Lors d’une réunion à Bruxelles le 18 juillet, Alain Juppé déclarait :
« Je pense en particulier que la mention d’un “Etat juif” peut poser problème ; que je sache, aujourd’hui en Israël, il y a des Juifs mais il y a aussi des Arabes. Par ailleurs, pour la France et pour beaucoup d’Européens, nous avons une vision laïque des Etats qui ne se réfère pas à l’appartenance à une religion. Voilà une des difficultés, mais il y en a d’autres. Je pense qu’il y a encore, d’après ce que nous a dit Cathy Ashton, une marge de négociation possible. Je ne suis pas extrêmement optimiste sur les capacités d’arriver à un résultat mais il faut saisir toutes les chances pour éviter une impasse à l’Assemblée générale au mois de septembre prochain. »
Cette déclaration déclencha une levée de boucliers des cercles pro-israéliens, notamment du CRIF, qui dans un communiqué, s’étonnait des propos du ministre.
Deux jours plus tard, :
« La France a une position très claire qui rejoint évidemment celle de l’Espagne et de l’ensemble de nos partenaires européens : c’est qu’il n’y aura pas de solution au conflit du Proche-Orient sans reconnaissance de deux Etats-nations pour deux peuples. L’Etat-nation d’Israël pour le peuple juif, l’Etat-nation de Palestine pour le peuple palestinien. Il n’y a pas à sortir de là. A partir de là, que fera-t-on au mois de septembre à l’Assemblée générale des Nations unies : cela dépendra d’abord de la résolution, du texte que l’on aura discuté. »
Cette déclaration a été saluée en Israël, comme le rapporte le 27 juillet le site JPost.com, « J’lem greets French edict on Israel as Jewish state ».
En fait, les nuances des propos du ministre semblent avoir échappé aux commentateurs israéliens : il ne reconnaît pas Israël comme Etat juif, mais comme Etat-nation du peuple juif, ce qui a l’avantage, de son point de vue, de ne pas avaliser une définition religieuse de l’Etat.
Pourtant, la définition de M. Juppé pose deux problèmes.
La France est l’Etat-nation du peuple français, car tout citoyen né sur son territoire (pour aller vite) en fait partie ; cette définition ne se réfère à aucune définition ethnique ou religieuse des Français. Mais que penserait M. Juppé si l’on définissait la Serbie comme l’Etat-nation des Serbes ? Que deviennent les minorités croate, hongroise ou autres présentes sur son territoire ? Et l’Union européenne ne critique-t-elle pas les dérives actuelles en Hongrie visant à faire de ce pays un Etat-nation des seuls Hongrois ? Définir Israël comme l’Etat-nation du peuple juif revient, comme M. Juppé lui-même le faisait remarquer le 18 juillet, à oublier la minorité palestinienne, environ 20% de la population.
Mais un autre problème se pose également, qui concerne les juifs français (ou européens, ou citoyens d’autres pays qu’Israël). M. Juppé considère-t-il qu’Israël est l’Etat-nation des juifs français ? Dans un texte que j’ai évoqué ici, des centaines de juifs français mettaient en garde contre une telle acception (« L’Etat juif contre les juifs ») qui reviendrait à jeter la suspicion sur leur loyauté. Si une telle définition était acceptée, comment pourrions-nous combattre ceux qui identifient Israël (Etat juif) et ses actions dans les territoires occupés à tous les juifs, y compris français ?
Plus généralement, le ministre semble sous-estimer la question de la définition du terme « juif ». Dans une tribune publiée le 29 juillet dans le New York Times (« Israel’s Identity Crisis »), Yonatan Touval, un analyste israélien, soulignait l’incapacité des Israéliens à donner une définition claire du caractère juif de leur Etat.
Il faut aussi rappeler un point souvent méconnu :
« Israël est la seule démocratie qui opère une distinction entre citoyenneté et nationalité : tous les titulaires de la citoyenneté (ezrahut) ont, en principe, des droits égaux, mais seuls certains, les Juifs, forment la nationalité (le’um). En 1970, Shlomo Agranat, président de la Cour suprême, a confirmé que l’on ne pouvait pas parler de “nationalité israélienne”, parce qu’il n’existait pas de nation israélienne séparée de la nation juive et qu’Israël n’était même pas l’Etat de ses citoyens juifs, mais celui des Juifs du monde. » (De quoi la Palestine est-elle le nom ?)
Une nuance qui avait échappé au prédécesseur de M. Juppé. Dans une tribune signée en commun dans Le Monde, Bernard Kouchner et Miguel Angel Moratinos (22 février 2010) écrivaient :
« Le temps est donc venu de donner des assurances aux parties sur le caractère irréversible du processus que l’Europe souhaite engager. Au peuple israélien, il faut l’assurance que sa sécurité et son identité juive seront garanties ; au peuple palestinien, il faut la certitude de recouvrer la dignité en gagnant le droit de vivre dans un Etat viable, démocratique et indépendant. » Jamais personne avant M. Kouchner n’avait évoqué l’existence d’un « peuple israélien ».
Une dernière remarque, au-delà du débat sémantique et politique. L’a priori de la position française (et de celle de l’Union européenne) est que les deux parties palestinienne et israélienne veulent la paix. Or, depuis des années, le gouvernement israélien a fait la preuve qu’il ne voulait pas d’une paix fondée sur les principes du droit international et qu’il invente, à chaque étape, une condition nouvelle pour conclure la paix. La reconnaissance d’Israël comme Etat juif n’est que la dernière en date.
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