Alors que l’automne commence dans quelques jours, alors que la chute du régime de Ben Ali date d’environ huit mois, où en est « le réveil arabe » ? Une nouvelle fois, la question est posée par différents observateurs, mais aussi par des acteurs : les révolutions arabes sont-elles finies ?
La première remarque importante est que le mouvement ne s’est pas arrêté, malgré une terrible répression — en premier lieu en Syrie —, malgré les tentatives de retour en arrière et l’organisation au niveau régional (et international) d’une « contre-révolution ». Nous nous limiterons dans cet envoi aux trois pays dont le régime est tombé : Tunisie, Egypte et Libye, et reviendrons ultérieurement sur les autres (Syrie, Yémen, Bahreïn, etc.) ainsi que sur les dimensions régionales.
Le mouvement se poursuit là où les régimes ont chuté, d’abord en Tunisie et en Egypte. Dans ce premier pays (éclaireur de ces révolutions), les élections auront lieu le 23 octobre pour désigner une assemblée constituante. Plus de 50% des électeurs potentiels (dont 45% de femmes) se sont inscrits volontairement sur les listes électorales — mais le reste pourra voter sur présentation de sa carte d’identité. Ce résultat est d’autant plus remarquable, que l’Instance supérieur pour la préparation des élections (ISIE) avait décidé de se passer des services du ministère de l’intérieur. Les listes sont en préparation, et elles devront assurer, pour la première fois dans le monde, une parité totale. La campagne aura lieu entre le 1er et le 22 octobre, et toute publicité politique sera interdite à partir du 11 septembre.
La situation est encore loin d’être stabilisée. Des heurts avaient éclaté le 15 août lors d’une manifestation de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) contre le gouvernement (« Manifestations et heurts avec la police en Tunisie », lemonde.fr, 15 août) et de nombreuses émeutes ont eu lieu à différents moments, la dernière en date s’étant déroulée dans le sud (« Couvre-feu dans le sud de la Tunisie après des heurts entre jeunes », lemonde.fr, 2 septembre). Cette agitation s’explique à la fois par les difficultés économiques et sociales, alors même que le gouvernement peine à définir une politique cohérente ; et aussi par le poids de la guerre de Libye, avec l’accueil de centaines de milliers de réfugiés libyens et alors que bon nombre de travailleurs tunisiens ont quitté ce pays. Sans parler de la baisse du tourisme qui affecte un secteur vital. La stabilisation (possible ?) de la Libye, la reprise du tourisme depuis le mois d’août et surtout les discussions autour d’une vraie politique de développement et la prochaine mise en place d’un gouvernement légitime sont autant d’éléments d’espoir.
Deuxième pays concerné, le plus important par son nombre d’habitants, le plus stratégique aussi, l’Egypte. Beaucoup s’inquiètent, à juste titre, du rôle que continue à jouer le Conseil suprême des forces armées (CSFA), des arrestations de militants, de la poursuite de la torture. Toutefois, il faut mettre en valeur les avancées : le CSFA ne voulait pas arrêter, et encore moins juger, Hosni Moubarak et sa famille, mais il a été contraint de le faire ; après avoir dissous le Parti national démocratique (PND), il a aussi été contraint de mettre sous tutelle le syndicat unique et on a assisté à un développement important de syndicats indépendants et de mouvements sociaux (malgré l’interdiction des grèves que le CSFA n’arrive pas à faire appliquer). Petit à petit, dans les institutions – universités, hôpitaux, etc. – se mettent en place de nouvelles directions, souvent élues par les employés. Plusieurs entreprises privatisées dans des conditions douteuses sont dans le collimateur de la justice. Plus important, les mobilisations se poursuivent à tous les niveaux et rien n’indique qu’elles vont cesser demain.
Si le processus électoral a pris du retard, de nombreux partis ont été légalisés et ont commencé à s’organiser. On assiste à une fragmentation de la scène politique (pas seulement parmi les forces dites « laïques » mais aussi chez les islamistes) et il est difficile de savoir qui pourra l’emporter lors des élections qui devraient avoir lieu d’ici la fin de l’année.
Troisième cas, la Libye, le plus complet car la chute du régime doit beaucoup à l’intervention des forces de l’OTAN et l’on peut craindre une mise sous tutelle du pays. Pourtant, malgré l’influence incontestable qu’ont gagnée la France et les Etats-Unis dans cette opération, il est bien trop tôt pour annoncer une telle hégémonie occidentale. Pour plusieurs raisons :
- d’abord, le conflit n’est pas terminé et il reste à voir si la situation va se stabiliser ; quelle que soit l’issue, il faudra assurer les conditions de l’unité nationale ;
- ensuite, il n’est pas évident — c’est le moins qu’on puisse dire — que les dirigeants du Conseil national de transition (CNT) soient encore au pouvoir dans quelques mois ; les milices qui ont pris Tripoli et assuré la victoire — et qui se réclament de régions, de tribus et d’idéologies très différentes — demanderont leur dû ;
- même le CNT a été contraint de prendre certaines distances à l’égard de la soi-disant communauté internationale : en refusant toute présence de troupes occidentales ou même de l’ONU sur son sol ; en rejetant toute idée d’extradition de Ali Meghrabi (le seul à avoir été déclaré coupable dans l’attentat de Lockerbie et qui a été libéré pour raison de santé), annonçant que la nouvelle Libye n’extraderait pas ses citoyens (contrairement à Kadhafi).
Je reprendrai plus tard sur les autres pays, mais il faut insister sur l’incroyable hypocrisie des Etats-Unis et de la France en ce qui concerne la Libye :
- Paris a invité à la conférence sur la Libye du 1er septembre, non seulement le roi du Bahreïn, mais aussi salué le rôle de pays aussi peu démocratiques que le Qatar, la Jordanie, les Emirats arabes unis ;
- les documents découverts à Tripoli ont révélé la coopération entre la CIA, le MI5 et le MI6 britanniques et les services secrets de Kadhafi dans la torture de militants islamistes (« Secret files show UK, US ’ties’ to Kadhafi regime », AFP, 3 septembre).
Où en est « le réveil arabe » (I) ?
Le mouvement se poursuit là où les régimes ont chuté, d’abord en Tunisie et en Egypte.
Géopolitique — Proche-Orient
Alain Gresh29 articles
Alain Gresh est directeur adjoint du Monde diplomatique. Spécialiste du Proche-Orient, il est notamment l’auteur de L’islam, la République et le monde (Fayard, Paris, 2004) et de Les 100 clés du Proche-Orient (avec Dominique Vidal, Hachette Pluriel, Paris,...
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Alain Gresh est directeur adjoint du Monde diplomatique. Spécialiste du Proche-Orient, il est notamment l’auteur de L’islam, la République et le monde (Fayard, Paris, 2004) et de Les 100 clés du Proche-Orient (avec Dominique Vidal, Hachette Pluriel, Paris, 2003). Il tient le blog Nouvelles d’Orient.
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