Les non-dits de Sarkozy sur la Palestine et Israël

Actualités internationales - Palestine à l'ONU


Tenu devant l’Assemblée générale de l’ONU, le discours de Nicolas Sarkozy du 21 septembre sur la Palestine se veut constructif, plus ouvert que celui du président Obama, plus équilibré. En réalité, malgré tout ce qu’on peut en lire, il confirme l’ambiguïté de la politique française, pour ne pas dire son alignement sur Israël.
Analyse rapide (mes commentaires sont en gras)

Monsieur le Secrétaire général,
Lorsque nous nous sommes retrouvés, ici même en septembre de l’année dernière, lequel d’entre nous pouvait imaginer qu’en un an à peine, le monde, déjà bouleversé par une crise économique sans précédent, allait à ce point changer ?
En quelques mois, les « printemps arabes » ont fait se lever une immense espérance.
Depuis trop longtemps des peuples arabes soumis à l’oppression ont pu relever la tête [sic] et ont réclamé le droit d’être enfin libres. Avec leurs mains nues, ils se sont opposés à la violence et à la brutalité.
A ceux qui proclamaient que le monde arabo-musulman était par nature hostile à la démocratie et aux droits de l’Homme, les jeunes arabes ont apporté le plus beau démenti.
Mesdames et Messieurs, mes chers collègues, nous n’avons pas le droit de décevoir l’espérance des peuples arabes.
Nous n’avons pas le droit de briser leur rêve.
Car si l’espérance de ces peuples était brisée, cela donnerait raison aux fanatiques qui n’ont pas renoncé à dresser l’Islam contre l’Occident en attisant partout la haine et la violence.
C’est un appel à la justice qui a ébranlé le monde, et le monde ne peut pas répondre à cet appel à la justice par la perpétuation d’une injustice.
Ce miraculeux printemps des peuples arabes nous impose une obligation morale, une obligation politique de résoudre enfin le conflit du Moyen-Orient.
Nous ne pouvons plus attendre !
La méthode utilisée jusqu’à présent, je pèse mes mots, a échoué. Il faut donc changer de méthode [est-ce vraiment une simple question de méthode ?] !
Il faut arrêter de croire qu’un seul pays, fut-il le plus grand, ou qu’un petit groupe de pays peuvent résoudre un problème d’une telle complexité. Trop d’acteurs majeurs sont laissés de côté pour pouvoir aboutir [c’est une pierre dans le jardin des Etats-Unis, mais il ne dit pas en quoi le fait d’associer d’autres acteurs facilitera la résolution du problème].
Je voudrais dire que personne ne peut imaginer que le processus de paix ne puisse se passer de l’Europe, que personne ne peut imaginer que le processus de paix puisse se passer de tous les membres permanents du Conseil de Sécurité, que personne ne peut imaginer que l’on puisse se passer des États arabes qui ont déjà fait le choix de la paix.
Une approche collective est devenue indispensable pour créer la confiance et apporter des garanties à chacune des parties [encore une fois, il ne dit pas en quoi la participation de l’Union européenne ou du Brésil changera la donne ; la conférence d’Annapolis de 2007 avait vu une large participation internationale, sans aucun résultat].
Alors bien sûr, la paix sera faite par les Israéliens et par les Palestiniens.
Par personne d’autre.
