs de la foi mais leurs franges intégristes.
Devrait-on réduire ces religions à leurs caricatures intégristes?
Ce fait est facilement confirmé par une observation pratique: J’ai passé les 20 dernières années de ma carrière à l’ONU. J’ai aussi travaillé dans plusieurs autres organisations internationales.
Dans tous ces cas, j’étais entouré de nombreux collègues juifs, musulmans et sikhs, entre autres.
Je n’ai pratiquement jamais vu de signes vestimentaires religieux, ni turban, ni kippa, ni voile --surtout pas de voile--, ni chez les fonctionnaires de l’ONU ni chez les délégués ou visiteurs des différents pays.
Or, fait frappant, quand je viens à Montréal, je vois plus de femmes voilées en une journée que je n’en ai vues en 20 ans à l’ONU, à New York ou à Genève, à l’ONU ou en ville.
Comment se fait-il que l’on voit autant de femmes voilées à Montréal et que l’on n’en voit pratiquement jamais dans ces villes cosmopolites ou dans les bureaux et les missions de l’ONU? N’y aurait-il là que des mécréants et des impies?
Par ailleurs, de passage à Toronto je n’ai pas vu là non plus autant de femmes voilées qu’à Montréal, et de beaucoup. N’y a-t-il pas lieu de s’interroger sur les causes de cette frénésie de manifestations d’intégrisme au Québec. N’est-ce pas justement parce qu’on nous sait accueillants, généreux et conciliants?
M. Taylor ne devrait-il pas cesser d’accuser et de condamner les Québécois dont les ancêtres ont fait ce pays et qui accueillent très généreusement ces immigrants chez eux?
Contrairement à ce que l'on colporte à tort et à travers depuis que nous n'enseignons plus l'histoire, nous ne sommes pas «tous des immigrants».
Les Français qui sont arrivés à Tadoussac et à Québec ont établi de bonnes relations avec les Indiens, ont pris des ententes avec eux et s’y sont installés à leur invitation pressante. Par conséquent, nous descendons de «colons» et non pas «d'immigrants». Ce n'est pas la même chose.
Nous avons fait ce pays où nous avons ensuite accueilli des immigrants. Ceux-ci arrivent dans un pays déjà durement défriché, construit et établi et peuvent y bénéficier de ce patrimoine qui est le nôtre.
Dans le présent débat certains prétendent parfois s’inquiéter de ce que les étrangers vont penser de nous.
De ma longue expérience à l’étranger et avec des étrangers, je crois pouvoir fournir trois petites réponses:
a) ils ne pensent pas tellement à nous;
b) si on leur pose la question à savoir s’il est normal d’affirmer son identité et de protéger ses valeurs, cela leur semble parfaitement légitime et indiscutable;
c) et si on insiste pour savoir ce qu’ils pensent de nous, leur opinion se résume à un seul mot «naïfs».
En 20 ans à l’ONU et dans les organisations internationales, je n’ai pratiquement entendu qu’un seul commentaire au sujet des Canadiens et des Québécois, un qualificatif répété à satiété: «naïfs» auquel on ajoute parfois «et généreux», le message implicite et consensuel étant que les étrangers peuvent facilement les rouler et profiter d'eux en faisant appel à leurs bons sentiments.
Je ne peux m'empêcher de me dire que c'est bien vrai et confirmé ici chaque jour. D’où la nécessité d’intervenir pour remédier aux dérapages et aux abus actuels.
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