Les fonds du Plan d’action sur le livre créé par Québec pour aider le réseau des librairies agréées à travers la province ont beaucoup profité au géant Renaud-Bray, révèlent des données de la SODEC. Une situation inattendue qui « scandalise » les acteurs du milieu des librairies indépendantes.
« Est-ce qu’une entreprise à maturité de l’ampleur de Renaud-Bray [RB] a vraiment besoin de l’aide de l’État ? demandait jeudi au Devoir Dominique Lemieux, directeur général de la coopérative des Librairies indépendantes du Québec (LIQ). Je ne crois pas. »
M. Lemieux est loin d’être le seul à s’étonner des chiffres contenus dans le rapport annuel de gestion 2016-2017 de la SODEC (Société de développement des entreprises culturelles) — un sujet qui occupe bien des conversations au Salon du livre de Montréal.
C’est que les librairies indépendantes du Québec ont touché l’an dernier quelque 572 000 $ dans le cadre du volet d’aide de la SODEC pour les librairies agréées. Ces sommes sont accordées en soutien à la promotion et à l’informatisation des librairies. Les coopératives en milieu scolaire — qui complètent le réseau des indépendants — ont touché 237 000 $.
Pendant la même période, les 46 succursales agréées du groupe Renaud-Bray et Archambault ont reçu près de 760 000 $. Le groupe a aussi obtenu deux subventions pour des « projets collectifs », d’une valeur de 405 000 $. Au total, c’est plus de 1,1 million que Renaud-Bray a reçu de la SODEC.
Or, c’est là une augmentation nette pour le groupe Renaud-Bray. Ces dernières années, RB ou Archambault ne s’étaient en effet jamais qualifiées pour les subventions à la promotion et à l’informatisation destinées aux librairies. Les rapports annuels de la SODEC montrent que les deux chaînes touchaient chaque année moins de 10 000 $ en soutien, toujours pour le transport de livres pour les succursales éloignées. Rien de plus.
« Il y a toujours eu des demandes, mais Renaud-Bray n’a jamais reçu [avant l’an dernier] d’autres subventions que celle pour le transport », confirme la porte-parole de l’entreprise, Denise Courteau. Celle-ci a autrement renvoyé nos questions vers la SODEC. « Nous ne commentons jamais une controverse sur la place publique. »
La SODEC révisera
Que s’est-il donc passé pour que Renaud-Bray obtienne subitement des sommes qui lui échappaient auparavant ? Dans une réponse écrite transmise jeudi soir au Devoir, la SODEC constate que « pour l’instant, les paramètres des programmes ne permettent pas de limiter l’accès aux subventions selon le type de librairies agréées, leur taille ou leur appartenance à un grand groupe commercial ».
La société promet des changements dans son programme d’ici un an pour tenir compte des « réalités des divers points de vente », notamment. Mais on n’explique pas précisément ce qui a changé entre 2015-2016 et 2016-2017 dans le traitement des demandes de Renaud-Bray. En coulisses, plusieurs intervenants évoquent un lobbyisme important de la part de la chaîne de librairies.
La SODEC se contente de noter qu’« Archambault et Renaud-Bray ont bénéficié d’un soutien seulement la deuxième année » du plan d’action. Étalées sur deux ans, les subventions reçues par la chaîne représentent le quart de l’enveloppe pour les librairies, tempère-t-on. C’est d’ailleurs le message que la SODEC a transmis aux intervenants du milieu lors d’une rencontre tenue dans les derniers jours.
Le plan d’action de Québec prévoyait 5,7 millions sur deux ans pour « optimiser la performance des librairies agréées ». L’agrément est un statut accordé par le ministère de la Culture à des librairies qui peuvent ainsi vendre des livres aux acheteurs institutionnels (bibliothèques, écoles, ministères…). C’est la porte d’entrée aux subventions.
Le coup de pouce de Québec a fait passer le budget de l’aide aux librairies agréées de 911 000 $ en 2014-2015 à 1,2 million l’année suivante et à 1,5 million l’an dernier — toujours pour les volets promotion ou informatisation.
Détriment
Mais peu importe les détails : les libraires indépendants estiment que l’arrivée fracassante de Renaud-Bray sur le marché des subventions s’est faite au détriment de leur propre réseau, qui compte quelque 140 librairies.
« Quand on fait la comparaison entre 2015-2016 et 2016-2017, malgré l’augmentation des sommes investies, on remarque que les librairies indépendantes ont perdu près de 300 000 $ pour la promotion et que les coopératives ont perdu 140 000 $ pour l’informatisation », dit Katherine Fafard, directrice générale de l’Association des libraires du Québec (ALQ).
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