Et nul ne peut prétendre la leur imposer [en gros, Israéliens et Palestiniens négocient d’égal à égal, comme si un occupant pouvait être mis sur le même plan qu’un occupé].
Mais nous devons les aider.
La méthode ne fonctionne plus.
Reconnaissons ensemble que fixer des préalables à la négociation, c’était se condamner à l’échec [une critique des déclarations d’Obama qui avait proposé le gel de la colonisation comme préalable ; négocions donc comme on le fait depuis 20 ans, tout en laissant les colonies prospérer].
Les préalables, c’est le contraire de la négociation. Si l’on veut entrer dans la négociation, qui est le seul chemin possible pour la paix, il ne faut pas de préalables [sur quelles bases négocie-t-on ? il faut négocier sur la base des résolutions de l’ONU, du droit international].
Changeons de méthode !
Tous les éléments d’une solution sont connus : la Conférence de Madrid de 1991, le discours du président Obama du 19 mai dernier, la feuille de route, l’initiative arabe de la paix et les paramètres agréés par l’Union européenne. Alors cessons de débattre à l’infini des paramètres et que les négociations commencent [c’est un raisonnement absurde qui cache l’essentiel : le gouvernement israélien n’est pas du tout prêt à accepter ces éléments de solution]. Adoptons un calendrier précis et ambitieux.
60 ans sans que cela avance d’un centimètre. Est-ce que cela ne nous impose pas de changer de méthode et de calendrier ?
— Un mois pour reprendre les discussions ;
_ — Six mois pour se mettre d’accord sur les frontières et sur la sécurité ;
_ — Un an pour parvenir à un accord définitif.
(En quoi l’adoption d’un calendrier change quelque chose ? Que ce passe-t-il si ce calendrier n’est pas respecté ? Le gouvernement français prendra-t-il des sanctions contre les responsables de l’échec qui sont déjà connus ?)
Et la France propose d’accueillir, dès cet automne, une Conférence des donateurs afin que les Palestiniens puissent parachever la construction de leur futur État. La France veut vous dire qu’il ne faut pas chercher d’emblée la solution parfaite, parce que de solution parfaite, il n’y en a pas !
Choisissons la voie du compromis, qui n’est pas un renoncement, qui n’est pas un reniement, mais qui permettra d’avancer, étape par étape [Quel compromis ? L’acceptation par la direction palestinienne de 22 % de la Palestine historique n’est-elle pas un compromis suffisant ?].
Voilà donc 60 ans que les Palestiniens attendent leur État. Est-ce qu’il n’est pas venu le moment de leur donner de l’espérance ?
_ Voilà 60 ans qu’Israël souffre de ne pas pouvoir vivre en paix.
_ Voici 60 ans que la question de la coexistence pacifique des deux peuples palestinien et israélien demeure lancinante.
Nous ne pouvons plus attendre pour prendre le chemin de la paix !
Mettons-nous à la place des Palestiniens.
_ N’est-il pas légitime qu’ils réclament leur Etat ?
_ Bien sûr que si ! Et qui ne voit que la création d’un Etat palestinien démocratique, viable et pacifique serait, pour Israël, la meilleure garantie de sa sécurité ?
Mettons-nous à la place des Israéliens.
_ N’est-il pas légitime qu’après 60 ans de guerres et d’attentats, ils demandent des garanties pour cette paix si longtemps attendue ?

Bien sûr que si ! Et je le dis avec force : si quiconque à travers le monde menaçait l’existence d’Israël, la France serait immédiatement et totalement aux côtés d’Israël. Les menaces à l’endroit d’un Etat membre des Nations Unies sont inacceptables et ne seront pas acceptées [Mais qui menace sérieusement la sécurité d’Israël ? Et comment définit-on la sécurité ? Pour l’establishment israélien, la sécurité d’un Israélien vaut la vie de dix Palestiniens].
Nous sommes aujourd’hui devant un choix très difficile. Chacun sait bien – et arrêtons avec les hypocrisies ou la diplomatie d’un jour – chacun sait bien qu’une reconnaissance pleine et entière du statut d’Etat membre de l’ONU ne peut être obtenue dans l’immédiat. La raison première en est le manque de confiance entre les principaux acteurs [entre l’occupant et l’occupé, peut-il y avoir une confiance réelle ?]. Mais disons-nous la vérité : qui peut douter qu’un veto au Conseil de sécurité n’engendrera pas un cycle de violence au Proche-Orient ? Qui peut en douter ?
Faut-il pour autant exclure une étape intermédiaire ? Pourquoi ne pas envisager pour la Palestine le statut d’Etat observateur aux Nations Unies ? _ Ce serait un pas important, nous sortirions après 60 ans de l’immobilisme, l’immobilisme qui fait le lit des extrémistes. Nous redonnerions un espoir aux Palestiniens en marquant des progrès vers le statut final.
Pour marquer leur engagement déterminé en faveur d’une paix négociée, les dirigeants palestiniens devraient, dans le cadre de cette démarche, réaffirmer le droit à l’existence et à la sécurité d’Israël. Ils devraient s’engager à ne pas utiliser ce nouveau statut pour recourir à des actions incompatibles avec la poursuite des négociations [Ainsi, les Palestiniens renonceraient à la seule carte que leur donnerait le statut de membre observateur, la possibilité d’aller devant la Cour pénale internationale (CPI), et de poursuivre des individus pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité ; rappelons que les statuts de la CPI disent explicitement qu’installer des colons dans un territoire occupé est un crime de guerre].
Mes chers collègues, nous n’avons qu’une alternative : l’immobilisme et le blocage ou une solution intermédiaire qui permettrait de donner de l’espoir aux Palestiniens, avec un statut d’Etat observateur. Parallèlement, une même retenue devrait être observée par Israël, qui devrait s’abstenir de gestes qui préjugent du statut final [et l’arrêt de la colonisation ne serait pas un préalable à la négociation ?].
L’objectif ultime c’est bien la reconnaissance mutuelle de deux Etats nations pour deux peuples [il serait intéressant de nous préciser lesquels ? Cela pose le problème de l’Etat juif ; mais si Israël est l’Etat du « peuple juif », les juifs français membres de ce peuple, sont une minorité nationale ?], établis sur la base des lignes de 1967 avec des échanges de territoires agréés et équivalents.
Que cette Assemblée générale, qui en a le pouvoir, décide d’avancer, décide de sortir du piège mortel de la paralysie, décide de renvoyer les rendez-vous manqués et les relances sans lendemain !
_ Changeons de méthode !
_ Changeons d’état d’esprit !
Que chacun s’efforce de comprendre les raisons de l’autre, les souffrances de l’autre, les angoisses de l’autre.
Que chacun ouvre les yeux et soit prêt à faire des concessions.
Et en terminant, je veux le dire avec une profonde et sincère amitié pour le peuple palestinien, je veux dire aux Palestiniens : pensez aux mères israéliennes qui pleurent les membres de leur famille tués dans les attentats. Elles éprouvent la même douleur que les mères palestiniennes à qui l’on annonce la mort brutale d’un des leurs.
Je veux le dire avec une profonde et sincère amitié pour le peuple israélien : Ecoutez ce que criait la jeunesse des printemps arabes. Ils criaient : « Vive la liberté ! ». Ils ne criaient pas : « à bas Israël ». Vous ne pouvez pas rester immobiles alors que ce vent de liberté et de démocratie souffle dans votre région.
Je le dis avec une profonde et sincère amitié pour ces deux peuples qui ont tant souffert : le moment est venu de bâtir la paix pour les enfants de Palestine et pour les enfants d’Israël. Mais il serait trop accablant que l’Assemblée générale des Nations unies ne profite pas de l’opportunité du réveil des peuples arabes au service de la démocratie pour régler un problème qui fait le malheur de ces deux peuples qui, de toutes façons, sont condamnés à vivre à côté les uns des autres. Si nous prenons une solution de compromis, nous redonnerons de la confiance et nous redonnerons de l’espoir.
Je veux le dire avec gravité aux représentants de toutes les nations. Nous avons une responsabilité historique à assumer. C’est l’Assemblée générale des Nations unies qui porte ce rendez-vous avec l’Histoire.
Rassurons Israël et donnons un espoir au peuple palestinien. La solution est sur la table. Préférer la solution du compromis à celle du blocage, car le blocage satisfera peut-être tout le monde ici mais il créera des violences, des amertumes et des oppositions qui mettront en péril le réveil des peuples arabes. La France vous dit que la tragédie doit cesser pour une raison simple, c’est qu’elle n’a que trop duré.
Je vous remercie.

Quelques dernières remarques. Ce que Nicolas Sarkozy n’évoque pas du tout c’est ce qui se passera si les négociations n’aboutissent pas d’ici un an. Ce qu’il n’évoque pas, c’est que c’est le gouvernement d’extrême droite israélien qui est responsable du blocage. Ce dont il ne parle pas, c’est toutes les mesures soutenues par la France en faveur d’Israël (rehaussement des relations avec l’Union européenne, adhésion à l’OCDE, adhésion récente d’Israël au Centre d’études et de recherche nucléaire alors même que le programme nucléaire israélien est militaire, etc.). Qui peut croire que de telles mesures apparaîtront pour autre chose que ce qu’elles sont : un encouragement à la politique d’annexion d’Israël ?

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Alain Gresh29 articles

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Alain Gresh est directeur adjoint du Monde diplomatique. Spécialiste du Proche-Orient, il est notamment l’auteur de L’islam, la République et le monde (Fayard, Paris, 2004) et de Les 100 clés du Proche-Orient (avec Dominique Vidal, Hachette Pluriel, Paris, 2003). Il tient le blog Nouvelles d’Orient.





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